Plusieurs centaines de personnes sont rassemblées devant le port de Beyrouth dimanche, pour demander justice, quatre ans après la double explosion meurtrière du 4 août 2020.
Peu avant 18h, les noms des victimes sont lues au micro par le frère de l'une d'entre elles. S'en suit une minute de silence, au cours de laquelle sont diffusés un enregistrement de l'explosion, des cloches d'église et un appel à la prière musulmane.
« Pendant les quatre dernières années, nous nous sommes battus pour la justice, même lorsqu'on nous a battus et qu'on a essayé de nous arrêter », lance, sur la scène installée devant le port, Cécile Roukoz, dont le frère Joseph a été tué dans l'explosion. Elle énumère ensuite les dirigeants tenus pour responsable du drame, qui sont hués par la foule, tandis que certains manifestants scandent « terroriste, Hezbollah terroriste ». Prenant ensuite la parole, Mariana Fodoulian, la soeur de Gaia, une des victimes, a mis en garde contre toute reconstruction du port et destruction des silos à blé avant que l'on ne sache la vérité. Après elle, la mère d'Elias Khoury, un adolescent tué par la déflagration, a appelé à une enquête internationale et à ce que « les membres du Conseil des droits de l'homme de l'ONU nous aident à faire justice ». Paul Naggear, le père d'Alexandra, l'une des plus jeunes victimes, a salué la présence des centaines de manifestants. « On nous a dit qu'il n'y aurait pas grand monde, mais le fait que nous sommes tous présents aujourd'hui est un témoignage de solidarité », a-t-il affirmé, traitant les responsables politiques « d'ordures ».
« Aux côtés des martyrs du Liban-Sud »
« Nous sommes là pour la quatrième année consécutive », déplore ensuite William Noun, frère de Joe, un des pompiers tués. Il pointe du doigt le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah. « Le Sayyed ne montre de l'affection que pour les gens du Sud », dénonce-t-il. « Nous sommes aux côtés des martyrs du Liban-Sud, même s'ils sont membres du Hezbollah, mais pourquoi eux ne sont-ils pas solidaires de nos martyrs ? », lance-t-il, alors que la foule l'applaudit. Les discours se sont terminés avec les mots de la mère de Lara Hayek, plongée dans le coma depuis quatre ans : « Le coeur de ma fille continue de battre, mais son corps est mort ».
Concernant la participation relativement timide au sit-in, le père de Sahar Farès, l'une des secouristes au sein de l'équipe des pompiers, Georges, avance que « chacun a ses raisons ». « Nous avons besoin que tout le monde se souvienne que si ce nos enfants qui sont morts le 4 août, demain ca pourrait être les leurs ». Elyssa, une manifestante, estime, elle, que la participation peu nombreuse est due à « la perte de tout espoir ». « On nous a battus encore et encore, et nous perdons espoir que les choses s'améliorent un jour », a-t-elle confié à L'OLJ.
A l'arrivée des manifestants devant le port, les manifestants se sont rassemblés autour de familles des victimes et un grand moment d'émotion a pris les personnes présentes, lorsqu'un camion de pompiers, toutes sirènes hurlantes, est arrivé sur le lieu du rassemblement. Un drapeau maculé de taches de sang est accroché sur le véhicule. Sur place, des femmes, proches des pompiers tués le 4 août dans la déflagration, sont en pleurs, rapporte notre journaliste sur place, Zeina Antonios. Les dix pompiers qui avaient été dépêchés pour éteindre l'incendie dans le hangar 12 - Joe Bou Saab, Sahar Farès, Mithal Hawa, Charbel Hitti, Najib Hitti, Rami Kaaki, Charbel Karam, Elie Khouzami, Ralph Mallahi et Joe Noun - ont tous été tués par la déflagration.
« Leur sang est sur vos mains »
Michelle Douairy, une femme d'une trentaine d'années, porte un T-shirt portant en arabe le message « Victimes du 4 août, leur sang est sur vos mains, nous n'oublierons pas vos crimes ». « Mon message aux responsables qui ont causé l'explosion est qu'il faut juste qu'ils aient un peu d'humanité », confie-t-elle à notre journaliste Marguerita Sejaan.
