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Nos Lecteurs ont la Parole

Notre lac radioactif

On parle d’un lac radioactif, au nord de l’Oural, cela donne à réfléchir. Les eaux y sont d’un bleu très pur, à ce qu’on rapporte, et pourtant sans vie aucune. Mais ce « pourtant » est de trop : la propreté et la mort vont ensemble, et toute vie est impure. Stériliser, c’est tuer. Cela en dit long sur la vie.

Cela aussi nous ramène à notre lac radioactif. Ce qui est vrai du chlore l’est également du nucléaire, même si les effets sur l’homme ne sont pas identiques, même si l’un des dangers, comme on sait, est mieux maîtrisé que l’autre. Je laisse la technique aux techniciens, et me contente de cette idée générale : tout ce qui vit salit. Tout ce qui nettoie tue. Demandez un peu aux microbes ce qu’ils pensent du savon de Marseille. Et à la ménagère maniaque, ce qu’elle pense des enfants.

On ne confondra donc pas, c’est où je voulais en venir, l’écologie et l’hygiène. La défense du vivant et l’obsession de la propreté. L’équilibre et la pureté. Le sain et le stérile. Tout ce qui vit salit, disais-je. Cela suppose que la vie sache aussi se défendre contre elle-même. De là, l’hygiène est évidemment nécessaire : la saleté est insalubre. Mais l’hygiène est au service de la vie, non l’inverse !

D’où je tirerais volontiers une conclusion politique. La santé d’un peuple n’a jamais tenu à sa pureté, qu’elle soit ethnique ou morale, mais seulement à sa capacité d’absorber les mélanges, les « impuretés », et maintenir, entre toutes ses composantes, un équilibre instable mais vivant, moins occupé de détruire l’autre que de l’apprivoiser, de s’acclimater à lui, enfin de gérer, dans l’à-peu-près, leurs différences ou leurs conflits.

De quoi l’on pourrait tirer aussi bien, et peut-être mieux, une conclusion morale, qui serait de vigilance contre la morale. La voilà de retour, dit-on, et c’est tant mieux. J’ai assez bataillé contre l’immoralisme et la veulerie pour ne pas m’en plaindre. Mais la morale est comme l’hygiène : elle est au service de la vie ou ce n’est qu’une manie inutile. C’est ce qui distingue la morale du moralisme, et les braves gens des censeurs. Qu’est-ce que l’ordre moral, si ce n’est la volonté d’inverser cette hiérarchie, de mettre la vie au service de la morale, de telle morale et d’en chasser l’impur ? Rêve fou : rêve de mort. S’il y a une pureté de l’âme, elle est à l’opposé, et c’est ce que Simone Weil avait vu. « La pureté, écrivait-elle, est le pouvoir de contempler la souillure. » Je dirais plus : de l’accepter, de l’habiter, de la sublimer. L’âme est ce qui accueille le corps et s’y recueille. Sans honte. Sans frayeur. Sans mépris. Ainsi, devant l’obscène du désir, la pureté de l’amour.

Maroun ABOU KHEIR

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

On parle d’un lac radioactif, au nord de l’Oural, cela donne à réfléchir. Les eaux y sont d’un bleu très pur, à ce qu’on rapporte, et pourtant sans vie aucune. Mais ce « pourtant » est de trop : la propreté et la mort vont ensemble, et toute vie est impure. Stériliser, c’est tuer. Cela en dit long sur la vie.Cela aussi nous ramène à notre lac radioactif. Ce qui est vrai du chlore l’est également du nucléaire, même si les effets sur l’homme ne sont pas identiques, même si l’un des dangers, comme on sait, est mieux maîtrisé que l’autre. Je laisse la technique aux techniciens, et me contente de cette idée générale : tout ce qui vit salit. Tout ce qui nettoie tue. Demandez un peu aux microbes ce qu’ils pensent du savon de Marseille. Et à la ménagère maniaque, ce qu’elle pense...
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