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Rire - LOrientLeSiecle

La caricature n’est pas un art mineur

Arrêt sur un exercice journalistique souvent passé sous silence, le dessin satirique, à travers le regard d’un pionnier du genre dans la région. Diran, auteur des lignes qui suivent, occupe une place de choix dans le développement de cet art au Liban. Des décennies avant Pierre Sadek et Stavro, « ses débuts se confondent avec ceux du croquis satirique et on pourrait affirmer sans hésitation qu’il est un des plus importants promoteurs de la caricature politique », écrit « L’Orient-Le Jour » en 1973. Les extraits que nous publions font partie d’une conférence donnée au Cénacle libanais, le 10 mai 1954, sur « le rôle et la fonction de la caricature ». Cette causerie marque une date dans l’évolution du rire au Liban, puisque pour la première fois dans l’histoire culturelle, l’humour avait droit à la plus prestigieuse des tribunes de l’intelligentsia libanaise...

La caricature n’est pas un art mineur

1971, le hippy libanais vu par Stavro. Image tirée des archives de L'Orient-Le Jour

Le mot « caricature » vient de l’italien « caricatura », qui signifie charge, grossissement, donc exagération. Mais exagération raisonnée, formation voulue et intelligente. Lorsque nous regardons dans une glace déformante, les lignes et les volumes de notre personnage apparaissent étrangement déformés ; l’image que nous avons devant les yeux est amusante et comique, capable de déclencher le rire. Pourtant, il ne s’agit pas d’une caricature. C’est simplement la résultante irraisonnée de certaines lois d’optique.

Comme la glace déformante, un dessinateur même novice peut le plus facilement du monde rendre une image grotesque.

Mais le but de la caricature n’est pas seulement la déformation. Le caricaturiste doit observer, chercher l’expression et interpréter en chargeant la nature du personnage. Si la caricature enlaidit, ce n’est pas par plaisir d’enlaidir, mais pour arriver à donner une expression significative et représentative.

Ainsi l’artiste doit connaître à fond la psychologie humaine et l’art d’interpréter le caractère à travers la physionomie. Un nez aquilin peut être signe d’esprit ou de goût de domination. Un menton long peut signifier entêtement, ruse ou avarice… Les muscles se relèvent, chez ceux qui rient beaucoup, autour de leur bouche. Ils sont tombants chez les moroses, les déprimés, les pessimistes.

Le caricaturiste accentue fortement tout ce qui sort de l’ordinaire, allongeant ce qui est déjà long, élargissant ce qui est déjà large. Il procède à l’inverse du retoucheur et aggrave les imperfections de la nature ; le caricaturiste ne sait pas et ne doit pas faire des compliments.

L’homme en général cache ses défauts, le caricaturiste les dévoile et les souligne.

Au cours des années, la caricature progresse vers la simplicité. L’artiste continue à s’emparer des traits caractéristiques, mais écarte les détails inutiles, en conservant l’essentiel sur lequel il appuie.

On peut – chose inimaginable auparavant – représenter un visage sans nez, sans bouche, parfois même sans yeux. Lorsqu’un artiste arrive à reproduire de manière exacte les traits caractéristiques de son modèle, et qu’il peut négliger le reste, on peut parler de style et lui permettre la fantaisie et l’acrobatie satiriques.

Car tout dessin satirique ou humoristique doit être une production où transparaît le tempérament de l’artiste. C’est pour cette raison que l’humoriste est forcé de connaître à fond le dessin : l’anatomie, la perspective, l’analogie, afin de simplifier les lignes et d’accentuer les mouvements. En un mot, il doit être en mesure d’interpréter au gré de sa fantaisie, et c’est cette liberté d’interprétation qui marque sa manière personnelle et lui accorde un style.

« Ad-Dabbour »

Le premier journal humoristique paru en France en 1830, édité par Philippon, sous le nom La Caricature. Plus tard, il fut appelé Charivari. Les plus célèbres caricatures de l’époque ont collaboré à ce journal. Parmi eux, Daumier, Gavarni, Doré, Granville, Cham.

Ils ont signé de très beaux dessins dont le but ne se limitait pas à faire rire seulement, mais aussi à faire penser. Ils n’étaient pas de simples dessinateurs comiques. Ils étaient de vrais humoristes. Par ailleurs, ils ont beaucoup contribué au développement de l’art humoristique en France et ailleurs. Et c’est à juste titre que Daumier est considéré comme le génie de la caricature.

En 1896 paraît Le Rire, groupant les as de la caricature française de cette fin de siècle : Caran d’Ache, Sem, Forain, Willette, Abel Faivre, Herman-Paul, Léandre, Albert Guillaume, Guérin, Fabiano, Métivet, Avelot et enfin Sennep, Effel, Dubout, Harvec, Peynet, etc. Ces humoristes pour la plupart se sont contentés d’illustrer la politique intérieure et de mettre l’accent sur un genre d’humour typiquement français.

En 1845 paraissent à Munich les Fliegende Blatter et le célèbre Kladderadatsch, le Strekoza à Pétersbourg et le Pappagallo en Italie.

Si la caricature politique en Amérique n’a pas égalé les sommets européens, elle a quand même de célèbres représentants d’un humour et d’un style purement américains : Peter Arno, McKay, Vip, Phillips Steig, Taylor, etc.

