Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Histoires de thérapies

La double explosion au port, le mur du son et la dignité bafouée des Libanais

Dans cette rubrique, le Dr Chawki Azouri partage des histoires et des cas qu’il a vécus tout au long de sa carrière. Pour cette troisième semaine, il revient sur les causes et les effets émotionnels et personnels de ces traumatismes « extra-ordinaires ».

La double explosion au port, le mur du son et la dignité bafouée des Libanais

L'inoubliable double explosion du 4-Août et ses traumatismes indélébiles. Photo Carla Henoud

La dignité est une des qualités humaines les plus importantes. Vous pouvez tout enlever à un être humain sauf sa dignité. « La dignité humaine est le principe éthique le plus fondamental », disait Kant.

Et la dignité n’a pas d’âge. Un père sermonne son fils de 13 ans devant ses camarades. Le fils s’approche du père et lui chuchote à l’oreille : « S’il te plait papa, pas devant mes copains, rentre avec moi dans ma chambre et tu pourras me dire ce que tu veux. »

Dans un asile pour personnes âgées, au moment du repas collectif, un vieil homme renverse par mégarde son plateau par terre. Devant tout le monde, il est fortement sermonné par une responsable. Sans rien dire, il se dirige vers la fenêtre et se jette du 6e étage.

De l’enfance à la vieillesse, une personne n’accepte jamais de perdre sa dignité. Elle est tellement fondamentale qu’elle figure dans la première phrase du préambule aux 30 articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme. De même, pour l’Union européenne, « la dignité est la première des quatre valeurs universelles qui sont la dignité humaine, la liberté, l’égalité et la solidarité ».

Lire aussi

Le mur du son et l’apocalypse du port de Beyrouth

C’est ce que perd le citoyen libanais, tant dans la catastrophe du port que pendant le passage du mur du son. Les parents des victimes n’ont pas la possibilité de faire leur deuil car l’appareil de l’État lui-même les en empêche. Les obstacles mis face au juge Bitar en témoignent.

Or le deuil est l’acte par lequel l’homme témoigne de ce que il y a de plus digne en lui. Avec le deuil commence l’histoire de l’humanité elle-même. Ne pas pouvoir faire son deuil est la souffrance la plus terrible qui soit infligée à être humain. Et l’appareil de l’État qui empêche ce deuil commet un crime contre l’humanité.

Même la guerre civile de 1975 respectait la mort et le deuil de l’autre. C’est la tutelle syrienne qui a amené l’indignité au Liban et l’a enracinée. Pendant 30 ans, au fur et à mesure que les dirigeants libanais perdaient leur dignité auprès de la tutelle syrienne, c’est l’indignité qui est devenue la règle. Et elle est toujours la règle des dirigeants.

La double explosion au port en témoigne. Quatre ans après le funeste 4 août 2020, on ne sait toujours pas si la double explosion est d’origine criminelle ou pas. Savoir la cause est fondamental pour les parents des 235 morts, afin qu’ils puissent faire leur deuil. Sinon ceux et celles qu’ils ont perdus resteront comme des zombies, des êtres entre la vie et la mort.

Piqûre de rappel

À chaque mur du son, ce sont les parents des victimes qui ont la peur au ventre. Eux, plus que leurs compatriotes parce que la mort les accompagne tous les jours. Le reste des Libanais ont eux aussi ce sentiment de ne pas pouvoir oublier. Car ce qui permet de le faire, dans le cas des morts, ce sont nos rites funéraires. Dans une grande partie du monde, le quarantième jour après la mort est célébré comme un tournant. Parce que c’est alors que le corps commence à se décomposer et devenir cadavre. Le mort devient vraiment mort et ne vient plus hanter les survivants. Il est désormais dans le monde des morts, séparé des vivants. L’oubli salutaire s’installe et la paix avec lui. Le mort ne vient plus nous hanter, on fait appel à lui quand on le veut.

C’est ce que le pouvoir empêche, et qui est un crime contre l’humanité.

La dignité est une des qualités humaines les plus importantes. Vous pouvez tout enlever à un être humain sauf sa dignité. « La dignité humaine est le principe éthique le plus fondamental », disait Kant.Et la dignité n’a pas d’âge. Un père sermonne son fils de 13 ans devant ses camarades. Le fils s’approche du père et lui chuchote à l’oreille : « S’il te plait...
commentaires (3)

On ne va pas débattre de l’aspect culturel ou religieux de la dignité, mais que cherchent les parents des victimes au Vatican, lors de leur audience récente auprès du Pape. Démunis de tout recours, leur parole n’est pas entendue, ils ne leur reste que le Souverain Pontife pour leur accorder une écoute solennelle.

NABIL

14 h 26, le 17 septembre 2024

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • On ne va pas débattre de l’aspect culturel ou religieux de la dignité, mais que cherchent les parents des victimes au Vatican, lors de leur audience récente auprès du Pape. Démunis de tout recours, leur parole n’est pas entendue, ils ne leur reste que le Souverain Pontife pour leur accorder une écoute solennelle.

    NABIL

    14 h 26, le 17 septembre 2024

  • ""...EUX, PLUS QUE LEURS COMPATRIOTES PARCE QUE LA MORT LES ACCOMPAGNE TOUS LES JOURS. LE RESTE DES LIBANAIS ONT EUX AUSSI CE SENTIMENT DE NE PAS POUVOIR OUBLIER"". Une façon de distinguer entre les proches de victimes et "le reste des Libanais", et de relativiser. C’est ce qui fait la réputation des Libanais, qu’au-delà des clivages, ils ne se sentent pas tous concernés par un drame ou l’autre. "Résilience", "faire son deuil", "oubli salutaire"… ce sont des mots quand on ignore volontairement le sort de l’autre. Le témoignage des parents des disparus pendant la guerre en dit long.

    NABIL

    14 h 18, le 17 septembre 2024

  • La dignité est bafouée ou perdue ? La dignité qu’elle soit inscrite dans les livres saints, dans la Déclaration des droits de l’homme, dans les Traités européens, ou qu’elle soit inscrite universellement dans toutes les constitutions, cette dignité est sacrée pour les uns, qu’on ne la perd pas, mais pour les autres elle est perdue à jamais. Lors d’un débat à Sciences Po Paris sur le Liban, un intervenant au sommet de sa notoriété affirmait que pendant la guerre civile, une population (je ne cite pas) a perdu sa dignité. Au Liban, le déni est peut-être la meilleure façon d’escamoter le débat.

    NABIL

    14 h 03, le 17 septembre 2024

Retour en haut