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Culture - Rentrée Littéraire

Joy Majdalani : Les femmes sont-elles génétiquement condamnées à la jalousie ?

Le second roman de Joy Majdalani, « Jessica seule dans une chambre » sort ce mardi 28 août aux éditions Grasset. Rencontre avec une romancière qui traite les stéréotypes féminins avec une légèreté surprenante et trompeuse.

Joy Majdalani : Les femmes sont-elles génétiquement condamnées à la jalousie ?

Joy Majdalani. Photo JF Paga/ Grasset

« À chaque fois qu’elle se préparait pour leurs rendez-vous, choisissant la longueur de la robe qu’elle mettrait, décidant s’il faudrait porter des bottines à talons, du rouge à lèvres, un string en dentelle ou emporter une brosse à dents dans son sac à main, elle pensait à Petit Cœur. » Jessica seule dans une chambre met en scène une triangulation amoureuse à l’heure des injonctions féminines contradictoires, des réseaux sociaux, et des stéréotypes genrés toujours vivaces. Deux jeunes filles d’une vingtaine d’années à Paris, une brune et une blonde : Jessica, séductrice aguicheuse, et Louise (alias Petit Cœur), intellectuelle de bonne famille, amoureuses d’un même jeune homme, Justin. Dans cette constellation souterraine de désir, de quête de reconnaissance et de recherche de soi, s’invite une hydre puissante et dévastatrice, la jalousie, qui ravage les existences et les paysages mentaux de Louise et de Jessica. Le texte se construit autour d’une polarisation de leurs discours intérieurs, où se déchainent les fantasmes les plus intenses de chacune, qui devient fascinée et obsédée par l’autre. Jessica enrage face au charme naturel de Louise, et son aisance sociale au sein d’un monde auquel elle n’aura jamais accès. Quant à Louise, elle se sent menacée par l’attitude sulfureuse de sa rivale, qui obéit à des codes dont elle n’a pas les clés, qu’elle méprise tout en reconnaissant leur mystère et leur efficacité.

La couvertre du deuxième roman de Joy Majdalani publié chez Grasset.

On pourrait reconnaître en Jessica l’héroïne du Goût des garçons (Grasset, 2022), quelques années plus tard, avec une continuité des thématiques, la séduction féminine, la conscience de ce pouvoir, la manière dont il est utilisé…« Après avoir écrit sur l’adolescence, j’ai eu envie de m’intéresser à la vingtaine, et explorer cet âge charnière », précise Joy Majdalani de sa voix fluette et rieuse. La romancière semble avoir mis d’elle-même dans ses deux personnages féminins. « Je ne me suis pas projetée dans l’une ou l’autre, j’ai égrené différents aspects chez Louise et Jessica. Ce que j’ai voulu analyser, c’est la jalousie, un sentiment que je ressens fréquemment. Il est considéré comme honteux et on a tendance à le cacher. Or je crois qu’il nous renseigne beaucoup sur qui on est, qui on aime, ce que l’on veut… Cette émotion intense nous indique des éléments précieux sur notre être et notre rapport au monde », ajoute la jeune romancière.

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La performance narrative de la jalousie au sein du texte de Jessica seule dans une chambre (Grasset) est remarquable, elle s’exprime de différentes manières, par des mots, des gestes et par des fantasmes ravageurs. « J’ai voulu montrer comment une obsession envahit un espace mental, on en arrive à une expérience de possession qui efface tout le reste », poursuit l’autrice. Le corps de Jessica, qu’elle scrute en permanence, semble se métamorphoser selon les vagues de la jalousie ressentie. « Quand elle constate que son corps a changé et qu’elle a grossi, l’idée est surtout de montrer que la perception qu’elle a de son corps change en permanence. Elle est sans cesse en train de l’ériger en instrument tout puissant, qui peut tout lui valoir dans la vie, ou alors comme une sorte de poids qu’il faudrait polir, discipliner sans cesse, et qui n’est pas assez bien pour qu’elle puisse être aimée. Beaucoup de jeunes femmes sont tiraillées entre ces deux extrêmes  ; le corps de Jessica n’est jamais le support qui lui permet d’être », explique Joy Majdalani. La relation biaisée avec le corps semble correspondre à une difficulté plus générale de positionnement par rapport aux autres. Les deux héroïnes, chacune dans son style, tentent de correspondre à des diktats différents, et intériorisés. « Louise incarne une certaine bourgeoisie éduquée, pour qui la réussite académique puis professionnelle est primordiale, elle est navrée de constater que tout cela ne suffit pas à lui donner bonheur et apaisement. Elle se demande si elle ne devrait pas davantage accorder d’importance à son physique, préoccupation qu’elle a longtemps considérée comme superficielle, voire immorale », ajoute l’écrivaine qui a élu domicile à Antibes.

