
Le Mir Amin a gardé tout le charme de son histoire. Photo tirée du compte Instagram @miraminpalace/ hayekjad
C’est un ancien bâtiment, mais pas n’importe lequel… Bachir II Chéhab (1767-1850), qui a gouverné l'émirat du Mont-Liban, l’a fait construire en 1838 pour son fils, l’émir Amin. Il en a édifié un pour chacun de ses trois garçons : l’émir Qassim dont le palais fait aujourd’hui office de caserne ; celui de Khalil est devenu le siège du caïmaqamat, et celui de l’émir Amin, l'un des édifices les plus marquants de la région. Selon la légende, Bachir Chéhab aurait arraché les yeux de l’architecte pour qu’il ne puisse plus jamais concevoir ce genre de bâtiments au concept architectural unique.
Mais ce n’est pas tout. En plus de ces trois palais, il a fait construire en 1828 ce que l'on appelle « sa maison familiale » transformée au siècle dernier en résidence d’été de l’évêché maronite de Saïda et du Chouf. Cet édifice n’a gardé qu’une partie de son architecture d'origine. Selon l’ancien évêque maronite de Saïda, Antonios el-Khoury, qui a résidé dans ce bâtiment, « de la fenêtre, de sa chambre et de son salon privé, Bachir II pouvait surveiller les demeures de ses fils ainsi que les allées et venues de son palais principal ». Aujourd'hui, elle sert de résidence d'été au chef de l'État libanais.
Après l’abdication de Bachir II en 1840 et son exil à Malte, Mgr Boutros el-Boustani, archevêque de Tyr et Sidon, achète à l’épouse de l’émir, la résidence familiale et le palais Amin. Le Mir Amin fut converti en école gratuite dirigée par le père Khoreiche. Mais faute de moyens financiers et par manque de crédits pour financer la rénovation de l’édifice qui tombait en ruine, l’école ferme ses portes et le palais est vendu plusieurs décennies plus tard au ministère du Tourisme.
Préserver l'atmosphère générale de grandeur princière orientale. Photo DR
Fontaines et marqueteries pour un hôtel de luxe
L’ingénieur Élie A. Sehnaoui relate qu’en 1970, à l’initiative du Conseil national du tourisme et de son président cheikh Michel el-Khoury, les deux architectes Pierre el-Khoury et Amine Bizri, ont été chargés de rénover, d’agrandir et de réaménager le palais en un hôtel luxueux. « Ainsi a eu lieu l’ajout d’un étage et d’une nouvelle aile dans le même style architectural que le bâtiment historique en « utilisant uniquement des méthodes de construction séculaires et des matériaux de première qualité. » L'exécution des travaux a été assurée par l'une des principales entreprises de construction et d'entrepreneur, Decotra S.A.L., à la tête de laquelle se trouve l’ingénieur Élie A. Sehnaoui, qui a également coordonné les travaux des nombreux sous-traitants spécialisés. « L'idée de base, raconte-t-il, était de préserver l'atmosphère générale de grandeur princière orientale inhérente au palais dans la sérénité de ses lignes, et en même temps de le doter des appareils les plus récents et les plus modernes pour offrir tout le confort moderne au client. » Selon lui, les jardins et les cours ont été aménagés par l’architecte espagnol Don Francisco Prieto Moreno y Pardo (1907-1985), expert en palais et jardins maures, et ancien conservateur de l'Alhambra à Grenade. Moreno y Pardo a également dessiné les fontaines du palais.
« Quant au bâtiment proprement dit, la maçonnerie d'origine a été conservée, y compris les nombreux arcs anciens, éléments dominants des portes et fenêtres du palais et de ses cours. » Le palais a été réhabilité en hôtel de luxe en ajoutant une aile avec sa propre cour et un étage supplémentaire offrant ainsi 24 chambres et suites. « Ces ajouts ont été si parfaitement adaptés à la structure originale qu'il est pratiquement impossible de distinguer l'ancien du nouveau », indique Élie A. Sehnaoui, précisant que « chaque détail est typiquement libanais, chaque pierre a été martelée à la main comme cela a été fait à travers les âges au Liban. Les sols sont pavés de pierre ressemblant à du marbre rose trouvée dans le région et utilisée depuis des siècles dans les palais du Chouf ».
