Malgré les tensions géopolitiques croissantes à la suite de l’assassinat par Israël, la semaine dernière, de Fouad Chokor du Hezbollah et d’Ismaïl Haniyé, chef de la branche politique du Hamas, le 30 juillet dernier les prix du brut sont restés relativement stables : l’indice West Texas Intermediate (WTI) a enregistré une légère baisse la semaine dernière, passant de 75,30 dollars à la clôture le 30 juillet à 73,26 dollars le baril à la clôture mardi 6 août (avec un pic à 78,52 dollars au lendemain de l’attaque), tandis que les prix du Brent de la mer Nord, l’indice de référence en Europe, ont oscillé entre 78,55 et 76,59 dollars le baril sur la même période (avec un pic à 81,46 dollars au lendemain de l’attaque).
Carole Nakhle, PDG de Crystol Energy, société de conseil basée au Royaume-Uni, revient pour L’OLJ sur les principaux facteurs de cette stabilité surprenante.
Pourquoi les prix du brut ont-ils si peu varié sur les marchés pétroliers malgré les tensions croissantes au Moyen-Orient la semaine dernière ?
L’image qui reste gravée dans la mémoire de la plupart des gens est celle qui associe l’instabilité au Moyen-Orient – plus grande région productrice de pétrole – à la flambée des prix, ce qui a effectivement été le cas pendant des décennies...
Aujourd’hui, cette instabilité dépasse largement le Moyen-Orient – avec la guerre de Gaza, les tensions en mer Rouge et les attaques réciproques entre Israël et l’Iran –, et nous avons également une guerre en cours en Europe impliquant le troisième plus grand producteur de pétrole au monde (derrière les États-Unis et l’Arabie saoudite) : la Russie. D’autres acteurs majeurs du marché, comme l’Iran et le Venezuela (qui détient les plus grandes réserves prouvées de pétrole au monde), ne produisent pas non plus à pleine capacité. À cela s’ajoutent les importantes réductions de production de l’OPEP+ (une initiative qui comprend les 12 membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole et leurs alliés parmi les autres gros producteurs, dont la Russie). Il y a quinze ans, cette pléthore de crises géopolitiques aurait fait grimper en flèche les prix du pétrole, mais les conditions sont bien différentes aujourd’hui.
Depuis quelques années, les marchés sont entrés dans une nouvelle ère où le lien entre stabilité régionale et prix du pétrole s’est affaibli. La révolution du schiste – c’est-à-dire la combinaison de la fracturation hydraulique et du forage horizontal – a permis aux États-Unis d’augmenter leur production d’hydrocarbures de manière exponentielle après 2008, et par ailleurs de changer leur approche vis-à-vis du Moyen-Orient dont ils sont moins dépendants. Elle a également apporté une nouvelle source d’approvisionnement importante qui arrive beaucoup plus rapidement sur le marché que le pétrole conventionnel. Des acteurs autres que les membres de l’OPEP+, tels que la Guyane, le Canada et le Brésil, ont également contribué à l’augmentation de l’offre.
Dans le même temps, la demande n’augmente plus aussi rapidement qu’auparavant, notamment en raison des problèmes structurels et économiques qui ont frappé le plus grand importateur au monde, la Chine, ainsi que des difficultés économiques persistantes dans d’autres grandes économies.
Quelle est la différence entre la situation actuelle et celle de 1973, année du premier choc pétrolier ?
La situation est très différente aujourd’hui. En octobre 1973, les producteurs de pétrole arabes ont interrompu leurs exportations vers les pays qui soutenaient Israël pendant la guerre du Kippour. Combiné à une série de réductions de la production, l’embargo a fait presque quadrupler les prix du pétrole en l’espace de quelques mois, avant de provoquer une grave crise énergétique et économique mondiale s’en sont suivies.
À l’époque, l’OPEP produisait la moitié du pétrole mondial, plus de 50 ans plus tard, cette part est tombée à environ 36 %. De même, la part du pétrole dans le bouquet énergétique primaire mondial est également passé d’environ 50 % à environ 30 %, tandis que l’intensité pétrolière – ou le volume de pétrole nécessaire pour obtenir une unité de produit intérieur brut (PIB) – a également diminué de près de 60 %. Tous ces facteurs témoignent non seulement d’une amélioration de l’efficacité pétrolière, mais aussi d’une diminution de l’importance globale du pétrole dans la société.
Par ailleurs, les grands consommateurs de pétrole détiennent des stocks qui peuvent être mis sur le marché pour atténuer l’impact sur les prix et protéger les économies locales en cas de perturbations importantes de l’approvisionnement.
Qu’est-ce qui pourrait faire grimper les prix du pétrole aujourd’hui ?
Ce qui pourrait faire monter les prix en flèche aujourd’hui, ce sont des perturbations importantes et plus durables de l’approvisionnement en pétrole. C’est un scénario que nous envisageons toujours, notamment en raison de l’instabilité géopolitique actuelle, mais plusieurs forces doivent converger pour créer un choc plus durable que les hausses temporaires.