Doublement crucial est l’actuel round de négociations indirectes entamé jeudi à Doha entre Israël et le Hamas palestinien avec l’aide des médiateurs américains, égyptiens et qataris, et qui se poursuivra la semaine prochaine au Caire. L’objet n’en est pas seulement une trêve durable à Gaza où le bilan des bombardements vient d’enfoncer l’épouvantable barre de 40 000 morts, en très grande majorité d’innocents civils. Même temporaire, un arrêt des hostilités dans l’enclave palestinienne– assorti d’un premier échange d’otages et de prisonniers et d’un retrait partiel israélien – aurait surtout pour effet de parer au plus pressé, de désamorcer un embrasement régional. Car c’est bien cette effarante éventualité que laisse craindre l’engagement de l’Iran à venger durement l’assassinat sur son sol, par Israël, du leader du Hamas, Ismaïl Haniyé : menace déjà brandie par le Hezbollah en deuil, lui, de son commandant militaire Fouad Chokor.
Si les discussions échappent cette fois à la morne et décevante routine, c’est aussi parce que des contextes nouveaux viennent de prendre forme. Ces changements ont trait au profil que présentaient jusqu’à ce jour les deux principaux protagonistes du drame de Gaza. Ils remettent sur le tapis ce vieux débat sur l’aptitude des dirigeants politiques, ou au contraire des généraux, à juger de l’opportunité d’un recours aux armes ; d’en évaluer correctement les dividendes à en tirer en cas de victoire, mais aussi de prévoir la facture à régler s’il s’avérait impérieux d’arrêter les frais. Mais la première règle de l’art de la guerre n’est-elle pas au fond d’éviter la guerre, comme le recommandait un vieux sage chinois ?
Ce précepte empreint de raison, c’est avec la même et froide désinvolture que le Hamas et Israël n’en ont eu cure. En lançant son opération d’octobre 2023, le premier ne pouvait ignorer à quelles terribles représailles il exposait la population de Gaza ; sans doute estimait-il que ce n’était pas trop cher payer un dépoussiérage intensif de cette pauvre cause palestinienne qui, décennie après décennie, s’enfonçait inexorablement dans l’indifférence et l’oubli de la communauté internationale. Et c’est en exploitant à chaud le vif émoi causé par les atrocités commises ce jour-là contre des civils que Benjamin Netanyahu, fuyant ses démêlés avec la justice et sa responsabilité dans les failles sécuritaires de la forteresse Israël, a cru trouver son salut dans l’expédition punitive qu’il lançait dès le lendemain de l’assaut.
Dix mois après, le Premier ministre israélien se retrouve cependant en butte à une somme de pressions d’une ampleur sans précédent. La colère des familles d’otages, qui lui reprochent son peu d’intérêt pour leur cause, ne cesse de croître. Une fois camouflées ses divergences avec l’état-major militaire sur la conduite de la guerre, c’est son propre gouvernement qui risque l’éclatement, avec la fronde du ministre de la Défense et les provocations que multiplient les ultras en Cisjordanie occupée. Mais surtout jamais depuis le début de la crise, l’administration US, obnubilée par les risques de guerre régionale, n’a paru plus déterminée à pousser le protégé israélien sur la voie de la négociation. Même Donald Trump se met de la partie quand il révèle avoir littéralement signifié à Netanyahu que la tuerie doit cesser…
Mais qu’en est-il des dispositions réelles du Hamas ? Israël a tué le chef de cette organisation islamiste, mais c’est pour le voir remplacer au pied levé par l’architecte du Déluge d’al-Aqsa. Il a éliminé un personnage passant pour modéré et pragmatique pour se retrouver face à l’architecte de Déluge d’al-Aqsa, ce mort qui marche encore, comme se plaisent les Israéliens à désigner Yahia Sinouar. Un mort en sursis, peut-être bien, compte tenu de la politique d’assassinats ciblés que l’État hébreu se flatte avec impudence d’avoir érigée en doctrine. Reste le fait qu’en attendant, ce mort potentiel qu’est Sinouar porte les deux casquettes de chef politique et militaire ; c’est lui qui de son bunker souterrain de Gaza, et à l’aide de frustes instructions écrites échappant à toute traque électronique, parle pour le Hamas.
Peut-on escompter quelque concession d’un homme réputé irréductible et qui a passé 22 ans dans les geôles israéliennes ? Le Hamas reviendra-t-il sur son rejet des propositions avancées hier par les médiateurs à Doha et dans lesquelles il voit de nouvelles conditions israéliennes ? Maître incontesté de son champ de ruines, Sinouar n’est pas pour autant totalement libre de ses décisions. Il ne peut qu’être sensible aux conseils de ses généreux donateurs du Qatar ou encore de ses voisins égyptiens ; mais c’est surtout de son sponsor, l’Iran, que viendra la consigne : un Iran apparemment aussi désireux que son Satan yankee d’éviter la conflagration générale. Ils ne sont guère les seuls, au demeurant, comme l’illustre le carrousel diplomatique dont notre région est en ce moment le théâtre.
Reste évidemment les impondérables, dont cette même région est funestement familière. De la détermination présumée de Washington à la flexibilité encore plus hypothétique d’Israël et du Hamas, en passant par la prudence supposée de l’Iran et de ses alliés, il est vrai que les incertitudes sont foule. Mais après tout, n’est-ce pas seulement en enchaînant les si que l’on arrive à s’orienter sur ces terres d’égarement ?
Issa GORAIEB