
Charif Megarbane, un artiste aux multiples casquettes. Photo Mohamad "Rifo" al-Rifai
Artiste aux multiples casquettes, multi-instrumentaliste, et multiculturel, Charif Megarbane est de ceux que l’on ne peut mettre dans une case tant il brasse de genres musicaux et tant ses inspirations sont multiples.
Capable de citer aussi bien des beatmakers hip hop comme Madlib ou J Dilla que des artistes africains aux sonorités riches comme Toumani Diabaté, ou encore de grands compositeurs de bandes originales comme Ennio Morricone ou François de Roubaix, cet artiste d’une polyvalence rare, poursuit sa collaboration avec le label berlinois Habibi Funk tout en concoctant ses nombreux projets annexes sur son propre label Hisstology.
Rencontre, à l'occasion de la sortie de Hamra/Red et pour marquer le premier anniversaire de Marzipan, premier album d'un artiste contemporain chez le label berlinois d'ordinaire dédié aux rééditions musicales du monde arabophone.
Charif Megarbane a intégré il y a deux ans le label berlinois Habibi Funk. Photo Mohamad "Rifo" al-Rifai
Le projet « Hamra/Red » a une direction artistique centrée sur la couleur rouge, et le titre fait notamment référence au quartier beyrouthin de Hamra. Que représente ce quartier pour vous ?
Pour remettre en contexte, le projet Hamra/Red n’est pas la suite officielle de Marzipan.
C’est une sortie en édition limitée (172 vinyles avec des couvertures uniques incorporant des Polaroids) qu’on a faite avec Habibi Funk un peu à la manière des beat tapes de hip hop. Des productions instrumentales créées par un producteur/beat maker, qui sont compilées dans un album, comme par exemple la série d’albums instrumentaux de MF Doom The Special Herbs. Ce ne sont pas des choses qui ont été étudiées de manière aussi expansive que Marzipan. C’est une approche assez ludique, dans un format assez court, un peu à la manière de ce que j’ai pu faire sous mon propre label Hisstology avec la série d’albums The Submarine Chronicles par exemple.
Nous nous étions mis d’accord sur le thème des couleurs primaires, et le premier que nous voulions sortir, c’était le rouge donc nous nous sommes concentrés sur cette couleur, du titre à la pochette en passant par la track-list. Le nom arabe, Hamra, est un petit clin d’œil discret au quartier.
Une certaine nostalgie se dégage de « Hamra ». Par exemple, la musique de « Pomegrenate » notamment au niveau de la mélodie principale. Cette dernière fait-elle le lien avec une chanson existante ?
Non, je l’ai composée seul. Cela dit, Pomegrenate est une référence directe à un certain son des années 1960-1970 avec un rythme un peu dégoulinant à la limite du vulgaire, mais c’était voulu.
En réalité, j’aime bien les sonorités directes, c’est-à-dire lorsque tu entends un son ou une certaine texture qui tout de suite t’évoque quelque chose. Et ces sonorités directes peuvent être perçues comme naïves, d’où cette impression (de déjà-vu, NDLR) qui s’en émane. Mais j’essaie aussi de jouer avec les textures musicales tout en les rendant modernes, sinon ce serait trop facile.
« Marzipan » a 1 an. C’était votre première sortie à votre nom chez Habibi Funk (si on retire le EP « Tayyara Warak »). Est-ce que cet album associé au label vous a permis de partager votre musique avec plus de monde ?
Oui, ça a changé pas mal de choses. Sur mon label Hisstology, que je gère avec mon ami d’enfance et manager Rabih Daher, je sortais la musique de manière mécanique et compulsive. Je ne mettais même pas mon nom en avant pour créer un univers musical à part entière de sorte à ce qu’on ait l’impression qu’il y ait plusieurs artistes sur le label alors que globalement ce n’est que moi.
