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Culture - Paysage urbain

L’art à l'assaut des panneaux publicitaires de Beyrouth

À l’initiative de TAP, dix interventions d’artistes sur les panneaux d’affichage de la capitale interrogent la ville et ses habitants, depuis le 24 mai et jusqu’au 2 octobre.

L’art à l'assaut des panneaux publicitaires de Beyrouth

Le panneau de Dia Mrad à l’intersection des rues Jeanne d'Arc et Souraty, à Hamra. Photos DR

« TAP », pour « Temporary Art Platform ». Cette association libanaise à but non lucratif, fondée en 2014, a pour objectif de favoriser le changement social par le biais de l’art contemporain. Elle a été fondée par la commissaire Amanda Abi Khalil, qui a souhaité d’emblée ne pas lui donner de base pour faire en sorte qu’elle demeure nomade, bien qu’enregistrée à Beyrouth et à Paris. Son projet en cours depuis le 24 mai s’achève le 2 octobre. Intitulé « In the Blink of an Eye », il offre à dix artistes contemporains libanais, à raison de deux ou trois par mois, la liberté d’intervenir sur un panneau d’affichage gracieusement prêté par Picasso. Les œuvres peuvent être des vidéos projetées sur les panneaux lumineux ou simplement des affiches collées à des emplacements stratégiques. Ce projet est curaté par Nour Osseiran et Jad Karam. Il est soutenu par le fonds Beryt et mis en œuvre par le bureau de l'UNESCO à Beyrouth.

Des nuages colorés qui se télescopent dans le panneau de Randa Mirza, le 22 juin, sur l’autoroute Charles Hélou.

Tour à tour, depuis le 24 mai, ce sont Dalia Baassiri, Dia Mrad, Randa Mirza, Renoz, Mahmoud el-Safadi, Nathalie Harb et Yasmina Hilal qui ont pour ainsi dire tenu le haut de l’affiche avec des propositions qui interpellent et donnent à réfléchir. Il reste trois artistes de cette sélection, dont les prochaines dates d’affichage seront bientôt révélées : Tamara Kalo, Annabel Daou et Basile Ghosn.

La toilette du petit olivier

Sur l’autoroute Charles Hélou, à côté du restaurant Pastel, est apparue le 24 mai une curieuse vidéo montrant l’artiste Dalia Baassiri en train de laver un petit olivier. « Je baigne un petit olivier avec un savon artisanal local, perpétuant ainsi ma pratique qui consiste à documenter les actes rituels de purification comme autant de témoignages d’attention. À l’instar de la douce toilette d’un défunt avant sa mise en terre, je rends hommage aux dizaines de milliers d’oliviers qui ont été la cible intentionnelle d’une guerre qui n’en finit pas », explique l’artiste. Le travail interdisciplinaire de Dalia Baassiri découle des paramètres de la maison. Elle trouve refuge dans l’univers domestique, dont elle interprète des éléments divers, des particules de poussière aux plantes d’intérieur, en passant par les lunettes de lecture et les canalisations d’évier. Elle puise ainsi son inspiration dans le temps passé à l’intérieur.

Anciens loyers et immeubles de papier

Le 7 juin, c’était au tour de Dia Mrad de révéler son œuvre, sur un panneau à l’intersection de la rue Jeanne d’Arc et de la rue Souraty, à Hamra. Il s’agit d’un collage où l’on voit des enseignes accumulées former des immeubles de papier. Ce projet porte sur les lois n° 159/92 et n° 160/92 promulguées en 1991 sur les anciens loyers. Ces lois font l’objet d’un débat autour des perspectives divergentes entre locataires et propriétaires. Elles ont établi un contrôle des loyers pour les propriétés antérieures à 1992 en maintenant des taux inférieurs aux valeurs du marché en raison de l’instabilité socio-économique. Les amendements proposés visent à rectifier ces disparités en actualisant les loyers tout en protégeant les locataires à long terme. Dans le contexte de la crise économique actuelle et d’une dévaluation importante de la livre libanaise, semblable à celle de 1992, ce collage appelle à l’action. Dia Mrad étudie le symbolisme urbain et les paysages reflétant l’expérience humaine. Son travail s’intéresse aux interactions avec l’environnement et invite à la contemplation des liens entre les personnes et les matériaux.

Tranquille quand tout autour de vous est conflit

Retour, le 22 juin, au panneau de l’autoroute Charles Hélou, face au Pastel. Cette fois, c’est Randa Mirza qui l’investit avec une sorte d’écran de veille où l’on voit des nuages colorés se télescoper. La fumée de l’explosion au port, à un jet de pierre de là, peut revenir à l’esprit, mais il n’en est rien. « Gardez votre équilibre mental lorsque vous êtes confronté à un ennemi. Si vous êtes équilibré et tranquille lorsque tout autour de vous est en conflit, soyez assuré que vous avez maîtrisé la chose la plus vitale qui puisse exister », commente l’artiste. Son idée est en effet de créer une œuvre apaisante au milieu du stress ambiant.

Randa Mirza manipule et construit des images à la frontière ténue entre fiction et réalité. Elle a récemment publié un livre, Beirutopia, qui rassemble des images collectées sur une période de 20 ans. Ces images documentent la transformation sociopolitique et urbaine de Beyrouth, prémonitoire de l’effondrement actuel du pays.

