
La nouvelle manufacture maroquinière, 23e de la maison, inaugurée le 15 septembre à Riom, dans le Puy-de-Dôme. Photo DR
Au Liban, pays peu industrialisé, l’excellence artisanale, héritière d’un savoir-faire ancestral, demeure un secteur dynamique et extrêmement séduisant. En 2022-23 ainsi qu’en 2024, dans le cadre du programme de résidences d’artistes Nafas, lancé par l’Institut français du Liban, une vingtaine d’artisans d’art, soutenus par Galop, concessionnaire exclusif d’Hermès au Liban, rejoignaient en France des formations dans leurs différentes spécialités, revenant avec de nouvelles compétences. La maroquinerie fait partie des activités les plus porteuses de ce secteur.
L’opportunité de s’inspirer des meilleurs pour affiner davantage et mieux comprendre ce qui peut l’être dans ce domaine nous est venue d’Hermès. La nouvelle manufacture maroquinière, 23e de la Maison, inaugurée le 13 septembre à Riom, dans le Puy-de-Dôme, est un modèle en soi, tant pour le raffinement de son architecture industrielle et son intégration dans l’environnement que pour la préservation et la transmission du savoir-faire. Nous y étions.
Une vitrine à la fois magique et surréaliste. Photo F.A.D.
Le mercredi 11 septembre, alors qu’elles étaient masquées par des écrans orange, les vitrines du navire amiral d’Hermès, 24, rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris, se sont révélées dans l’après-midi, provoquant un attroupement phénoménal. Une chaise porte des bottes et des gants ; la crinière d’un cheval de bois ondule en cascade, on dirait une chevelure ; un sac envahit l’espace comme une obsession… Pour donner corps à ses objets de rêve, -rêves d’objets- Hermès met en œuvre d’incalculables heures de formation, un savoir-faire d’exception, une culture d’entreprise sans pareille.
D’incalculables heures de formation pour aboutir à un savoir-faire d’exception. Photo DR
Dans une friche industrielle, « faire rejaillir le feu »
Avec des ventes en progression de plus de 15% sur un an, faire face à la demande tout en maintenant une haute qualité artisanale impose l’ouverture de nouvelles manufactures. Hermès a ainsi créé, au rythme d’une maroquinerie par an depuis dix ans, un ensemble de 23 manufactures à ce jour en comptant celle inaugurée le 13 septembre à Riom dans la zone péri-rurale de Clermont-Ferrand. Celle de Louviers, en Normandie, ouverte en 2023, demeure l’une des plus emblématiques, conçue par l’architecte libanaise Lina Ghotmeh sur un rythme d’arches qui reproduisent les grands sauts d’un cheval au galop.
À Riom, dans ce Puy-de-Dôme où se déploie la splendeur des paysages volcaniques de l’Auvergne, des responsables régionaux entouraient Axel Dumas, le gérant d’Hermès international, ainsi que les 250 artisans et la trentaine de collaborateurs de l’encadrement, des ressources humaines ou de la logistique, pour célébrer l’ouverture du tout dernier pôle artisanal de la maison. Fanfares et trompettes donnaient à la fête un charmant parfum de comices agricoles accentué par la distribution de rosettes équestres multicolores que chacun arborait selon sa fantaisie. Sur cette grande friche industrielle de plus de 7000m2, ancienne manufacture de tabacs abandonnée par la Seita depuis 1975, Hermès a pris le parti de prolonger la vocation manufacturière d'un bâtiment inscrit depuis plus d'un siècle dans le paysage et la mémoire locale. Ce qui a permis à Axel Dumas de citer Brel en annonçant qu’Hermès faisait rejaillir sur ces lieux « le feu d’un ancien volcan qu’on croyait trop vieux ».
« Faire du beau dans du beau » … et du bon
La lumière naturelle pénètre jusqu'au cœur des ateliers, un élément essentiel au confort des artisans. Les façades ont été nettoyées ou restaurés à l'identique, tout comme les cadres de fenêtres en pierre de Volvic et l'ardoise des toitures. Les nuances gris-bleu de ces matières nobles sont caractéristiques de l'enracinement du bâtiment dans son terroir auvergnat. A cela s’ajoute une isolation thermique et sonore et un système de ventilation naturelle qui limitent les besoins en énergie. Une partie du mobilier de jardin est réalisée à partir de récupérations de poutres de béton et de traverses d’acier. Sous la cour, les eaux de pluie sont collectées et traitées. La Maison est fière de poursuivre le développement de ses manufactures dans la même veine, écologique et économe en énergie. Le mot d’ordre demeure, chez Hermès, de « faire du beau dans du beau », mais aussi dans du bon.