Par ailleurs, l'ingénieur relève que les portes originales en bois marqueté étaient en excellent état, tandis que d'autres ont été reproduites avec exactitude par un spécialiste expert de Damas. L’enduit qui recouvrait le plafond voûté en pierre de la grande salle à manger a été enlevé et les pierres ont été jointées pour faire ressortir le relief et la texture de la maçonnerie. Il a fallu trois ans pour mettre à jour ce monument historique, qui par la suite, fut géré par The Intercontinental Hotels Corporation, jusqu’à la guerre civile de 1975.
Nazira el-Atrache, en charge de l'établissement. Photo DR
De Santa Fe au Chouf, 5 questions à Nazira el-Atrache
Depuis 1999, la société privée Tourister gère l’hôtel. À sa tête aujourd’hui, Nazira el-Atrache, qui n’en est pas à son premier essai au Mir Amin. Diplômée de l’université de New Mexico, elle a débuté son expérience dans l’hôtellerie aux États-Unis, à La Posada de Santa Fe Resort & Spa, un hôtel haut de gamme construit dans les années 1880, à New Mexico, aux États-Unis. Elle y est restée directrice adjointe pendant 10 ans. En 1997, elle rentre au Liban pour diriger les opérations de l’hôtel al-Bustan à Beit Méry, avant de prendre, de 2005 à 2016 la direction de l’hôtel Le Bristol à Beyrouth. Depuis deux ans, c’est un nouveau départ dans « ce lieu exceptionnel, où derrière chaque porte surgit une histoire captivante », dit-elle.
Comment se passe pour vous la gérance de l’hôtel ?
Quand on dirige un hôtel, il faut entrer dans les détails pour mieux contrôler. En véritable chef d’entreprise, le directeur gère son établissement, son personnel, ses clients. Je pense qu’il faut être polyvalent, toucher à tout et manifester de l’énergie et de l’efficacité.
Être également endurant ?
Évidemment. Le travail est énorme. Mes journées peuvent dépasser 14 heures et je dois bien souvent être présente le soir ou le week-end. On attend des résultats, il faut donc être performant. C’est aussi un métier où l’on gère du personnel. En un mot, l’objectif est de coordonner toute l’activité de l’établissement, ce qui implique à la fois des tâches de gestion, de vente, et de marketing. J’ai par ailleurs une directrice adjointe dynamique, Marianne Abou Jaoudé, fondatrice du « Passeport culinaire », une agence dédiée à des expériences autour de la gastronomie, a des voyages culinaires et œnologiques en France et au Liban.
Quelles sont les stratégies envisagées vu la situation actuelle ?
J’aimerai rappeler que le Mir Amin fait l’objet d’un contrat d’exploitation entre la société privée Tourister et le ministère du Tourisme, qui touche un pourcentage du chiffre d’affaires, et non du profit. Ce qui constitue un gros volume, d'autant que le ministère ne consacre aucun budget à la restauration des zones endommagées. Ainsi, des interventions sont réalisées pour sauvegarder des éléments de décoration comme les boiseries damascènes qui menaçaient de s’écrouler ; régler les problèmes de plomberie, et d’infrastructure ; rafraîchir les tissus des pièces, etc. En bref, tous les revenus fondent sous les charges et la conservation du patrimoine. De plus, le faible taux d’occupation constitue un défi important et une perte potentielle. C’est la raison pour laquelle nous misons sur les mariages, la restauration et les évènements culinaires comme le Farmers Market qui attire la clientèle libanaise et encourage le tourisme local.
Pensez-vous que les femmes apportent une autre vision de l’hôtellerie ?
Les femmes et les hommes sont différents évidemment, avec leurs forces et leurs faiblesses. Le leadership n’est pas une question de genre, mais de personnalité. Nous avons tous un style particulier lié à nos expériences.