Le 30 août, le monde commémore la Journée internationale des disparus, créée pour attirer l'attention sur le sort des personnes emprisonnées dans des lieux inconnus et dans de mauvaises conditions, et dont les proches sont sans nouvelles.
Les organisations de défense des droits de l'homme estiment qu'au cours de la guerre civile libanaise, de 1975 à 1990, quelque 17 000 personnes ont été enlevées ou ont disparu. Certaines auraient été arrêtées ou détenues par les différentes forces et milices impliquées dans le conflit, qu'elles soient libanaises, syriennes, palestiniennes ou israéliennes.
L'Orient Today s'est entretenu avec Bassel Bou Monsef, chercheur à ACT for the Disappeared, une ONG qui s'efforce d'élucider le sort des personnes disparues et de soutenir leurs familles. L'expert revient sur les tentatives passées pour élucider le sort des disparus et leur rendre justice, décrit les différentes lacunes et explique les processus en cours aujourd'hui.
Qui sont les disparus de la guerre civile au Liban ? Quels sont les chiffres ?
Le nombre officiel de personnes disparues ou ayant fait l'objet d'une disparition forcée (pendant la guerre civile) au Liban est de 17 415, mais ce chiffre n'est pas tout à fait exact. Les estimations varient entre 7 000 et 10 000. Les personnes disparues proviennent de toutes les régions du Liban, de toutes les confessions et de tous les milieux socio-économiques. La plupart des disparus sont des civils. Ils sont libanais, mais aussi étrangers, tels que les combattants palestiniens ou d'autres nationalités, ainsi que des soldats de pays étrangers, des travailleurs migrants et des ressortissants occidentaux. La plupart des disparus sont des hommes.
Dans quelles circonstances ces disparitions se sont-elles produites ?
La majorité des personnes disparues au Liban ont été enlevées à leur domicile, sur leur lieu de travail ou à des barrrages. Certains ont été extirpés à leur ville et n'ont jamais été revus.
Comment le Liban a-t-il suivi ce dossier ? Quelles ont été les initiatives privées et publiques ?
L'approche du Liban sur cette question a été largement caractérisée par une politique d'amnésie de l'État. Cela a commencé par un pacte « ni gagnant ni perdant » entre les anciens chefs de guerre et le vote d'une loi d'amnistie peu après la fin du conflit. Il n'y a pas eu de justice transitionnelle ni de processus de réconciliation significatif au niveau local.
En 1982, le Comité des familles des personnes enlevées a été créé pour obtenir des réponses sur leurs proches. Leurs efforts ont conduit à la formation de plusieurs commissions au début des années 2000. La commission de 2000 a publié un rapport concluant que toutes les personnes disparues étaient décédées et identifiant trois fosses communes. Toutefois, le travail de ces commissions a été insuffisant et n'a pas permis d'apporter des réponses satisfaisantes. Les autorités avaient tendance à classer les dossiers plutôt que de poursuivre des enquêtes sérieuses.
Le 13 novembre 2018, le Parlement a adopté la loi 105 sur les personnes disparues ou ayant fait l'objet d'une disparition forcée, marquant ainsi une avancée significative. La Commission nationale pour les personnes disparues ou ayant fait l'objet d'une disparition forcée a été créée le 18 juin 2020 pour enquêter sur le sort des disparus, localiser et exhumer les lieux de sépulture, identifier et restituer les dépouilles aux familles, et accorder des réparations. La loi 105 confère notamment à la commission nationale un mandat de recherche de la vérité, plutôt que de recherche de la responsabilité judiciaire.
La commission nationale a dû faire face à de nombreux défis, notamment la crise financière, la pandémie de Covid-19, l'explosion au port de Beyrouth et la paralysie politique et institutionnelle persistante. Malgré ces obstacles, la commission a travaillé à sa propre institutionnalisation, notamment en élaborant ses statuts et son règlement intérieur, en créant une stratégie et un plan d'action, en s'engageant auprès des parties concernées et en se préparant à mener des enquêtes. Elle s'est également occupée récemment du premier charnier découvert au cours de son mandat, à Mdoukha, dans le caza de Rachaya.
Plusieurs organisations locales et internationales ont contribué aux efforts en question. ACT for the Disappeared, créée en 2010, est une organisation non partisane de défense des droits de l'homme qui se consacre à l'élucidation du sort des disparus et à la réconciliation. Elle propose un soutien psychosocial, des activités de plaidoyer, un dialogue intercommunautaire et des travaux de recherche. Depuis 2015, elle a recueilli des données sur des milliers de disparitions et de nombreux événements, barrages et centres de détention. Elle a également développé des plateformes telles que Fushat Amal et Waynoun pour impliquer le public.
Qu'aurait-on dû faire pour résoudre cette affaire ?
La loi 105 a constitué une avancée significative en reconnaissant la question des disparus et en prenant des mesures concrètes pour reconnaître le droit des familles à savoir. Toutefois, cette loi met l'accent sur la recherche de la vérité plutôt que sur la responsabilité judiciaire. Il est essentiel de soutenir la mise en œuvre de la loi 105 et de la commission nationale afin d'apporter des réponses aux familles et d'empêcher de nouveaux enlèvements grâce aux mesures préventives prévues par la loi.
Il faut aussi soutenir la commission nationale et répondre aux besoins des familles pour lancer un processus de réconciliation global et durable. La société civile, les partis politiques et les autorités doivent reconnaître que cette question touche tout le monde et ne peut être résolue tant que les familles et les communautés souffrent encore. L'accent doit être mis sur l'exploitation des progrès réalisés grâce à la loi 105 et à la commission nationale pour favoriser un processus de réconciliation significatif. Les partis politiques doivent comprendre que la loi 105, la commission nationale et le droit de savoir visent à traiter le passé pour construire un avenir plus pacifique, et non à les cibler ou à chercher à se venger.
Mon dernier ouvrage " Il était des nôtres" (disponible chez Antoine), est un cri contre l'amnésie collective volontaire de tous les dirigeants face à ce triste dossier.Il est temps que les barons de la guerre délient leur langue et fassent maintenant leur mea culpa. Le jugement dernier sera sans appel et sans grâce pour eux.
22 h 02, le 01 septembre 2024