Une immersion dans les ateliers nous a permis de constater à quel point tout est pensé autour du bien-être des artisans, à commencer par les équipements : chaises et établis réglables en hauteur, repose-bras qui réduisent la tension sur les poignets et les épaules, outils performants conçus pour aider l’artisan, jamais pour le remplacer. Chacun fabrique l’objet qui lui est confié de A à Z. Un sélectionneur vérifie la qualité des cuirs et dessine les parties de l’objet en limitant au maximum les déchets. Seule la sensibilité de la main et l’expertise du regard sont à même de détecter les infimes égratignures sur une peau parfaite. Une projection des patrons au laser guide le découpage.
Savoir-faire et élégance du détail. Photo DR
Dix-huit mois pour maitriser les gestes et les outils
Encadrés par des artisans en formation, nous avons essayé de réaliser quelques points sellier, une finition de bordure et un marquage sur un rectangle de cuir jaune. Passer les bords au papier abrasif, les lisser au fer chaud, les terminer à l’encre noire, chauffer de nouveau. Piquer quelques minuscules encoches à l’alène en s’assurant de la régularité de l’espacement et de la ligne. Passer un fil de lin à la cire, ce qui le solidifie et l’empêche de jaunir. L’enfiler dans des aiguilles par les deux bouts, le percer trois fois pour mieux le nouer. Passer la première aiguille dans la première encoche en la tenant contre l’alène pour mieux maitriser une direction oblique. Passer la deuxième aiguille dans l’autre sens, à la suite de la première. Tirer. Tapoter à peine à l’aide d’un marteau, pour aplatir la couture sans la fragiliser : chaque objet doit avoir une durabilité qui le rend patrimonial. Marquer enfin la date à chaud sur une imprimante dédiée, une fois pour estamper, une autre pour encrer. Ce n’étaient que six petits points et une minuscule surface à traiter, mais la précision, la patience que cela demandait nous a laissés rêveurs. Ce n’est qu’en répétant ces gestes que l’on peut comprendre le temps, l’expertise et la délicatesse que réclame la fabrication d’un sac entier. Notre guide s’appelle Nour. La petite trentaine, elle était secrétaire médicale avant de s’enrôler dans la formation ouverte par Hermès aux artisans de la région et d’ailleurs. Il faut en moyenne dix-huit mois pour maîtriser les gestes et les outils de la maroquinerie. Les nouveaux sont formés par les anciens. Ce processus de transmission finit par constituer une véritable famille, une confrérie traditionnelle. Nour nous dit sa profonde satisfaction de travailler dans un tel cadre et sa fierté d’être impliquée dans la fabrication de ces célèbres objets de désir. « Faites votre histoire et soyez heureux », a recommandé Axel Dumas à tous ceux qui, comme elle, sans discrimination d’âge (la moyenne est largement au-dessus de 30 ans), ont quitté divers chemins professionnels pour la voie de l’artisanat et le travail de la main.
Humilité et respect devant ce que la nature nous propose
Pour Emmanuel Pommier, directeur général de la maroquinerie artisanale et de la division sellière Hermès, qu’il s’agisse de parfums, de soie ou de cuir, « tous les métiers d’Hermès sont imprégnés par le respect de la matière naturelle ». « Nous sommes dans l’humilité et le respect devant ce que la nature nous propose », ajoute-t-il, précisant que « le rare et le précieux sont abordés par les sens, par le toucher ». Sur les conditions de recrutement, « c’est ouvert à tout le monde », précise M. Pommier. « Ceux qui nous rejoignent aujourd’hui sont des reconversions. Ils font le choix de rejoindre un métier manuel qui nécessite mémorisation, organisation, prise de décision, coordination main-cerveau. Ils prennent plaisir à ce travail très concret avec un retour assez immédiat. On a des parcours très différents » poursuit-il, révélant que trois nouvelles manufactures sont en cours de construction, en Charente à côté d’Angoulême, en Gironde, à côté de Bordeaux et dans les Ardennes, à Charleville-Mézières.