« Lorsque j’ai décidé de retourner vivre au Liban, mon entourage m’a traitée de folle », avoue Tia Murr en racontant son retour au pays il y a trois ans. Après une licence de l’Université américaine de Beyrouth en média et communications, suivi d’un échange à l’Université d’Amsterdam en anthropologie visuelle, puis d’un master à Londres en documentaire et réalisation de films, la jeune fille entamait sa vie professionnelle à Paris dans un magazine de mode en tant que responsable de communication où elle ressent « une perte de temps » et le sentiment « de ne pas faire un impact autour d’elle ».
Début 2020, « lassée du monde robotisé » que sont toutes ces grandes villes et de la solitude loin de sa famille, elle ferme la parenthèse parisienne, saute sur l’occasion offerte par un copain de gérer et de lancer des groupes de jeunes artistes libanais, et retourne au Liban au grand dam de ses parents. « Lorsque l’on débute dans le monde du travail où l’on est peu connu, il est plus facile de gravir les échelons et de progresser plus rapidement dans son propre pays. On y acquiert beaucoup d’expérience qui nous permettra de nous lancer à l’international si on le désire », estime la jeune fille avant d’ajouter : « Ici, il y a une entraide dans notre domaine et entre les gens qui n’existe nulle part ailleurs ; ce qui fait que l’on est vite reconnu pour les efforts que l’on entreprend. C’est cela qui donne envie de se lever tous les matins et d’aller au travail. Et c’est ce que je ressens au Liban. » Abordant la question de l’avenir incertain que présente le pays, elle confie que ce n’est pas « son futur » qui l’angoisse au Liban, mais « la peur sourde » qu’elle a ressentie après la tragédie du 4 août 2020 et « qui la hante jusqu’à ce jour ». Même vécu chez Yara Jabbour, étudiante en média et communication, qui après avoir travaillé en Hollande dans le domaine des ressources humaines, éprouve, lorsque la révolution d’octobre 2019 avait commencé, le besoin « de retourner au pays qui avait besoin de sa jeunesse ». Elle travaille pendant quelque temps dans une ONG au Liban, jusqu’à ce que l’explosion du 4 août « expulse tous ces jeunes malgré eux hors du pays », relève-t-elle amèrement.
« On nous dit toujours qu’à l’extérieur, c’est mieux, que l’on trouverait facilement un travail et que l’on gravirait les échelons très vite. C’est faux. Ce n’est pas si facile que cela », affirme-t-elle avant de nuancer : « Évidemment, si l’on est content dans ce que l’on fait et que l’on a pu s’intégrer dans le pays d’accueil, l’extérieur est idéal. Mais si l’on est perdu comme je l’étais, surtout après le 4 août 2020, le Liban est beaucoup mieux, plus humain, et certainement plus gratifiant. » Après la double explosion au port de Beyrouth, elle quitte le Liban comme la plupart des jeunes, galère pendant un an en Europe sans trop savoir quoi faire, avant de décider de retourner en 2021 au pays où elle se reconvertit au yoga. Si Yara avoue « qu’au Liban, ce n’est pas toujours évident de travailler » et admet être « consciente de ce qu’elle a laissé à l’extérieur comme « opportunités et possibilités de travail » », elle affirme fermement « n’avoir jamais regretté sa décision ». « Ici au moins, nous ne sommes plus seuls à nous débattre dans nos problèmes. On se comprend et on s’épaule, car on partage les mêmes traumatismes. Et moi, j’avais besoin de ce côté humain auprès de ma famille pour me reconstruire, que je ne retrouvais pas en Europe. »C’est également ce « chacun pour soi » qui a poussé Emma Asmar, qui a entrepris une licence en biochimie en Angleterre, à abandonner son travail dans une compagnie pharmaceutique à Londres et à retourner au Liban y poursuivre des études de médecine à la LAU. « Tout le monde parle de l’Europe comme si c’est beaucoup mieux que le Liban. Dans certains aspects, certes, c’est mieux. Mais moi je ne me ne me retrouvais pas dans cette très grande ville où il y a une multitude de communautés tellement différentes les unes des autres et où je ne m’habituais pas à leur culture et à leur façon de vivre. » Si Emma admet avoir apprécié l’ambiance de son travail à Londres « où les gens étaient très gentils et corrects », elle avoue néanmoins avoir « souffert de leur vie organisée à la minute près comme des robots sans aucune spontanéité ». « Je sentais que j’avais besoin de retrouver l’ambiance « humaine » du Liban, de retrouver mes amis et ma famille. Tout cela me manquait terriblement. Je ne me sentais pas épanouie. » Aujourd’hui, Emma admet n’avoir qu’une hâte : « Se replonger dans la vie libanaise malgré l’insécurité pesante du pays. »
Des salaires qui ne compensent pas tous les sacrifices
Si la plupart de ces jeunes sont conscients du manque d’opportunités de travail au Liban et de l’insécurité du pays, ils sont nombreux à franchir le cap, pour fuir la solitude des grandes villes et le besoin de retrouver leurs proches, à l’instar de Georges Ghorra qui est retourné au pays, après trois ans d’études entre Lille, Paris et Londres. Très sociable de nature, Georges admet avoir eu beaucoup de difficultés à se faire des amis qui avaient les mêmes valeurs et principes que lui. « Je passais mon temps à étudier, moi qui n’aime pas cela, enfermé dans un 17 m2. Mon moral en a pris un coup. Ma famille et mes vrais amis me manquaient. Je luttais constamment contre cette solitude dans laquelle je vivais. J’avais besoin de retrouver ma zone de confort pour ma santé mentale », affirme-t-il fermement en ajoutant : « Et ce n’était pas un caprice comme tout le monde le pense. » Son passeport libanais ne l’autorisant pas à travailler à l’extérieur, et des conditions impossibles à remplir pour trouver un emploi à Londres, il retourne au Liban tenter sa chance « sans savoir ce que lui réserve l’avenir », mais se dit prêt à accepter un salaire inférieur à ce qu’il aurait pu obtenir à l’extérieur, « pour avoir une vie saine, entouré et heureux ». C’est également « un salaire qui ne vaut pas la peine de faire autant de sacrifices à l’extérieur » qui a poussé Bassem Salamé, 21 ans, à quitter son travail en tant que gérant dans un restaurant à Paris, une ville qu’il aimait pourtant bien, et retourner au pays.
