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Nos Lecteurs ont la Parole

Cœur ou bien rancœur ?

Dans toute mésentente grave, surtout celle qui laisse des blessures à l’esprit et à l’âme comme l’abandon, l’injustice, le rejet, l’humiliation, la trahison... le libre choix de pardonner, en fin de compte, revient logiquement à la victime. Et plus l’offense est grande, plus la blessure est profonde et plus il devient (sans pour autant que ça ne soit un dessein impossible à

réaliser) difficile de pardonner.

Mais, en contrepartie, plus le pardon est accordé gracieusement avec une sincère volonté de passer l’éponge et d’avancer, en toute bonne foi, vers des relations plus saines et plus harmonieuses, malgré l’intensité de la douleur morale, plus le mérite et le courage de celui qui l’accorde sont considérables. Et là réside particulièrement la grandeur du pardon dans toute sa noblesse.

La difficulté reste généralement entière, lorsque chacune des parties prenantes au litige se considère, à elle seule, au plus haut point de l’offense, la victime (avec un grand V) par excellence de l’altération des rapports en question. Il faut distinguer ici entre le pardon qui est, en général, un cheminement intérieur très souvent personnel et la réconciliation qui implique également une relation avec l’agresseur et des démarches de sa part.

Au niveau purement libanais, une question s’impose : elle réside dans le fait de savoir si dans notre cas particulier, il peut y avoir réconciliation nationale (ou même sociale), sans justice et vérité ? Si une réconciliation réussie peut être réalisée abstraction faite des paramètres de la vérité et de la justice ?

Pour répondre à cette question capitale, il est nécessaire de préciser que la condition sine qua non pour toute réconciliation est avant tout la bonne foi (ce qui, malheureusement, manque cruellement, chez nous, actuellement). La bonne foi, qui est, en deux mots, la loyauté, la probité et la sincérité avec la conscience d’agir sans intention de léser les droits d’autrui.

Sans bonne foi, il n’y a pas de justice ni de vérité. Sans bonne foi, nous rentrons ipso facto dans la dynamique du reproche, dans le cycle infernal de l’accusation et de l’accusation opposée. Ce qui donne, indéniablement, à toute possibilité de réconciliation, un effet contraire, un coup fatal à toute probabilité de rapprochement. Et là, c’est à se demander si, dans le paysage actuel du pays, on peut encore envisager de parler (en toute bonne foi) de ce concept de la bonne foi. Une notion, pour le moment, inopportune et déplacée, dans le contexte présent déclinant et qui menace de se dégrader encore et encore, malheureusement.

Pour revenir au thème de la réconciliation, il faut signaler que hormis l’aspect socioreligieux du pardon et du fait de ne plus vouloir tenir rigueur d’un grave outrage, et en dehors du côté purement juridique des normes qui ont pour objectifs d’absoudre certaines infractions ou d’exempter les peines de certains actes répréhensibles (telles les lois d’amnistie ou les grâces présidentielles), la question judicieuse d’actualité qui se pose chez nous est de savoir si la rémission d’une offense grave, dont un peuple entier a été victime, doit-elle être accordée à ceux qui en sont la cause ? En d’autres termes, doit-on absoudre les responsables des atroces injustices à l’égard du peuple et faire table rase de leurs agissements réprimables ? Pour être encore plus clair et cibler davantage le sujet, savoir s’il est possible d’entamer un processus de réconciliation, après des circonstances outrageusement désastreuses et néfastes de l’histoire récente d’un pays, de la part du peuple à l’égard de ceux qui en sont entièrement responsables ?

Pour répondre à cette question capitale et aboutir à un résultat tangible, il faut surtout insister sur quatre droits. Quatre droits indispensables à une véritable réconciliation en profondeur : le droit à la vérité, le droit à la justice (sans haine ni rancune), le droit à la réparation du préjudice, avec, indéniablement, le droit d’avoir une garantie de non-répétition du comportement nuisible. Sans parler d’une autre idée importante, basée principalement sur le sens du repentir et son incidence sur la notion du pardon octroyé. En insistant, au risque de me répéter, sur le pardon qui ne peut être accordé que dans la justice et la vérité.

Nelson Mandela n’a-t-il pas dit à juste titre que « la réconciliation est un processus spirituel, qui nécessite plus qu’un simple cadre juridique. Cela doit se produire dans le cœur et l’esprit des gens ».

La réconciliation est donc, avant tout, une disposition, un état d’esprit, une intention et, essentiellement, une décision ferme de vouloir tourner la page des conflits et de la discorde.

Il est primordial de donner à notre esprit le soin de réagir et de répondre, autant que faire se peut, à ces notions qui constituent matière à réflexion. Un sujet qui mérite approfondissement, même si, paradoxalement, nous vivons dans un contexte tendu à l’extrême, rien de plus chaotique, aux répercussions terriblement redoutables, où les égoïsmes sont légion. Tout cela, afin de repartir pour l’avenir, une fois pour toutes, sur de nouvelles bases saines et solides, de prévenir toute violation délibérée de droits et d’éviter tout climat d’impunité.

Les idées peuvent être intéressantes mais sont-elles réalisables, dans les conditions actuelles du pays ou bien, sommes-nous toujours condamnés à faire contre mauvaise fortune bon cœur ?

P.-S. : La question primordiale qui se pose actuellement, à mon avis, est de savoir si le peuple, par son silence actuel et son « laisser-faire, laissez-passer », n’a-t-il pas indirectement tourné la page et même gracié nos responsables (irresponsables) des crimes et scandales commis envers ce même peuple ? La liste est longue... le silence, malheureusement, est maître des lieux et dicte sa loi. Ce silence n’est-il pas aussi scandaleux ?

Michel Antoine AZAR

Avocat à la cour

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Dans toute mésentente grave, surtout celle qui laisse des blessures à l’esprit et à l’âme comme l’abandon, l’injustice, le rejet, l’humiliation, la trahison... le libre choix de pardonner, en fin de compte, revient logiquement à la victime. Et plus l’offense est grande, plus la blessure est profonde et plus il devient (sans pour autant que ça ne soit un dessein impossible à réaliser) difficile de pardonner. Mais, en contrepartie, plus le pardon est accordé gracieusement avec une sincère volonté de passer l’éponge et d’avancer, en toute bonne foi, vers des relations plus saines et plus harmonieuses, malgré l’intensité de la douleur morale, plus le mérite et le courage de celui qui l’accorde sont considérables. Et là réside particulièrement la grandeur du pardon dans toute sa noblesse. La difficulté...
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