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Moyen-Orient - PORTRAIT/ARCHIVES

La journaliste témoin du meurtre de Shirine Abou Akleh s’engage à « honorer » son héritage

Il y a un an, les forces israéliennes abattaient la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh. Aujourd'hui, nous revenons sur notre entretien avec une autre journaliste palestinienne, Shatha Hanaysha, témoin du meurtre de sa collègue.

La journaliste témoin du meurtre de Shirine Abou Akleh s’engage à « honorer » son héritage

La journaliste palestienne Shatha Hanaysha se balade le long de la Corniche de Beyrouth en regardant vers la mer, le 10 novembre 2022. Maria Klenner/L’Orient Today

« La plupart des Palestiniens se voient refuser l’accès à la mer à cause des Israéliens. J’étais curieuse de savoir pourquoi les gens l’aiment tant. Ceux qui marchent et courent le long de la Corniche, les enfants qui se baignent, les pêcheurs silencieux. Je comprends maintenant. C’est le symbole ultime de la liberté », avoue Shatha Hanaysha. Arrivée à Beyrouth en septembre pour suivre un master de deux ans en journalisme, la jeune femme de 29 ans bénéficie d’une bourse du « Shireen Abu Akleh Endowed Memorial ». Un programme établi en mai pour « commémorer et célébrer la vie d’une figure incontournable d’espoir et de paix », sous l’égide de l’Université américaine de Beyrouth et de la Fondation Yafa, enregistrée au Royaume-Uni.

La journaliste palestienne Shatha Hanaysha devant l'Université américaine de Beyrouth, le 10 novembre 2022. Photo Maria Klenner/L’Orient Today

Correspondante de longue date d’al-Jazeera, Shirine Abou Akleh était devenue une icône des journaux télévisés en Palestine. Selon diverses enquêtes internationales, elle aurait été « probablement » tuée par les forces israéliennes le 11 mai dernier, alors qu’elle couvrait un raid de l’armée sur un camp de déplacés dans la ville palestinienne de Jénine, à quelques kilomètres du village natal de Shatha Hanaysha.

« Je veux être journaliste comme Shirine »

La jeune femme couvrait elle aussi régulièrement les raids fréquents ainsi que la vie quotidienne à Jénine avant de venir à Beyrouth, en tant que reporter pour al-Quds Network et Middle East Eye. Shatha Hanaysha se souvient de ses proches lui conseillant de « parler comme Shirine » quand elle était enfant, elle qui se délectait à l’imiter du mieux qu’elle pouvait. « Je faisais semblant de tenir un micro et de rapporter les nouvelles avec ses manières et sa voix », raconte-t-elle. Lorsqu’on lui demandait ce qu’elle voulait faire quand elle serait grande, elle répondait souvent : « Je veux être journaliste comme Shirine. »

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Si ses parents pensaient initialement avoir affaire à un fantasme enfantin, les mises en garde qu’il serait plus sûr d’étudier l’arabe et d’enseigner n’ont fait qu’accentuer sa détermination. À l’université, elle a trouvé le moyen de faire les deux en se spécialisant en langue arabe et en médias. « En voyant ce qu’il se passait en Palestine, je rêvais d’entendre des gens en parler. Mon père m’a toujours encouragée à lire, à être curieuse de tout et à découvrir le monde. Et cela m’a menée au journalisme, où je peux faire toutes ces choses. »

Avouant avoir été confrontée à certains défis en tant que jeune femme journaliste, elle préfère ne pas s’y attarder. « Je préfère que les autres jeunes filles me regardent comme je regardais Shirine, et qu’elles se disent : “Je veux faire ce qu’elle fait et rien ne m’en empêchera.” »

Journalisme social et censure

Selon la jeune femme, l’essor des réseaux sociaux a créé une différence dans la perception à l’étranger de ce qu’il se passe réellement en Palestine. « Personne ne peut manipuler la vérité. C’est la raison pour laquelle tant de nos profils ont été fermés. » Après avoir mentionné lors d’une conférence que son compte Instagram avait été supprimé, celui-ci a été réactivé comme par magie. De nombreux journalistes et personnalités publiques défendant les droits des Palestiniens sont ciblés systématiquement sur les réseaux sociaux, pointés du doigt, harcelés et empêchés de faire leur travail. Une tactique délibérée visant à occuper leurs pensées en plus de leur terre, à travers la remise en question de leur version des événements et du déploiement d’efforts concertés pour salir leur réputation, conduit dans de nombreux cas au licenciement de journalistes. L’organisation Palestinian Observatory of Digital Rights Violations (7or), première plateforme digitale open source lancée par « 7amleh » pour surveiller, documenter et faire le suivi des violations des droits numériques des Palestiniens, a enregistré 1 911 cas de ce type depuis janvier 2021.