Non loin de là, d'autres activistes et membres des familles plantent des panneaux à l'effigie de plusieurs hommes politiques, notamment les ex-ministres Ghazi Zeaïter, Nohad Machnouk et Youssef Fenianos, mis en examen dans l'affaire. « Criminels », peut-on lire sur ces pancartes, éclaboussées de peinture rouge sang. L'enquête de la justice locale sur le drame, menée par le juge Tarek Bitar, est au point mort depuis février 2023 en raison d'ingérences politiques de tous bords et de recours à répétitions contre le magistrat.
Provoquée par l'inflammation de grandes quantités de nitrate d'ammonium mal stockées, cette explosion a tué au moins 235 personnes, en a blessé 6.500 autres et a dévasté des quartiers entiers de la capitale libanaise. Le nitrate d'ammonium est un composé chimique combustible couramment utilisé dans l'agriculture comme engrais, mais peut aussi contribuer à la fabrication d'explosifs. De nombreux anciens ministres sont pointés du doigt pour avoir été au courant de la présence de ces matières dans le port, depuis 2013, et ne rien avoir fait pour l'évacuer.
Avant de converger devant le port, deux marches distinctes avaient démarré, vers 16h30, de la place des Martyrs, dans le centre-ville, et de la caserne de pompiers du secteur de la Quarantaine. Sur les pancartes brandies par les manifestants déjà présents sur les lieux, des appels à faire justice « pour Beyrouth et le Liban ».
Lors de la marche ayant démarré du centre-ville, des manifestants ont marché derrière les familles des victimes et une camionnette, dont flottait un grand drapeau libanais. « Nous devrons marcher vers le port le jour où justice sera faite pour les familles. Mais aujourd'hui, c'est vers le Parlement que nous devrions marcher, c'est là que se cachent ceux qui ont tué nos proches », déclare Rawad Jalloul, un jeune d'une petite vingtaine d'années, keffiyé autour du cou.
« Rappel des atrocités »
Sur la place des Martyrs, Rima Zahed, la sœur d'une des victimes, a affirmé à L'OLJ que la commémoration de ce dimanche « se veut un rappel des atrocités » du 4 août 2020. « Mon frère ne reviendra pas, mais nous voulons rappeler aux gens que cela pourrait aussi leur arriver ». De son côté, Georges Pezekhian, le père de Jessica, tuée ce jour-là, a estimé que « la justice, c'est faire la vérité » sur ce qui s'est passé, c'est « faire payer les responsables, les gens qui étaient au courant de la cargaison » de nitrate d'ammonium, « qui ont accepté de l'argent et n'ont rien dit ». « Nous ne pouvons pas rester silencieux. Si nous restons silencieux, la porte se refermera à jamais ».
À la caserne de la Quarantaine, la promesse des proches des victimes à faire justice était inscrit sur un drapeau géant, déroulé dans la caserne d'où étaient partis les dix pompiers qui ont été tués dans la déflagration après avoir été envoyés au port pour y combattre l'incendie dans le hangar 12, où étaient stockées des centaines de tonnes de nitrate d'ammonium. « Nous jurons, au nom de toutes les victimes et de leurs proches éplorés, de lutter sans relâche jusqu’à ce que justice soit rendue », est-il notamment écrit de part et d'autre du Cèdre.
Près du drapeau, et sous une chaleur écrasante, trois amies, Dolly, Tania - qui a été blessée à Gemmayzé le 4 août - et Aida, qui manifestent tous les ans, ont affirmé à notre publication qu'elles « continueront à lutter ». « Nous n'allons pas leur laisser le pays », déclare Dolly. Interrogé par la presse, un homme ne parvient pas à parler à cause de l'émotion. « Si nous arrêtons, les gens vont nous oublier. Nous allons tout faire pour obtenir la vérite. Notre blessure est éternelle », affirme encore une mère de famille, qui a perdu son frère Rami Kaaki.
De nombreux responsables politiques et des ambassades à Beyrouth ont également rendu hommage dans la journée aux victimes dans des communiqués et publications sur les réseaux sociaux, appelant notamment à ce que justice soit faite.
Ils auraient dû clore la manifestation au palais de justice qui abrite tous les juges et magistrats vendus pour demander leur éviction. Un pays sans justice est un pays mort livré à la loi de la jungle. C’es t ce qu’est devenu notre pays.
10 h 38, le 05 août 2024