« On nous a toujours rabâché les oreilles qu’au Liban il n’y pas d’avenir et certainement pas de bons salaires. Et c’est totalement faux », affirme ce jeune homme qui travaille dans une grande start-up au Liban, en relation avec les pays arabes. « À Paris, après avoir payé mon loyer, ma carte de métro, les taxes et les charges, il me restait à peine de quoi manger. C’est vrai qu’au Liban la situation n’est pas stable, que le travail n’est pas toujours facile et que les salaires ne sont pas très élevés, mais pour un jeune qui débute dans la vie et a envie de grandir, il y a pas mal d’opportunités grâce notamment à ces start-up basées qui travaillent avec l’extérieur », poursuit le jeune homme qui confie savourer sa vie au Liban entouré de ses proches et de sa famille. S’il admet ne pas regretter sa décision malgré l’insécurité au pays, il estime toutefois, « qu’à salaire égal, il est certainement plus avantageux de travailler à l’extérieur où les opportunités et l’avenir sont plus stables qu’au Liban, à condition que les salaires compensent l’absence et la solitude ».
Sacha Maria Lattouf a décidé, elle aussi, de fermer la parenthèse londonienne au bout de huit ans de vie à Londres, entre ses études et son travail en marketing des réseaux sociaux, fatiguée de la vie trépidante de cette grande ville et surtout du mauvais temps. « Le Liban n’a jamais été pour moi une option de retour », confie pourtant la jeune fille. « Je l’avais quitté en 2015, parce que je n’aimais pas ce pays. J’étouffais et je n’arrivais pas à m’intégrer à la mentalité des gens ». En visite au Portugal il y a quelques mois, elle tombe sous le charme de cette ville et décide d’y refaire sa vie. Elle pose alors ses valises au Liban « juste pour quelque temps », tient-elle à préciser, en attendant son visa. Et là elle découvre un autre aspect de son pays. « J’ai vu des gens affables, chaleureux malgré tous leurs soucis, toujours prêts à aider les autres et tellement courageux en dépit de l’incertitude qui règne dans le pays», avoue-t-elle, admettant que pour la première fois elle se sentait en sécurité parmi des gens qui la comprenaient. Bouleversée par cette nouvelle découverte, Sacha décide de s’installer au Liban, avec en vue d’ouvrir un club pour les amoureux du surf comme elle. « Malheureusement, la situation du pays ne me le permet plus », relève-t-elle tristement. « Aujourd’hui, je ne sais plus si je dois quitter, rester, faire abstraction de la situation ou recommencer ma vie à l’extérieur », confie-t-elle. « La seule chose que je sais, c’est que je ne pourrai plus vivre aussi longtemps loin du Liban, comme auparavant. Ce que j’ai vécu ici, je ne le retrouverai nul part ailleurs. Pour la première fois, je ne me sens plus un numéro parmi tant d’autres. Et c’est cela le plus terrible pour nous les jeunes qui essayons de bâtir un avenir à l’extérieur. »
Bravo à ces jeunes qui ont compris ce que certains d'entres nous ont mis une vie à comprendre : ce qui compte, c'est de vivre dans un lieu où l'on se sent heureux, où l'on se sent chez soi. Nous ne serons jamais vraiment chez nous à l'étranger car les autres nous voient comme des étrangers. Et ce n'est pas si intéressant financièrement. Les universités étaient gratuites en France il y a longtemps maus cela a bien changé. Seules les facs sont gratuites maintenant mais si vous comptez l'hébergement et la nourriture, il vaut mieux rester étudier au Liban c'est moins cher.
22 h 12, le 05 septembre 2024