
Des œuvres exposées à la galerie Tanit sous l’intitulé « Allers-retours ». Avec l’aimable autorisation de la galerie Tanit
L’histoire commence il y a longtemps, lorsque Frédéric Husseini, alors directeur de la DGA (Direction générale des antiquités), croise la route de Noël Fattal, diplomate, mais à cette époque aux affaires culturelles du ministère des Affaires étrangères. En 2013, il est nommé ambassadeur à Budapest où Frédéric et Rita Husseini prennent des vacances. Il entreprend de leur montrer ses poèmes jamais publiés, et germe alors l’idée de ce travail à quatre mains et une voix qui reste en pause longtemps, mais qui renaît il y a quelques mois.
Des peintures, des poèmes et des QR code à scanner. Avec l’aimable autorisation de la galerie Tanit
72 textes pour autant de transcriptions
Pour Noël Fattal, le goût de l’écriture perce, comme souvent, en classe de seconde sous l’impulsion d’un professeur de poétique et de son père qui lui lisait des poèmes alors que sa mère l’initiait aux grands auteurs russes. Noël Fattal va asseoir cette propension à la suite d’une rencontre décisive en Algérie dans les années 2000. À son retour dans ce pays qu’il connaissait déjà, il rencontre Téric Boucebci, poète et auteur, fils de Mahfoud Boucebci, père de la psychiatrie algérienne assassiné en 1993. C’est d’ailleurs un des recueils de Téric Boucebci qu’il exhibe pour appuyer son intérêt pour ce poète qui initie la « poésie plurielle » espace de dialogues, qui permet une meilleure connaissance de l’autre. Un parallèle évident avec la démarche d’allers-retours qui propose les poèmes de Noël Fattal juxtaposés sur une planche, à côté de la transcription de Frédéric Husseini qui n’en est pas toujours une, selon que l’écriture se prête au figuratif ou l’abstrait.
Pour Noël Fattal, la contrainte olympienne, comme il le dit à L’OLJ, a été de choisir 72 textes courts pour une scénographie imaginée par Frédéric qui peint, à partir du papier imprimé de catalogues de ses expositions précédentes. Ce support est réinventé par l’artiste qui peint dessus à l’encre avec un pinceau, et au couteau pour l’acrylique qui tantôt masque totalement le motif et tantôt le rend translucide. Une contrainte supplémentaire, mais un avantage aussi pour l’artiste qui confère à l’œuvre un nouveau souffle qui le « guide sans lui imposer quoi que ce soit », explique Husseini.
Le travail essentiellement en noir et blanc joue aussi sur les contrastes, comme pour le poème Noir ou blanc où il utilise des couleurs vives. « Allers-retours » aborde un spectre de thèmes très large, allant de l’amour à la conscience écologique et politique en passant par des contemplations poétiques et le drame du 4-Août. C’est son épouse Rita qui a sélectionné les textes exposés non par thèmes mais par longueur de textes. « À la base, c’est un jeu créatif », dit Frédéric Husseini de cette fusion poésie/transcription qui permet de prolonger quelque chose qui existe déjà avec un regard neuf, d’y mettre des couleurs, d’y apposer une nouvelle écriture, une façon de s’approprier l’univers d’autrui, de s’y opposer aussi ou de le mettre en exergue. « Parfois c’est juste un élément du texte qui est représenté comme ce peut être beaucoup plus complexe », poursuit l’artiste. Une complexité qui peut se développer avec le rôle de Rita Husseini qui apporte sa voix à toute cette œuvre et qui ajoute une dimension auditive à l’exposition. Elle propose une interprétation personnelle des poèmes par la lecture qui ondule en ton, timbre et rythme et implique ainsi un engagement sensoriel différent de la part du spectateur qui, lui, devient la quatrième voix de cette exposition.
Chaque planche est en effet accompagnée d’un code QR permettant d’écouter la lecture du poème via un smartphone, et cette lecture autorise la mise en relief d’éléments qui auraient échappé à Frédéric Husseini ou qui les aurait éventuellement perçus autrement. Frédéric Husseini encourage d’ailleurs le public à interagir avec les œuvres, à dériver à partir de la trame artistique mise en place, rappelant que la poésie, souvent considérée comme hermétique, partage cette caractéristique avec la peinture. L’interaction entre peinture, poésie et lecture tisse un dialogue riche de sens qui approfondit l’expérience esthétique.
Lecture de poèmes au vernissage de l’exposition à la galerie Tanit. Avec l’aimable autorisation de la galerie Tanit
Un projet qui risque de se développer
Les artistes qui sont au centre de ces allers-retours sont par ailleurs tentés par le chemin inverse notamment, partir de peintures qui elles généreraient une écriture. « On va peut-être s’essayer au procédé, mais je pense que cela va être dur », confie le peintre qui ajoute qu’ils vont probablement rebondir sur ce qui a été fait pour aller vers des toiles plus grandes, explorer ce mini-univers qui a pris forme à partir de ces jeux-là.
L’artiste envisage, en outre, de s’aventurer à faire quelque chose qui part de cette phase pour devenir un intermédiaire de création avec des couleurs ou autre chose, qui relève beaucoup plus de l’abstraction que de la figuration. Il est d’ailleurs convaincu que la figuration reste limitée, même si derrière il y a un autre univers, alors que l’abstraction ouvre des portes surtout lorsqu’elle découle d’un texte qui offre des perspectives plus nombreuses. « Tout cela reste essentiellement un jeu qui invite le public à s’y mêler avec les yeux et les oreilles et qui en fait justement la quatrième voix », conclut Frédéric Husseini avec un enthousiasme rafraîchissant. Affaire à suivre donc.
« Allers-retours » est visible à la galerie Tanit, Mar Mikhaël, jusqu’au 1er août.