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Difficile pour la jeune femme d’accepter le refus d’entendre même sa version des faits. « Pas seulement du fait qu’on suppose que je peux mentir, mais aussi parce que cela implique qu’en tant que journaliste je pourrais faire autre chose que respecter mes obligations. » Elle reste assise en silence quelques instants avant que les larmes coulent de ses yeux. « C’est difficile quand il s’agit de votre propre histoire. » Il y a six mois, alors que Shirine Abou Akleh couvrait un raid sur Jénine, Shatha Hanaysha était à ses côtés lorsque la journaliste d’al-Jazeera a été tuée par balle. Plusieurs enquêtes indépendantes menées par des médias tels que CNN et le New York Times ont conclu que sa mort était un « meurtre ciblé par des soldats israéliens ». Les experts de l’ONU ont même déclaré que ce meurtre pouvait constituer un crime de guerre. Pourtant, personne n’a été tenu responsable à ce jour. Et le récit de Shatha Hanaysha en tant que témoin oculaire a été contesté par divers organes de presse, des politiciens et le gouvernement israélien, en plus de nombreuses personnes qui l’ont attaquée sur les réseaux sociaux, certains l’accusant d’antisémitisme. « De nombreux journalistes occidentaux notamment ne m’ont pas crue. Pourquoi ? se demande-t-elle. Nous traiter d’antisémites pour nous censurer n’est qu’une arme de plus dans leur arsenal. »

La journaliste palestienne Shatha Hanaysha se tient sur un rocher pour observer la mer Méditerranée, le 10 novembre 2022. Photo Maria Klenner/L’Orient Today

S’adapter au Liban

Malgré les similarités culturelles, la jeune femme, nourrie aux histoires de son père sur le pays du Cèdre dans les années 1970, a néanmoins dû s’adapter en arrivant à Beyrouth il y a deux mois. « C’est devenu un gag récurrent. Quand les gens me demandent : “Avez-vous l’électricité en Palestine ?” je réponds : “Oui. Nous avons seulement l’occupation” », ironise Shatha Hanaysha. Évoquant un sentiment étrange, la jeune journaliste confie qu’elle se sent parfois seule. D’autant plus que la situation en Cisjordanie s’est considérablement aggravée depuis son départ, les forces israéliennes multipliant les incursions meurtrières à Jénine et Naplouse.

La journaliste palestienne Shatha Hanaysha se promenant sur la corniche de Beyrouth, le 10 novembre 2022. Photo Maria Klenner/L’Orient Today

« Après ce qui m’est arrivé, ma famille et mes amis m’ont conseillé de faire une pause dans le journalisme, de prendre de la distance avec ce qu’il se passe en Palestine, mais je ne peux pas, admet-elle. S’il y a une opération quelque part, je resterai éveillée toute la nuit pour recueillir toutes les informations afin de savoir exactement ce qu’il s’est passé. Je vais même appeler toutes mes sources pour m’en assurer. C’est ce qui fait de moi ce que je suis, j’ai toujours besoin de connaître la vérité afin de pouvoir la diffuser. »

Selon Tor Wennesland, coordinateur spécial de l’ONU pour le processus de paix au Moyen-Orient, l’année 2022 est en passe de devenir la plus meurtrière en Cisjordanie depuis 2005, date à laquelle l’agence onusienne de coordination humanitaire (OCHA) a commencé à recueillir de manière systématique des données sur les décès de Palestiniens. Entre le 21 septembre et le 25 octobre, les forces de sécurité israéliennes ont tué 32 Palestiniens, dont six enfants, a déclaré le diplomate au Conseil de sécurité des Nations unies le mois dernier. Ils font partie des plus de 120 Palestiniens tués par les forces d’occupation depuis le début de l’année en Cisjordanie et à Jérusalem.

Des hommes jouant aux cartes sur la corniche de Beyrouth, le 10 novembre 2022. Photo Maria Klenner/L'Orient Today

Venir sur la Corniche de Beyrouth a le don de calmer Shatha Hanaysha les jours où tout devient trop lourd. « Je m’assois sur l’un des bancs face à la mer et je me perds dans ses mouvements sans fin. » Reconnaissante d’avoir obtenu une bourse en l’honneur de Shirine Abou Akleh, il a néanmoins été difficile pour elle d’accepter le fait qu’elle ne serait pas à Beyrouth pour étudier le journalisme si Shirine était encore en vie. « J’essaie de m’empêcher de penser à ce moment et de me concentrer plutôt sur l’avenir, dit-elle. Même si, en raison d’un désintérêt international pour la justice, nous n’obtenons jamais justice pour Shirine, je l’honorerai en devenant la meilleure journaliste possible et en continuant à raconter la vérité. Avec courage et compassion, tout comme elle l’a fait. »

*Cet article est paru dans sa version originale anglaise sur « L’Orient Today ».

« La plupart des Palestiniens se voient refuser l’accès à la mer à cause des Israéliens. J’étais curieuse de savoir pourquoi les gens l’aiment tant. Ceux qui marchent et courent le long de la Corniche, les enfants qui se baignent, les pêcheurs silencieux. Je comprends maintenant. C’est le symbole ultime de la liberté », avoue Shatha Hanaysha. Arrivée à Beyrouth en...

commentaires (2)

La Palestine gagnera-t-elle avec une journaliste qui porte ostensiblement la tenue symbole de l'asservissement de la femme contre laquelle se battent les Iraniennes et les Afghanes .Et puis au Liban on sait quand même ce qu'a apporté le combat des "résistants" palestiniens .

yves gautron

20 h 38, le 11 novembre 2022

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Commentaires (2)

  • La Palestine gagnera-t-elle avec une journaliste qui porte ostensiblement la tenue symbole de l'asservissement de la femme contre laquelle se battent les Iraniennes et les Afghanes .Et puis au Liban on sait quand même ce qu'a apporté le combat des "résistants" palestiniens .

    yves gautron

    20 h 38, le 11 novembre 2022

  • Allez travailler a Ghaza. Vous n etes pas bienvenue. Au liban

    Robert Moumdjian

    02 h 22, le 11 novembre 2022

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