C’est le dernier coup de théâtre d’un serpent de mer politico-judiciaire qui dure depuis le début de la crise financière de 2019, et il est plutôt inattendu… Alors que les multiples enquêtes liées à des malversations financières présumées de l’ex-gouverneur de la Banque du Liban (BDL) Riad Salamé restent paralysées au Liban – en raison des multiples recours qu’il a intentés contre les différents magistrats concernés –, son arrestation, mardi 3 septembre par le procureur général par intérim près la Cour de cassation, Jamal Hajjar, est survenue comme un coup de théâtre.
C’est en début d’après-midi que les informations sur son interrogatoire au Palais de justice ont été divulguées à la presse, l’AFP précisant que son audition avait duré trois heures. Une source judiciaire proche du parquet de cassation a ensuite confirmé à L’OLJ que l’ex-gouverneur avait été placé en détention provisoire pour un complément d’enquête.
L’ancien gouverneur, qui a dirigé la banque centrale durant 30 ans et fait par ailleurs l’objet de plusieurs instructions judiciaires en Europe, ainsi que d’un signalement international d’Interpol, n’avait jusque-là jamais été arrêté. Il a en outre toujours nié les allégations formulées contre lui. Contacté, l’avocat de Riad Salamé en France, Pierre-Olivier Sur, n’était pas en mesure de commenter dans l’immédiat son arrestation au Liban.
Transactions suspectes
À ce sujet, le magistrat précité n’a pas souhaité préciser de quel dossier il s’agissait, se contentant de répondre que « les actes dont Riad Salamé est suspecté sont liés à son travail de gouverneur de la BDL », et se refusant à commenter ou infirmer les informations de presse publiées à ce propos. Plusieurs sources judiciaires ou proches de ces milieux ont en effet confirmé à L’OLJ, comme à l’AFP et Reuters, que l’audition et le placement en détention provisoire de Riad Salamé entraient dans le cadre du dossier portant sur les transactions de la BDL avec Optimum Invest (OI). Cette société libanaise offre des services de courtage en revenus et est soupçonnée d’avoir participé à un mécanisme de commissions et surfacturations avec la BDL sous le mandat de Riad Salamé, pour un total de plusieurs dizaines de millions de dollars. Dans ce montage – mis en lumière par un rapport d’audit du cabinet Alvarez & Marsal qui avait été rendu public en 2023 –, la BDL aurait vendu des bons du Trésor libanais à OI, qu’elle rachetait dans la foulée à un prix largement supérieur.
Contactée par L’OLJ, la directrice exécutive d’Optimum Invest, Reine Abboud, a affirmé que la société n’a pas été convoquée à la séance d’audience de l’ex-gouverneur de la BDL. « Nous n’avons pas été informés de l’arrestation de Riad Salamé », a-t-elle ajouté. Et de renvoyer à une déclaration, non datée mais publiée sur son site depuis l’hiver dernier, qui indiquait qu’un audit financier n’avait trouvé « aucune preuve de malversation ou d’illégalité » dans les transactions de la société avec la banque centrale.
« Une comédie » ?
Une fois la stupeur passée, les réactions des représentants de la classe politique, des milieux judiciaires et des représentants des associations de déposants et de la société civile ont oscillé entre la satisfaction de principe au sujet de l’arrestation d’un haut fonctionnaire perçu comme un symbole d’impunité et une certaine circonspection quant aux suites qui seraient données à cette affaire (voir par ailleurs). « Si Riad Salamé reste présumé innocent, sa détention provisoire est une nouvelle très importante pour tous ceux qui avaient perdu espoir en matière de redevabilité quant aux délits financiers », a par exemple déclaré à L’OLJ l’avocat fiscaliste Karim Daher, qui a notamment présidé la commission de défense des droits des déposants au barreau de Beyrouth. « J’ai peur que cela s’inscrive dans le cadre d’efforts visant, à terme, à disculper l’ancien gouverneur via une procédure bancale », craint pour sa part Fouad Debs, avocat fondateur et membre de l’Union des déposants. Une crainte relayée par un magistrat haut placé qui doute, sous couvert d’anonymat, que l’ex-patron de la BDL reste maintenu derrière les verrous. « Il s’agit d’une comédie montée pour protéger les partenaires de Riad Salamé, appartenant au milieu politique », croit-il savoir. « Le juge d’instruction auprès duquel le dossier sera transféré n’ira sans doute pas jusqu’à émettre un mandat d’arrêt », présage enfin ce magistrat. « C’est une décision judiciaire dans laquelle nous n’interviendrons pas », a néanmoins tenu à déclarer le Premier ministre sortant Nagib Mikati à al-Hadath, alors qu’il était intervenu à plusieurs reprises par le passé dans les dossiers financiers ou bancaires, et notamment ceux entre les mains de la procureure près la cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, considérée comme proche du Courant patriotique libre de Gebran Bassil. Pour rappel, le juge Hajjar avait demandé en juin dernier à Mme Aoun de lui transmettre l’intégralité des dossiers des crimes financiers – dont celui qui concerne OI – dans ce qui avait été dénoncé par plusieurs observateurs comme une tentative de la mettre à l’écart. « À ce jour, Ghada Aoun n’a pas obtempéré », relève le magistrat précité, qui précise que le volet du dossier OI géré par Mme Aoun est distinct de celui pour lequel Jamal Hajjar a auditionné Riad Salamé.
« Le chef du parquet de cassation travaille avec conscience et professionnalisme », rétorque une source proche du secteur financier. « Au cas où les actes pour lesquels est accusé l’ex-patron de la BDL s’avèrent liés aux décisions prises par les autorités financières et politiques, ce dernier ne sera pas arrêté parce qu’il n’est pas censé en assumer seul la responsabilité », estime par ailleurs cette source, considérant qu’« il pourrait être arrêté s’il s’avère qu’il a commis un crime (usurpation de fonds, etc.) à titre individuel ».
« Sans être liée ou dépendante, cette arrestation pourra aussi être utile dans le cadre des procédures ouvertes en Europe, notamment pour blanchiment d’argent, dès lors que de nouveaux éléments apparaîtraient dans cette enquête, par exemple », relève néanmoins Karim Daher, avant de tempérer légèrement son optimisme s’agissant du Liban. « Il faudra rester vigilant car on peut légitimement craindre que Salamé serve de bouc émissaire permettant aux responsables politiques de « tourner la page », comme ils l’ont déjà fait dans le passé après la guerre civile », conclut l’ancien président de l’Aldic (Association libanaise pour les droits et les intérêts des contribuables).
La détention provisoire expire dans un délai légal de 4 jours, affirme à L’OLJ une autre source du parquet de cassation. D’ici là, le juge Hajjar pourrait à nouveau auditionner M. Salamé, ainsi que convoquer des personnes présumées liées au dossier d’enquête, dans un souci d’éclaircir certains points. Dans un second temps, il devrait déférer celui-ci devant parquet d’appel de Beyrouth, qui le transmettra à son tour au juge d’instruction de Beyrouth. Seul celui-ci a le pouvoir d’émettre un mandat d’arrêt.
Est-ce encore de l’esbroufe pour faire genre
18 h 55, le 03 septembre 2024