Où sont passés Metoo, la sororité…

Au fil de la lecture, on peut se demander où est passé #Metoo, dans l’attitude de Jessica, qui assume avec une sincérité sans filtre ses stratégies d’allumeuse. Quant à l’animosité dévastatrice entre les deux jeunes filles, qui s’en remettent au jugement masculin pour trancher, elle n’est pas vraiment dans l’air du temps de la sororité.

« Ce qui m’intéresse, c’est l’âme humaine, où on trouve de la jalousie, de la haine, de l’amour, de l’amitié, de la passion, des ambiguïtés. Je ne suis pas contre la sororité dans la vie, mais c’est un outil. Là, ce sont deux êtres humains dont les liens passent par des nuances infinies, de la haine au désir, et à l’amour. Elles traversent tout cela ensemble, leur relation est intense et complexe. La tentation de la sororité n’est qu’une partie de cet éventail, même si elle ne vient pas à l’esprit de Jessica, qui est trop égocentrée », précise Joy Majdalaini en riant. « Lorsque Louise se moque de Jessica avec son amie Maud, il y a une résurgence de sororité car elle a des scrupules à se moquer d’une femme trop légère, même si elle considère ensuite que c’est aussi une façon d’être féministe en revendiquant autre chose pour une femme que la posture séductrice » poursuit-elle.

On comprend en lisant Jessica seule dans sa chambre (Grasset) qu’il s’agit d’une héroïne moyen-orientale. « Mes lecteurs d’origine arabe le perçoivent. Dans le rapport de Louise, de Justin et du groupe d’amis avec Jessica, il y a ce regard de la bourgeoise française sur les filles inconséquentes, artificielles, qu’ils ne considèrent pas comme très malignes. J’évoque ce mépris de classe, le racisme qu’il peut y avoir dans le stéréotype de la petite Orientale légère. Jessica me fascine, elle a une dimension grotesque et excessive, mais j’ai une immense tendresse pour ces personnes qui prennent l’esthétique très au sérieux, et j’ai voulu donner un vrai traitement littéraire à ce personnage », revendique l’autrice avec conviction.

Ce qui réunit ces jeunes Parisiens, c’est qu’ils sont extrêmement malheureux. « Ils sont en quête d’eux-mêmes et ils s’utilisent les uns les autres pour accéder à ce qu’ils imaginent être le bonheur. À la fin, ils ont traversé leurs vies respectives, et se sont à peine effleurés car ils n’en ont pas les moyens. Aucune relation ne peut nous sauver de nous-mêmes », conclut la jeune femme.

La scène liminaire de Jessica seule dans une chambre évoque une jeune fille qui admire ses atours devant un miroir, au point de « se faire envie elle-même ». Peut-être son éducation sentimentale au fil du roman la conduira-t-elle vers une confrontation à un autre miroir, moins gratifiant sur les réseaux sociaux, l’introspection ?

« À chaque fois qu’elle se préparait pour leurs rendez-vous, choisissant la longueur de la robe qu’elle mettrait, décidant s’il faudrait porter des bottines à talons, du rouge à lèvres, un string en dentelle ou emporter une brosse à dents dans son sac à main, elle pensait à Petit Cœur. » Jessica seule dans une chambre met en scène une triangulation amoureuse à l’heure des...
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