Quand Habibi Funk m’a invité à sortir de la musique chez eux, étant donné leur force de frappe et de distribution très large, ça m’a fait gagner tout un nouveau public, l’idée étant de signer de mon nom et de me présenter comme un compositeur dans la lignée des autres musiciens de leur catalogue.
Ma collaboration avec Habibi Funk est positive car ils comprennent mon rythme de travail et ma vision.
Beaucoup de bruits du quotidien se dégagent de « Marzipan ». Comment choisissez-vous ces sons et comment faites-vous pour les inclure dans votre musique ?
En effet, j’aime bien inclure ces petits bruits qui modernisent la texture du son. De plus, c’est une façon d’humaniser le son car quand on écoute de la musique instrumentale, ça peut vite devenir abstrait. Et dès que l’on rajoute ces petits sons, ça permet d’instaurer un certain cadre en fonction de ce que je souhaite évoquer.
Et vu qu’aujourd’hui, on a tous plus ou moins un téléphone avec un enregistreur, parfois quand je me retrouve dans certains endroits, j’ai tout de suite le réflexe d’enregistrer les sons ambiants pour les utiliser, que ce soit une porte qui grince ou un chant de cigales. C'est également une manière de suivre cette idée d'enregistrer de la musique comme si c'était un carnet de bord, en mélangeant la composition et certains bruits ambiants de la même semaine afin qu'ils ne fassent plus qu'un.
Vos inspirations sont multiples, et récemment sur Instagram vous avez posté un hommage à Toumani Diabaté, un musicien malien et l'un des plus grands joueurs de kora de son temps. Quelle place occupe la musique africaine dans vos inspirations ?
La musique ouest-africaine m’inspire énormément, plus précisément celle du Mali mais aussi celle du Ghana ou encore du Sénégal. Donc j’ignore si c’est conscient ou pas, mais sur Marzipan, bien qu’il n’y ait pas énormément d’influence africaine, on peut distinguer quelques références à certaines sonorités issues de la région de la corne de l’Afrique (Éthiopie, Soudan etc.)
Quel album de votre discographie recommanderiez vous à quelqu’un qui souhaite découvrir votre musique sur Hisstology ?
Il y en a plusieurs qui me viennent en tête mais j’en recommanderai deux en particulier.
Le premier, c’est par Préfaces, un des groupes que j’ai coformé avec deux collègues musiciens libanais : Salim Naffah (Alko B) et Pascal Semerdjian (Postcards, Sanam). L'album « Hippodrome » est très influencé par la musique surf. Il a été conçu de manière très organique, entièrement façonné au Liban, par des libanais. Il a été enregistré à Tunefork Studio avec le support de Fadi Tabbal et masterisé par Ziad Sidawi. Les titres des morceaux font tous référence à des chevaux de course de l'hippodrome de Beyrouth. Par ailleurs c'est le 100e album sorti sur Hisstology.
Ma deuxième recommandation concerne la série d’albums The Submarine Chronicles que j’ai évoquée plus tôt. Elle contient 10 volumes chacun couvrant un style ou thème musical précis (bebop, course poursuite en voiture, krautrock, reggae , musique ambiante, etc.). Malgré la diversité de styles, je me suis imposé des balises. Chacun de ces albums ne dure pas plus de 30 minutes et j’ai moi-même réalisé les pochettes en suivant certains codes esthétiques pour les visuels.
Auriez-vous un ou plusieurs albums de vos écoutes personnelles à recommander ?
Nous avons évoqué Toumani Diabaté un peu plus tôt, j’aimerais recommander l'un de ses l’albums, The Mande Variations. C’est un album d’une sensibilité et d’une sérénité incroyables.
Sinon, plus récemment, je peux recommander l’album Open Me a Higher Consciousness of Sound and Spirit de Ethnic Heritage Ensemble, et pour revenir au Liban, je recommande aussi Aykathani Malakon qui est le premier album du groupe Sanam.
Ses titres sont joués sur les ondes des radios Canadiennes. Super talentueux musicien. Merci pour cet article
00 h 33, le 22 août 2024