En Turquie au début du siècle paraissait le journal humoristique Karicatur sous la direction du célèbre caricaturiste Djemal Nadir Gular qui collaborait également au quotidien politique Gumhyryet qui le premier en Orient avait créé une bande humoristique « Les aventures d’Amidja Bey ».

En Égypte, il faut rendre justice à Saroukhan, dont le nom demeurera à jamais attaché à l’histoire de la caricature. Il a créé une école et imposé son style.

Pendant plus de trente ans, il a collaboré à tous les journaux, arabes, français et anglais. Il est actuellement le caricaturiste officiel de Akher Saa et de Akhbar el-Yom. Ses dessins ont été souvent reproduits par de nombreux quotidiens européens et américains.

Après Saroukhan vient Rakha, le caricaturiste de Akhbar el-Yom et de Jil al-Jadid. Puis Adel Samih, le dessinateur de Rose el-Youssef.

Et Sabri Kanaan, celui du Messawar.

Enfin au Liban, il y a quelque trente ans, paraissait à Beyrouth, sous l’impulsion de Joseph Mokarzel, l’hebdomadaire humoristique et politique ad-Dabbour ; sa longévité reste la meilleure preuve de son succès. Diffusé et apprécié non seulement au Liban, mais dans plusieurs pays arabes et en Afrique du Nord, il a vu se succéder dans ses colonnes les plus grands noms du dessin humoristique libanais : Izzet Khourchid, Rafaat, Radouan, Khalil Achkar et toute la génération des jeunes qui s’annonce si prometteuse.

As-Sayad est le second hebdomadaire humoristique avec Khalil Achkar comme dessinateur attitré. Et comme les talents ne manquent pas chez nous, le temps ne tardera pas où nous verrons la caricature s’installer dans toute la presse quotidienne et notre production humoristique égaler celle de notre voisine l’Égypte.

Dessin humoristique et dessin moderne

La caricature n’est pas un art mineur comme certains le prétendent, mais une branche de la peinture qui a les mêmes possibilités illimitées. Il s’agit d’un art. D’un art très difficile qui exige des conditions aussi astreignantes que n’importe quel autre art.

On pourrait affirmer qu’on naît caricaturiste comme on naît poète. La caricature est dans sa manière un portrait. Sa source d’inspiration reste la société où elle puise ses sujets. Or, il n’est pas d’entreprise plus difficile que de peindre le réel. Molière, dans ses admirables comédies de mœurs qui lui valurent le titre de plus grand caricaturiste de tous les temps, ne faisait pas autre chose.

Peut-on faire la caricature de tout le monde ? Il y a des personnes dont le physique se prête à la caricature. Chez d’autres au contraire l’absence de traits prononcés la rend difficile, mais lorsqu’on vient à mieux les examiner, on s’aperçoit que tout visage cache une particularité qu’il faut découvrir. On peut conclure que toute personne est un sujet pour la caricature.

Pour réussir cependant une caricature, il ne faut pas que le sujet « pose » devant le peintre. Les caricatures les plus réussies sont celles qu’on fait à l’insu du sujet au moment où ne se sachant pas observé il ne maîtrise pas ses tics et sa véritable expression.

Le grand problème de la caricature réside dans sa permanence. Survivra-t-elle ou, comme le journal quotidien, une fois lue (ou vue) sera-t-elle oubliée ? Là on peut prétendre qu’il n’y a survivance que s’il existe une réelle qualité artistique, indépendamment du comique et de la ressemblance avec les sujets qu’elle satirise. La caricature est appelée sans doute à jouer un rôle de plus en plus important dans la vie sociale, puisque l’image entre de plus en plus dans nos mœurs.

Je voudrais maintenant pour finir faire une comparaison, sans importance et sans malice, entre le dessin humoristique et le dessin moderne. Voici une grosse femme assise dans un fauteuil vue par l’humoriste. C’est une caricature. C’est-à-dire un dessin chargé. On voit nettement la grosse femme assise dans un fauteuil. C’est amusant. Voici un second dessin que j’appellerai une femme assise dans un fauteuil. C’est le même sujet vu par le peintre moderne. On ne voit ni femme ni fauteuil. Mais c’est quand même une femme assise dans un fauteuil. Le premier dessin est une caricature considérée comme un art mineur. Le second est un dessin moderne intitulé art majeur. On est bien entendu libre de tirer les conclusions qu’on veut…


Le mot « caricature » vient de l’italien « caricatura », qui signifie charge, grossissement, donc exagération. Mais exagération raisonnée, formation voulue et intelligente. Lorsque nous regardons dans une glace déformante, les lignes et les volumes de notre personnage apparaissent étrangement déformés ; l’image que nous avons devant les yeux est amusante et comique, capable de...
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Je pense que c’est une caricature de Diran qui aurait dû être publiée pour appuyer le texte!!! Nadine R. Samman

Nadine R. Samman

17 h 09, le 18 juillet 2024

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Commentaires (1)

  • Je pense que c’est une caricature de Diran qui aurait dû être publiée pour appuyer le texte!!! Nadine R. Samman

    Nadine R. Samman

    17 h 09, le 18 juillet 2024

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