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Politique - Décryptage

Face au rapprochement entre le Hezbollah et la Jamaa islamiya, Baha’ Hariri revient sur scène


La photo est restée dans toutes les mémoires tant elle était surprenante dans le paysage politique libanais : le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, recevant celui de la Jamaa islamiya, Mohammad Taqqouch, le 28 juin, dans une atmosphère cordiale. D’ailleurs, la diffusion de la photo à large échelle était justement destinée à montrer à tous ceux qui doutent encore du rapprochement entre les deux formations islamistes, l’une chiite et l’autre sunnite, que l’ère des conflits, voire de la discorde, entre elles est révolue.

C’est un message important, même si la Jamaa islamiya (branche libanaise des Frères musulmans) n’avait jamais été auparavant une composante importante au Liban, parvenant à peine à avoir un ou deux députés dans les élections législatives. Car cette formation – qui évolue dans la mouvance religieuse et politique du Hamas – est devenue, aujourd’hui, pratiquement incontournable, profitant de l’élan populaire en faveur des Palestiniens suscité par la guerre à Gaza. Elle s’est même dotée d’un bras armé qui participe de temps à autre aux opérations menées contre les Israéliens à partir du front de soutien ouvert au Liban, avec l’appui bien entendu du Hamas mais aussi du Hezbollah et d’une partie de la rue sunnite. L’élan est devenu si grand que de nombreux cheikhs au Liban évoquent régulièrement dans les sermons du vendredi la résistance contre Israël pour mobiliser les fidèles. Même des figures considérées jadis comme les plus hostiles au Hezbollah, comme Khaled Daher au Akkar, font désormais l’apologie de la « résistance » et lui déclarent publiquement leur appui. La ville de Tripoli, considérée pendant des années comme un terrain hostile au Hezbollah, se mobilise aussi autour de la « résistance », et même les personnalités qui se considèrent des adversaires du Hezbollah, comme le député Achraf Rifi, ont baissé d’un cran leurs critiques contre le mouvement chiite tout en protestant contre « l’hégémonie » du cette formation.

Ce paysage nouveau au sein de la rue sunnite commence à inquiéter de nombreuses parties à la fois régionales et internationales qui ont, depuis des années, utilisé la rivalité entre les sunnites et les chiites pour servir leurs intérêts. Les effets du coup de force du 7 mai 2008 (lorsque le Hezbollah a pris quasiment le contrôle de Beyrouth-Ouest considérée comme étant sous la houlette du courant du Futur haririen suite à une tentative du gouvernement présidé par Fouad Siniora de mettre la main sur son système de télécommunications) étaient ainsi, jusqu’au 7 octobre 2023, dans toutes les mémoires. Mais voilà que la solidarité avec Gaza a relégué ces « mauvais souvenirs » sunnites au second plan.

Cette mobilisation affective de la communauté sunnite à l’égard de Gaza et de tous les fronts qui la soutiennent intervient à un moment particulier où celle-ci n’a pas de véritable leader depuis la décision du chef du courant du Futur, Saad Hariri, de suspendre ses activités politiques. De nombreuses personnalités sunnites de Beyrouth ou de Tripoli ont tenté de prendre sa place à la tête de la communauté sunnite, mais aucune d’elles n’a réussi à le faire. Les partisans du Futur se sont ainsi divisés entre ceux qui ont suivi Mohammad Choucair, ancien ministre des Télécommunications et proche de Saad Hariri, et ceux qui se sont ralliés à Fouad Makhzoumi ou encore à d’autres personnalités. Mais le noyau le plus important est resté fidèle à Saad Hariri, même si ce dernier n’a pas vraiment pris la décision de revenir dans l’arène. Toutefois, la grande majorité des sunnites restent un peu perdus et ils se sont pratiquement retrouvés dans l’appui à la cause palestinienne. Le mufti de la République Abdellatif Deriane a même tenté, à plusieurs reprises, de prendre les rênes de la communauté, mais les divisions internes à Dar el-Fatwa ainsi que le manque de poigne du mufti ne lui ont pas permis d’atteindre cet objectif. Selon des sources de Dar el-Fatwa, il aurait essayé de pousser les cheikhs des mosquées à moins parler de la « résistance » dans leurs sermons, mais l’enthousiasme populaire reste déterminant à ce sujet.

