Pari(s) tenu. La météo capricieuse et l’opération de sabotage de plusieurs lignes de TGV découverte au petit matin vendredi n’ont pas manqué de donner quelques sueurs froides aux organisateurs. Mais les doutes ont vite été dissipés à partir de 19h30, coup d’envoi d’un défilé fluvial unique en son genre pour une cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques. Première parade à se tenir en dehors d’un stade depuis le début l’ère moderne de l’olympisme, née il y a 130 ans dans l’amphithéâtre de la Sorbonne à l’initiative du baron Pierre de Coubertin, le défi organisationnel et sécuritaire était de taille : 85 chefs d’État et de gouvernement étrangers, près de 320 000 spectateurs, 6 800 sportifs représentant 206 pays différents... Il fallait au moins 45 000 policiers et gendarmes et plus 10 000 militaires pour sécuriser les six kilomètres de long sur lesquels s’est déroulée la grande fête inaugurale de ces 33es olympiades. Et après avoir assisté à ces quatre heures de spectacle grandiose, on en viendrait presque à oublier les désagréments liés aux codes QR et aux murailles grillagées qui ont empêché Parisiens et touristes de circuler librement dans plusieurs quartiers de la ville au cours de la semaine.
« Chef-d’œuvre d’histoire et de surprise »
« La meilleure cérémonie de l’histoire » pour Marca, « chef-d’œuvre d’histoire et de surprise, de kitsch et de sport, d’art et de mode » pour le New York Times, « unique » et « éblouissant » pour la BBC et CNN… Les critiques internationales ont été dithyrambiques à propos d’un show largement salué à travers le monde pour son « audace ». L’interprétation magistrale de L’hymne à l’amour d’Édith Piaf par une Céline Dion qui n’était plus apparue sur scène depuis quatre ans en a cueilli plus d’un. Avant ce final en apothéose sur la tour Eiffel, le relais de la flamme olympique entre « Zizou » et Nadal, la chorégraphie de la garde républicaine pour accompagner Aya Nakamura, les prestations mémorables de Lady Gaga, Gojira, Juliette Armanet et des innombrables danseurs et artistes qui ont bravé la pluie battante n’ont laissé personne indifférent.
De là à ce que cette cérémonie fasse l’unanimité ? Ode à la diversité et à la richesse de « l’esprit » et de « la culture » français, pour les uns, ce mélange des genres, des goûts et des couleurs, qu’Emmanuel Macron a dû apprécier pour son éloge du « en même temps », n’a pas manqué de faire grincer quelques dents de l’autre côté de l’échiquier politique français. Dénonçant une « propagande woke », « décadente », voire un « saccage », les tenants de la droite réactionnaire se retrouvent pris à leur propre jeu : si prompts à défendre le « droit au blasphème » dans certains cas, ils crient à la profanation de Jésus et de ses apôtres à la vue d’un chanteur peinturluré en Dionysos bleu (presque) nu et entouré de quelques drag-queens sur une table faisant penser à la Cène christique de Léonard de Vinci. Thomas Jolly, directeur artistique de la cérémonie, a démenti le lendemain s'être « inspiré » de la Cène pour ce tableau.
« La fierté de notre pays »
Cette séquence controversée imaginée par l’extravagant Philippe Katherine a d’ailleurs provoqué l’embarras de plusieurs chaînes de télé étrangères, préférant diffuser d’autres images pendant le direct. Celle-ci a même été retirée du « replay » de la cérémonie disponible sur la chaîne YouTube du Comité olympique international.
Preuve s’il en fallait encore que ces Jeux ne seront décidément jamais épargnés par les polémiques. En attendant de savoir si la Seine sera « baignable » pour les épreuves en eau libre, la présence des athlètes israéliens n’a pas fini de faire couler de l’encre, après quasiment dix mois de guerre à Gaza, alors que les Russes et Biélorusses, contraints de concourir sous bannière neutre, étaient justement privés de cérémonie d’ouverture. Rappelons que quelques jours plus tôt, la photographe libanaise Christina Assi portait la flamme olympique dans les rues parisiennes sur son fauteuil roulant, près de dix mois après avoir été « délibérément » visée, avec le défunt Issam Abdallah et cinq autres confrères journalistes, alors qu’elle couvrait les affrontements transfrontaliers entre l’État hébreu et des groupes armés au Liban-Sud, près de Alma el-Chaab.
Au parc Monceau, l’un des 26 sites parisiens où la cérémonie était retransmise sur écran géant, la délégation de l’État hébreu a reçu un accueil disons… maussade. Des sifflets qui contrastent avec les hourras ayant accompagné le passage de son homologue palestinienne dans ce lieu où chacun se contentait jusqu’à présent d’acclamer l’apparition à l’écran du bateau de son propre pays. Comme Sarah, venue pour l’occasion avec son drapeau frappé du cèdre pour célébrer l’irruption de Laetitia Aoun et Simon Doueihy, les deux porte-drapeaux du Liban, ainsi que de Ray Bassil, Hady Habib, Benjamin Hassan, Philippe Wakim, Lynn el-Hajj et Maria Sahakian. « Même s’il pleut, je suis venue participer à la fête car c’est une occasion unique dans une vie de voir les JO dans la ville où on habite, raconte cette étudiante en médecine de 28 ans. Ces athlètes sont la fierté de notre pays, nous devons leur envoyer un maximum de soutien et espérer qu’ils nous feront rêver. »
Les sports de raquette à l’honneur
Toujours à la recherche de sa première médaille depuis le bronze décroché à Moscou en 1984 par Hassan Béchara, la délégation libanaise est presque au complet. Elle attend encore l’arrivée du judoka Caramnob Sagaïpov et peut-être d’un représentant supplémentaire en athlétisme après un feuilleton rocambolesque opposant la fédération et le comité olympique. Ses premiers membres ont en tout cas fait des débuts remarqués lors de ces deux premiers jours de compétition officielle. Les sports de raquette étaient à l’honneur, avec en ouverture un match de gala de Hady Habib face au prodige espagnol Carlos Alcaraz, samedi, sur la terre battue de Roland-Garros.
Entamée sur une défaite 6-3, 6-1, cette première campagne olympique du tennis libanais a été couronnée d’un premier succès dès le lendemain grâce à la performance de Benjamin Hassan, vainqueur 6-4, 6-2 de l’Américain Christopher Eubanks. Un premier tour qui a également souri à la doyenne de la délégation, la pongiste Maria Sahakian qui, à 47 ans, enregistre sa première victoire aux Jeux, huit ans après son échec d’entrée à Rio.
À l’heure où la frontière libano-israélienne a rarement paru aussi inflammable depuis le 8 octobre, ces récits sportifs peuvent parfois paraître dérisoires. Le vœu pieux d’une « trêve olympique » qui voudrait que les armes se taisent aux quatre coins du monde, tous les quatre ans pendant une parenthèse enchantée de quinze jours, semble plus utopique que jamais. Mais s’il fallait que le sport libanais se mette en veilleuse à chaque fois que la situation politique du pays l’imposait, autant tout de suite fermer la rubrique sport de L’Orient-Le Jour.