Ruines modernes

Sur l’autoroute Charles Hélou, cette fois près de l’ancien bâtiment d’Ogero, l’artiste Renoz présentait le 5 juillet une affiche représentant un dessin d’une cabine téléphonique. « Lorsque je contemple le paysage urbain de la ville, je suis confronté à des vestiges résultant de projets de développement qui ont échoué et qui, négligés, sont devenus des éléments fixes qui se fondent dans le décor après avoir perdu leur fonctionnalité d’origine. Ces objets se transforment ainsi en ruines modernes », explique l’artiste.

Renoz explore les structures urbaines qui ont émergé dans la ville après la guerre civile et leur impact sur l’environnement. Il intègre des éléments trouvés (monnaie dévaluée, camions d’eau, panneaux routiers, cabines téléphoniques) dans sa pratique d’atelier.

Rejoindre ou sauver ?

Le 1er aout, Mahmoud el-Safadi montrait une étrange vidéo sur le panneau de l’autoroute Charles Hélou, en face du Pastel. On y voit la mer en mouvement et, au loin, une personne dans l’eau qui fait des signes. Il est difficile de distinguer si cette silhouette vous appelle à la rejoindre ou si elle appelle au secours. Un corps comme un paysage, un horizon qui traverse la peau, une ligne qui garde la mémoire pour mesurer le temps : un horizon à regarder, une ligne à dépasser, une frontière à transgresser. La nuit est calme, peut-on rester ou faut-il fuir ? Si nous nous touchons, nous comprendrons-nous ? Faisiez-vous des signes de la main ou étiez-vous noyé ? Avons-nous essayé tout ce que nous pouvions ? » commente l’artiste.

Le travail de Safadi s’inspire de son expérience personnelle de la migration et du déplacement. Entre vidéo, photographie et sculpture, il explore les réalités complexes de la mondialisation et de la nature mouvante et souvent polarisée du monde contemporain.

Résister, au lit, à la tentation d’un avenir fallacieux

Plus récemment, c’est sur un grand panneau en face du restaurant Bazalt, à Achrafieh, que Nathalie Harb a livré une œuvre intrigante. Celle-ci représente un lit douillet dans une chambre calme et lumineuse. Le paysage de Beyrouth est sauvagement peuplé d’images qui font miroiter un avenir plus sûr. La rhétorique publicitaire est centrée sur la propriété privée, l’investissement à l’étranger, l’assurance contre les catastrophes et la marchandisation de la nationalité. Elle reflète la tension du présent et le rêve d’un avenir plus brillant. Avec ce lit qui est en soi, selon l’artiste, un acte de résistance contre ce genre de campagnes, Nathalie Harb veut arrêter le bruit agressif en invitant à se reposer dans la rébellion, loin du futur spéculatif dessiné sur et pour nous. Son travail explore la thématique de l’abri, du soin et du conflit, entre interventions urbaines, théâtre et installations qui remettent en question la notion de foyer en proposant une utilisation alternative de notre habitat.

À Mazraa, sur Saëb Salam, à côté d’Ogero, Yasmina Hilal présentait le 15 août une curieuse manipulation d’image.

Des normes esthétiques

À Mazraa, sur Saëb Salam, à côté d’Ogero, Yasmina Hilal présentait le 15 août une curieuse manipulation d’image montrant une main soignée de mannequin réalisée à partir d’un collage à base de négatifs et de techniques photographiques alternatives. Elle attire ainsi l’attention sur les limites littérales et figuratives auxquelles les femmes se soumettent pour atteindre les normes esthétiques de beauté perpétuées par les publicités dans les médias. Innombrables dans leurs formes, ses œuvres sont une combinaison d’étrange et d’hypnotique, de mouvement et d’immobilité.

La prochaine affiche sera celle de Tamara Kalo, qui devrait évoquer, à travers les luttes quotidiennes des Libanais, l’écho de luttes ancestrales. Elle aura pour support iconique un olivier vieux de sept mille ans qui lui permettra d’explorer la notion de « temps profond ».

Son médium est la lumière et la photosynthèse. Le lieu n’est pas encore annoncé, mais à travers ce jeu de piste à travers la capitale, TAP invite le grand public non seulement à découvrir les œuvres de ces grands talents, mais aussi à interagir avec leurs messages et, en tout cas, marcher en relevant la tête. La révolution n’est pas finie tant qu’elle s’exprime à travers l’art.

« TAP », pour « Temporary Art Platform ». Cette association libanaise à but non lucratif, fondée en 2014, a pour objectif de favoriser le changement social par le biais de l’art contemporain. Elle a été fondée par la commissaire Amanda Abi Khalil, qui a souhaité d’emblée ne pas lui donner de base pour faire en sorte qu’elle demeure nomade, bien qu’enregistrée à Beyrouth et à...
commentaires (3)

Excellent article sur un excellent sujet. Merci

May Parent du Chatelet

09 h 05, le 04 septembre 2024

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • Excellent article sur un excellent sujet. Merci

    May Parent du Chatelet

    09 h 05, le 04 septembre 2024

  • L’art contemporain au dessus des poubelles, on n’aurait jamais pu trouver mieux. Vous appelez cela de l’art encore?

    Serres Jean

    09 h 47, le 03 septembre 2024

  • Super!

    Marie Claude

    08 h 13, le 02 septembre 2024

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