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Nos Lecteurs ont la Parole

Homo libanicus, sui generis ?

Si la révolte contre l’injustice est devenue un acte de traîtrise, il faut être fier d’être le plus grand des traîtres.

Si, pour certains, aimer la patrie correspond à une attitude de trahison, alors là il faut tirer honneur et satisfaction d’être le plus renégat des renégats.

Les « Judas » sont souvent ceux qui prétendent le plus ne pas l’être. Que de baisers cachent derrière eux l’hypocrisie du mensonge et que d’individus ont été lâchement vendus, en masse ou par tête de pipe, pour trente deniers d’argent ?

Tiraillés entre l’agir et le subir, entre la sauvegarde de l’intérêt général, le savoir-vivre collectif, le respect de l’ordre public et du bien public et la triste réalité déclinante qui nous oppresse chaque jour de plus en plus, nous sentons quelquefois à quel point on a à nous battre contre l’absurde, contre le mépris et contre notre propre lassitude. Et qu’il faut effectuer un gros effort personnel pour prendre cette résolution radicale de continuer à aller de l’avant en affrontant, avec obstination et de manière continue, la réalité en face. Une amère réalité qui est, de plus, outrageusement offensante.

Rien de plus répugnant que les faux-fuyants, les démagogues, les profiteurs, les rapaces, les paons, les girouettes et les caméléons, ô combien nombreux ces derniers temps, désastreusement.

Baudelaire (un de mes poètes préférés), ce poète inclassable par excellence, tellement il incarne l’expression du « moi » avec ses abîmes et ses profondeurs insondables. Ce poète qui pénètre extraordinairement l’intériorité, le caché et l’intime de la personne humaine dans toute sa complexité. À tel point qu’il donne à sa pensée poétique (qui relève du génie) son sens existentiel sublime. Il suffit de sonder les deux derniers vers du superbe poème intitulé « Au lecteur » où il met en valeur tout ce qui fait l’originalité et le charme étrangement paradoxaux de ses Fleurs du mal :

« Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat

Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère. »

Un poème dans lequel il expose cruellement, dans un tableau fascinant, tout ce qu’il y a comme faiblesses humaines et où il exhibe toutes sortes de vices, de bassesses, d’indécences... Pour terminer par une chute, qui fait ressortir impeccablement bien le génie et le talent de son auteur et qui exprime remarquablement le fait que le genre humain a très souvent été coulé dans le même moule et cousu selon le même gabarit. Un tableau violemment expressif de notre condition humaine qui fait constater que nous sommes tous, à de rares exceptions près, identiquement pareils et logés à la même enseigne.

Transposons l’idée de Baudelaire à notre modèle purement local, c’est à se demander essentiellement (et existentiellement) si le Libanais, foncièrement honnête, droit, intègre et loyal (et qui existe encore, fort heureusement), si ce dernier peut avoir les mêmes pensées, les mêmes valeurs, les mêmes principes que cet Homo libanicus, rien de plus individualiste, rien de plus égoïste, rien de plus vandale et rien de plus décevant. Cet Homo libanicus qui rejette en bloc tout ce qui a rapport à l’intérêt général, au bien commun, au civisme, à la bonne citoyenneté, à l’ordre public et au savoir-vivre collectif. Certaines conduites largement répandues nous portent à nous demander, en toute conscience tranquille, si, à la limite, Baudelaire avait raison !

Comment un pur Libanais peut agir et se comporter en favorisant ses petits intérêts égoïstes aux dépens de ceux de ses concitoyens et de ceux de la collectivité, en profitant seul des occasions, sans se soucier des autres et de leurs droits légitimes. L’expression « après moi le déluge » saute ici cruellement aux yeux.

Comment donc remédier à cette déficience fondamentale qui est particulièrement propre à une large tranche de citoyens chez nous ?

Un sujet qui mérite réflexion et approfondissement. Réflexion et approfondissement, certes, mais sans nullement perdre d’esprit le fait que notre lamentable « dawlé » porte, dans ce cas précis, une large part de responsabilité, du fait de son renoncement total à honorer ses obligations fondamentales envers ses citoyens. Même si, soyons réalistes, notre contexte actuel ne s’y prête pas trop, vu les agressions pernicieuses et les menaces insistantes de notre voisin du Sud, de triste mémoire.

Quitte à censurer mes propres idées, je préfère, par égard au droit à la différence qui permet de préserver la diversité culturelle et les libertés individuelles tant qu’elles ne nuisent pas aux droits des autres et pour ne pas froisser davantage certains esprits (très souvent saugrenus et incohérents), m’arrêter là. Il est plus sage quelquefois de cesser de parler de peur de sombrer encore plus dans l’acerbité et l’amertume.

En espérant que celles et ceux qui savent lire entre les lignes devinent le fond de ma pensée, après tout assez explicite, et qu’ils tirent les conclusions appropriées.

Note : Sui generis, terme latin de droit qui caractérise exclusivement quelque chose ou quelqu’un.

Avocat à la cour

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Si la révolte contre l’injustice est devenue un acte de traîtrise, il faut être fier d’être le plus grand des traîtres.Si, pour certains, aimer la patrie correspond à une attitude de trahison, alors là il faut tirer honneur et satisfaction d’être le plus renégat des renégats.Les « Judas » sont souvent ceux qui prétendent le plus ne pas l’être. Que de baisers...
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