Face à cette harmonie inhabituelle entre les sunnites et les chiites au Liban qui d’une part ôte aux acteurs régionaux et internationaux une carte de pression sur le Hezbollah et d’autre part donne l’impression que la communauté sunnite suit désormais les chiites, plusieurs parties politiques estiment qu’il y aurait une place à prendre au niveau du leadership sunnite. C’est à travers ce prisme que de nombreux analystes voient le retour du fils aîné de Rafic Hariri, Baha’, sur la scène politique. Officiellement, Baha’ déclare vouloir poursuivre « le projet du martyr Rafic Hariri », alors que son frère Saad ne semble pas encore prêt à le faire. Baha’ avait fait une tentative lors des législatives de 2022, mais il n’avait pas réussi à convaincre la rue sunnite dont les voix s’étaient partagées entre différentes personnalités, mais le gros était malgré tout resté fidèle à son frère Saad. Aujourd’hui, selon des sources sunnites, Bahaa’ Hariri voudrait profiter d’un « momentum » précis, celui de l’inquiétude grandissante de nombreuses parties locales, régionales et internationales face au ralliement des sunnites du Liban autour de la Jamaa islamiya, du Hamas et même du Hezbollah, ces trois formations étant considérées comme « extrémistes » en opposition à la « tendance modérée ». D’ailleurs, dans ses discours, Baha’ Hariri revient toujours sur le thème de la « modération », laquelle est, selon lui, la première caractéristique des sunnites du Liban.

Cette démarche a-t-elle plus de chances de réussir aujourd’hui ? S’il est certain qu’elle peut séduire une partie de la communauté ainsi que des chancelleries internationales et régionales, elle reste toutefois difficile à concrétiser dans le contexte actuel, presque totalement concentré sur Gaza, et alors que la rue sunnite continue à avoir la nostalgie de Saad Hariri et que l’Arabie saoudite, parrain traditionnel des sunnites, ne se prononce pas ouvertement sur cette question. Sauf imprévu, il faudra donc attendre les élections législatives de 2026 pour pouvoir se prononcer.

La photo est restée dans toutes les mémoires tant elle était surprenante dans le paysage politique libanais : le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, recevant celui de la Jamaa islamiya, Mohammad Taqqouch, le 28 juin, dans une atmosphère cordiale. D’ailleurs, la diffusion de la photo à large échelle était justement destinée à montrer à tous ceux qui doutent encore du rapprochement entre les deux formations islamistes, l’une chiite et l’autre sunnite, que l’ère des conflits, voire de la discorde, entre elles est révolue. C’est un message important, même si la Jamaa islamiya (branche libanaise des Frères musulmans) n’avait jamais été auparavant une composante importante au Liban, parvenant à peine à avoir un ou deux députés dans les élections législatives. Car cette formation – qui...
commentaires (3)

Nous voilà disent les extrémistes musulmans sunnites et chiites. C'est vraiment une guerre politique entre les extrémistes religieux et les modérés du Liban. Si les libanais endormis ou m'enfichistes ne se réveille pas, tout le Liban deviendra Islamiste... Vous dormez au Gaz "ce n'est pas mon problème! La plage est plus importante que le pays."

Marwan Takchi

21 h 25, le 13 juillet 2024

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Commentaires (3)

  • Nous voilà disent les extrémistes musulmans sunnites et chiites. C'est vraiment une guerre politique entre les extrémistes religieux et les modérés du Liban. Si les libanais endormis ou m'enfichistes ne se réveille pas, tout le Liban deviendra Islamiste... Vous dormez au Gaz "ce n'est pas mon problème! La plage est plus importante que le pays."

    Marwan Takchi

    21 h 25, le 13 juillet 2024

  • Excellent article , la rue ´sunnite ( les rues n’ont pas de religion !!) réalise ENFIN que le Hezb est le seul rempart versus notre voisin honni .. sans tomber dans les ´querelles ´ de religion et de leurs parrains respectifs , il faudrait aussi que les libanais de toutes les communautés puissent serrer la camp

    TAMIN FAROUCK

    09 h 24, le 12 juillet 2024

  • Enfin les choses se clarifient. Les barbus de tous poils se retrouvent du meme cote de la barriere. Integristes sunnites et chiites, meme combat, contre non pas Israel, comme ils le pretendent, mais contre les libertes publiques, contre la liberte d'expression, contre les droits des femmes, des minorites, contre la democratie tout simplement.

    Michel Trad

    09 h 14, le 12 juillet 2024

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