Le gouvernement sortant de Nagib Mikati s'est réuni mardi au Grand Sérail pour étudier un ordre du jour dont le premier point est la question de la présence syrienne au Liban. Ce dossier est à la une de l’actualité depuis plusieurs semaines sur fond d'hostilité croissante au sein de la population libanaise vis-à-vis des ressortissants syriens et d'allégations selon lesquelles les puissances occidentales chercheraient à les maintenir au Liban. Le gouvernement de Beyrouth estime que plus de 1,5 million de réfugiés syriens vivent au Liban, dont environ 815 000 sont enregistrés auprès du Haut-Commissariat de l'ONU, ce qui en fait selon lui le nombre de réfugiés par habitant le plus élevé au monde.
Selon notre correspondante Hoda Chedid, une stratégie nationale pour aborder le dossier a été présentée pendant la réunion et un document détaillé sur la question a été fourni aux ministres. Le cabinet sortant a par ailleurs approuvé la création d'un comité ministériel qui sera chargé de coordonner avec les autorités syriennes à ce sujet.
Solutions au dossier de la présence syrienne
Le Premier ministre sortant, Nagib Mikati, a indiqué, dans une allocution prononcée au début de la réunion, que le Liban a réussi « à s'entendre avec le HCR, à propos de l'ensemble des points présentés par le Liban, notamment en ce qui concerne la remise de toutes les données (de l'organisation) sur les déplacés syriens » aux autorités libanaises.
Evoquant la participation du chef de la diplomatie libanaise, Abdallah Bou Habib, à la conférence de Bruxelles, M. Mikati a déclaré que « le Liban a présenté pour la première fois un plan de travail clair et précis pour gérer le dossier des déplacés syriens au Liban ». « Le Liban a demandé de séparer le dossier des déplacés des considérations politiques et de trouver des zones sûres en Syrie pour leur permettre de rentrer », a-t-il dit. « Le Liban a par ailleurs effectué des contacts avec les pays arabes qui accueillent des déplacés syriens, c'est-à-dire la Jordanie, l'Irak et l'Egypte. Nous nous sommes entendus sur un plan unifié pour contacter le côté syrien et soutenir le relèvement rapide de la Syrie. Le Liban a insisté durant la conférence (de Bruxelles) sur la nécessité d'encourager les Syriens à rentrer chez eux », a-t-il ajouté.
Dans un document détaillant le plan des autorités libanaises pour la gestion de la présence syrienne et distribué aux ministres mardi, les autorités libanaises assurent que, dorénavant, « les Syriens entrés illégalement au Liban et non enregistrés par le HCR seront expulsés ». « La Sûreté générale et le HCR se coordonneront pour s'assurer qu'aucun Syrien expulsé vers la Syrie ne risque d'être poursuivi à son retour », peut-on lire, en réponse aux craintes formulées par des ONG humanitaires qui dénoncent arrestations et disparitions forcées de personnes rentrées en Syrie.
Le texte, rédigé en anglais et dont L'Orient-Le Jour a consulté une copie, a été présenté par le ministre Bou Habib lors d'une réunion à huis clos à Bruxelles la veille. Dans ce plan, le gouvernement libanais s'engage à lutter contre le trafic d'êtres humains et la contrebande. Il promet également de travailler, « par l'intermédiaire de ses institutions chargées de la sécurité, à renforcer le contrôle et la gestion des frontières ». Le texte insiste par ailleurs sur la nécessité, pour le HCR, de fournir aux autorités libanaises les informations dont il dispose au sujet des réfugiés syriens enregistrés auprès de l'ONU, afin de pouvoir « organiser la présence syrienne au Liban ». « Le HCR devrait réévaluer le nombre de Syriens enregistrés et recensés afin d'identifier qui est un réfugié et qui est un migrant économique », poursuit le texte. « Les Syriens entrés légalement avant 2011 et dont les permis de séjour et de travail ont expiré doivent déposer une nouvelle demande afin de rendre leur statut légal », selon le plan.
Cette nouvelle stratégie prévoit par ailleurs que « tout Syrien enregistré ou recensé qui quitte le Liban illégalement par la mer ou légalement par les frontières terrestres vers la Syrie ne sera pas autorisé à revenir au Liban et perdra son statut de réfugié auprès du HCR ».
