Présentés lors d’une conférence jeudi, sous le thème de « La santé mentale au Liban suite aux crises multiples » et en collaboration notamment avec le ministère de la Santé, les résultats d’une étude effectuée en 2022 par l’ONG libanaise IDRAAC (Institute for Development, Research, Advocacy, and Applied Care), fondée par le psychiatre et chercheur Élie Karam, est venue confirmer l’impact dévastateur sur la santé mentale des Libanais des crises des cinq dernières années.
Menée en collaboration avec l'institut de sondage Ipsos, l’étude a sondé un échantillon représentatif de la société libanaise formé de 1 000 interviewés. Et le principal résultat est éloquent : les deux tiers de la population libanaise, ou quelque 65 %, souffriraient d’au moins un trouble mental, qu’il s’agisse de dépression, de cas d’angoisse ou de troubles post-traumatiques
« Quand je suis rentré au Liban il y a plus d’une trentaine d’années, j’étais sidéré par le manque de données sur la santé mentale », raconte Élie Karam, qui entreprend alors le projet d’une étude qui sera finalement publiée en 2006, avec le concours de l’université américaine Harvard, qui avait entrepris un projet dans toute la région. Réitérant l’expérience en 2022, les résultats de l’étude étonnent le psychiatre, qui ne s’attendait pas à des chiffres aussi élevés.
Une « catastrophe »
« Nous avons trouvé que deux tiers des Libanais présenteraient au moins un trouble mental », affirme ainsi Élie Karam. Des troubles qui seraient notamment issus de la crise économico-financière, l’explosion du 4 août ou encore de la pandémie de Covid-19, l’actuel conflit avec Israël au Liban-Sud n’avait pas encore commencé lors de cette étude. Ils ont trouvé que plus les personnes ont été affectées par l’un ou l’autre ou plusieurs de ces événements, plus le risque de trouble est grand.
« Les questions que nous avons posées donnent une idée probable sur la santé mentale des interviewés parce que pour avoir une idée certaine, il faut des entretiens en face à face », précise Élie Karam. « Nous avons posé des questions comme celles de savoir si l’interviewé arrive à boucler ses fins de mois, s’il considère que les occasions sociales deviennent un problème, si son avenir est assuré… Et nous avons établi un score », explique-t-il. Plus le score est élevé, plus le risque de dépression, d’angoisse ou de trouble post-traumatique est important. Et le problème, ajoute-t-il, c’est que chacun de ses troubles pourrait entraîner l’apparition des autres.
Le Dr Karam n’hésite pas à qualifier ces résultats de « catastrophe », étant donné l’impact sur le rendement professionnel, sur les relations sociales dans toutes leurs ramifications, sur la qualité de vie. La précédente étude d’IDRAAC avait trouvé que 85 % des Libanais atteints de troubles mentaux sévères ne consultaient pas de professionnels. L’actuelle étude n’apporte pas de réponse à cette question. Le manque d’accès à des médicaments à prix raisonnable, malgré les efforts du ministère de la Santé dans certains dispensaires, ajoute aux obstacles qui se dressent face aux Libanais.
Un autre facteur aggravant vient freiner les voies vers le traitement, même quand les moyens financiers existent : le chercheur cite cette morosité ambiante qui normalise les troubles mentaux, tant et si bien que ceux qui en souffrent ne savent pas toujours les reconnaître dans le mal-être qu’ils ressentent. Les dangers d’un trouble mental non traité sont « multiples », selon le spécialiste, allant d’une chute du rendement au travail, aux problèmes relationnels de toutes sortes, à l’abandon des projets d’avenir, à l’accoutumance aux drogues et à l’alcool…
« Nous remarquons ainsi un laisser-aller autant au niveau de l’individu que de la population », souligne le chercheur. Selon lui, tous les profils interrogés sont affectés, un peu plus les femmes que les hommes, ce qui correspond à une constatation mondiale.
Le traitement, passage obligé
La principale recommandation du psychiatre à l’intention de personnes souffrant de troubles mentaux est de consulter des professionnels, parce que c’est la seule façon d’alléger la pression. À une question sur les difficultés économiques qui peuvent freiner l’accès au traitement, Élie Karam rappelle que des associations comme IDRAAC et d’autres offrent des services de consultations gratuits. « Quand on se rend compte qu’on souffre d’un trouble mental, il faut faire son possible pour se diriger vers un spécialiste, quitte à commencer par parler à son médecin de famille, qui pourrait nous rediriger vers quelqu’un d’autre », souligne-t-il.
Le Dr Karam insiste également sur la nécessité de faire face à cette situation et à en être conscient. « Il est fondamental de mettre en place au niveau national des solutions en profondeur, qui pourraient s’étaler sur des années », dit-il, précisant que le ministère de la Santé participe à la conférence qui se tient jeudi soir pour annoncer les résultats de l’étude et explorer les solutions possibles. Pour sa part, il compte se lancer dès que possible dans une nouvelle étude qui approfondira les résultats obtenus par celle-ci.
Tous les libanais affectés par les répétitives crises provoquées par leurs dirigeants véreux connaissent le remède de leur maladie. Il consiste à arrêter et juger tous les responsables de leurs malheurs qui n’en finit pas de les enfoncer dans leurs dépressions pour qu’enfin ils puissent prétendre à une résilience. Ce se ferait en deux temps trois mouvements. Les pays aidants doivent avoir la volonté de les aider et non des paroles en l’air. Cela ne soulage pas leurs souffrances, bien au contraire.
12 h 07, le 13 septembre 2024