La nuit était courte. L’étau se resserre. Et le scénario que l’on redoutait depuis des mois devient réalité. Nous, Libanais, allons encore une fois jouer avec la guerre comme d’autres jouent avec le feu. Peut-être allons-nous réussir à y échapper. C’est même probable, personne, y compris Israël, ne donnant le sentiment de vouloir s’embarquer pour le moment dans un conflit de grande ampleur et de longue haleine. Mais cela ne dépendra pas de nous. À aucun moment nous n’aurons notre mot à dire. Notre sort dépend des calculs stratégiques du Hezbollah – et par extension de l’Iran – et d’Israël. De Hassan Nasrallah, de Ali Khamenei et de Benjamin Netanyahu.
La tension est déjà très élevée. Elle va encore monter, jusqu’à la riposte israélienne à la frappe attribuée au Hezbollah contre la ville de Madjel Chams dans le Golan occupé. Beyrouth sera-t-elle visée ? Et l’aéroport ? Combien de vies seront fauchées au passage ? Et le Hezbollah acceptera-t-il de ne pas répondre à son tour ?
La séquence se terminera peut-être, on l’espère, sans trop de dégâts. Mais pourquoi un pays déjà au bord de l’implosion doit-il vivre tout cela ? Pourquoi le sud du pays doit-il subir cela au quotidien depuis bientôt dix mois ? Au nom de quel dessein ou de quel idéal 107 civils ont-ils été tués, des dizaines de milliers d’autres déplacés, des terrains entiers brûlés et des milliards de dollars partis en fumée ?
Le Hezbollah fait ce qu’il a à faire. On ne passe pas du rang de petit groupuscule de résistance au statut d’acteur régional pouvant menacer Israël et les États-Unis en promouvant la paix, la démocratie et les droits de l’homme. Le parti libano-iranien défend les intérêts stratégiques de son créateur, qui sont également le plus souvent les siens et qui lui ont permis de devenir en quatre décennies le léviathan contesté du Liban et l’une des plus redoutables puissances militaires de la région. Les dix derniers mois l’ont encore fait changer de dimension. L’autoproclamé « axe de la résistance » n’est pas loin d’obtenir une victoire historique. Le Hamas résiste. Les houthis font peser une menace sur tout le Golfe et une partie de la Méditerranée. Le Hezbollah fait le dos rond. Et l’Iran se rapproche, encore et toujours, de la bombe.
Tout cela demeure très fragile et peut changer très vite. Alors, s’il veut encaisser ses gains, le Hezbollah doit tenir, sans rien céder, et sans se laisser entraîner dans une guerre totale dont il ne veut pas et dont une grande partie des Libanais le tiendraient pour responsable. Dans cette logique, la sienne – uniquement la sienne –, il fait de son mieux.
Et nous, nous ne faisons rien. Certains optent pour la surenchère. Elle leur permet de consolider leur base, le plus souvent grâce à des ressorts identitaires. On crie, on insulte, on menace. Mais tout cela n’est, au fond, que de la gesticulation. Voilà bien longtemps que le Hezbollah n’est plus un État dans l’État. C’est un État au-dessus d’un non-État.
Personne n’a les moyens de le briser. Et le prix serait dans tous les cas beaucoup trop élevé. Et personne ne tente de proposer une autre approche, en supposant, et il y a de quoi sérieusement en douter, qu’il y soit ouvert.
Dix mois après, nous sommes paralysés sur ce même point de départ. Nous assistons à la guerre la plus absurde de l’histoire sans essayer et probablement sans avoir les moyens de l’endiguer. Nous sommes coincés entre le marteau israélien et l’enclume du Hezbollah. Entre les 40 000 morts de Gaza et l’OPA de la milice pro-iranienne sur le Liban. Entre les séparatistes et les moumanaïstes. Sans que l’on parvienne à nous expliquer de façon convaincante à quoi et à qui ces dix derniers mois ont bien servi.
Chaque fois qu'on pense avoir atteint le fond de l'abîme le sol se dérobe encore et encore sous nos pieds. Aucun espoir...
17 h 53, le 30 juillet 2024