Aides aux déplacés du Liban-Sud
Le gouvernement a, dans ce cadre, approuvé la création d'un comité qui sera dirigé par le vice-Premier ministre sortant pour coordonner avec les autorités syriennes, en ce qui concerne les migrants syriens au Liban. Les ministres qui feront partie de ce comité seront nommés lors de la prochaine réunion du cabinet. Le gouvernement a par ailleurs assuré que les aides européennes promises au Liban font partie du soutien permanent au Liban et ne sont pas liées à des conditions particulières.
Sur un autre registre, une demande du Conseil du Sud, consistant à obtenir des autorités plus de 93 milliards de livres libanaises pour verser des aides aux familles des victimes ou aux déplacés du Sud depuis le 8 octobre 2023, a également été approuvée.
Les ministres ont par ailleurs validé une requête du ministre sortant de la Défense Maurice Slim concernant la mise en place d’une « stratégie maritime » en coopération avec l'Union européenne. Cette stratégie a été évoquée il y a plusieurs mois par le commandement de l'armée libanaise et l'Union européenne afin d'améliorer les capacités de la marine militaire libanaise grâce à un financement de l'UE à hauteur de sept millions d'euros. Le cabinet a enfin approuvé deux projets de décret, l'un consistant à suspendre la tenue d'un examen unifié pour les élèves du brevet, et l'autre concernant la création d'une caisse d'aides à l'hospitalisation pour les agents de la Sécurité de l'Etat.
Le communiqué final du Grand Sérail ne précise pas si le cabinet s'est penché sur la demande de la Middle East Airlines (MEA), la compagnie aérienne nationale, de couvrir les frais supplémentaires qu’elle doit engager auprès de ses assureurs pour rapatrier l'intégralité de sa flotte au Liban, comme le lui ont demandé les autorités libanaises. Depuis le début de la guerre de Gaza, la MEA a maintenu une partie de ses avions en dehors du pays, considéré comme très risqué par les assureurs en raison du débordement du conflit au Liban-Sud. Les sommes demandées atteindraient plusieurs centaines de millions de dollars, selon une source au fait du dossier.
Le cabinet ne s'est pas non plus prononcé sur les amendements à la législation régissant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, présentés par le ministre sortant des Finances. Un texte qui arrive alors que le Groupe d’action financière, organisme international investi dans l’harmonisation de la réglementation dans ce domaine, doit rendre bientôt son évaluation sur le Liban.
Reconnaissance de l'État palestinien
Lors de la séance, Nagib Mikati a par ailleurs annoncé qu'il avait téléphoné aux Premiers ministres espagnol et norvégien pour les remercier de leur reconnaissance officielle de l'État palestinien. « J'ai téléphoné ces derniers jours aux Premiers ministres espagnol et norvégien, et jeudi, je téléphonerai au Premier ministre irlandais pour le remercier d'avoir reconnu officiellement l'État palestinien », a déclaré M. Mikati. « Lors de l'appel avec le Premier ministre espagnol, nous avons souligné la nécessité de poursuivre immédiatement une conférence de paix et d'affirmer la solution des deux États, en revenant aux principes établis lors de la conférence de Madrid », a-t-il ajouté. Organisée en octobre 1991 dans la capitale espagnole, cette conférence avait alors réuni des délégués israéliens, syriens, libanais, jordaniens et palestiniens» dans une première tentative de la communauté internationale pour engager un processus de paix au Proche-Orient. « Cette démarche donne une forte impulsion au droit du peuple palestinien à un État indépendant, conformément aux résolutions de l'ONU et de l'Assemblée générale », a insisté Nagib Mikati.
Le Premier ministre a également salué la décision de la Cour internationale de justice, présidée par le juge Nawaf Salam, lui-même ancien candidat au poste de Premier ministre au Liban, à l'encontre d'Israël. « La décision de la Cour internationale de justice, présidée par le juge Nawaf Salam, ordonnant à Israël de cesser immédiatement son attaque militaire contre Rafah ou toute autre action, représente une étape importante pour dissuader l'ennemi israélien et l'empêcher de poursuivre son agression contre le peuple palestinien. Nous saluons le courage du tribunal et de son président, ainsi que la décision, qui crée un précédent important en dénonçant l'agression israélienne et le génocide qu'elle commet contre le peuple palestinien. Je répète que la communauté internationale doit décider si elle veut la justice ou Israël », a encore exposé le chef de l'exécutif.
Les plus commentés
Arrestation de Riad Salamé : l’après-guerre au Liban semble se préciser
Mandat d'arrêt contre Riad Salamé, qui reste en détention à l'issue de son interrogatoire
Réfugiés, électricité, port... : les FL reviennent en force