De 170 à 2,4 kilomètres. De 1,5 million à 300 000 habitants. Les ambitions de The Line, projet iconique de la mégalopole futuriste Neom, en Arabie saoudite, ont été drastiquement revues à la baisse pour l’échéance 2030, a rapporté la compagnie Bloomberg. Construite sur une ligne de 200 mètres de large, sans voitures ni rues, en plein milieu du désert dans la province de Tabuk, cette ville intelligente devait loger ses résidents dans deux gratte-ciels de 500 mètres de haut se faisant face en miroir, avec zéro émission de CO2. Largement perçue comme une folie des grandeurs, The Line symbolisait à elle seule l’avidité moderniste du prince héritier saoudien, Mohammad ben Salmane, dit MBS. Sa réduction attendue semble donc confirmer le scepticisme exprimé de longue date par de nombreux observateurs, experts et architectes.
Aveu de faiblesse ou virage pragmatique ? « Les mégaprojets ont servi à promouvoir l’Arabie saoudite en tant que nouvel État, tant au niveau national qu’à l’extérieur, analyse Karen Young, chercheuse principale au Center on Global Energy Policy de l'Université de Columbia. L’audace était leur but ». Leur valeur a été estimée à 879 milliards de dollars, dont seulement 50 milliards de contrats ont été accordés jusqu’alors, a déclaré un responsable éditorial du Middle East Economic Digest, à l’ouverture de la conférence Saudi Giga Projects, à Riyad, en juin dernier. « La réduction de leur taille faisait partie du plan », avance Karen Young.
Paysage économique
Quelques succès sont toutefois à noter. La ville de Neom, aux allures surréalistes, censée fonctionner à 100 % d’énergies renouvelables, tout en promettant des taxis volants, des employés de maison en robot et du sable phosphorescent, a avancé. Selon des annonces récentes du Fonds souverain saoudien (PIF), trois de ses projets-phares de taille relativement raisonnable et à la fonctionnalité plus claire sont en cours d’aboutissement, signalant que certains objectifs ont été atteints.
La destination touristique de luxe Sindala progresse, le port à conteneurs devrait se terminer en 2025, et le site de production d’hydrogène vert et d’ammoniac sera fonctionnel en 2026. « Une fois que le port sera lancé, le reste suivra, car les infrastructures pour le transport de matériaux destinés aux usines et à la construction des projets seront sur pied et le coût logistique sera moindre, avance Laith Alajlouni, économiste au International Institute for Strategic Studies (IISS). Nous pourrons dès lors nous attendre à une accélération dans la construction des projets ».
Mais le contexte international, où le prix du pétrole dépasse péniblement les 80 dollars, depuis les pics atteints au début de la guerre en Ukraine, menace les finances du royaume saoudien qui calcule son budget sur la base d’un baril au-delà de ce seuil. « La nouvelle stratégie de réduire l’envergure des mégaprojets s'aligne sur l'impératif d'accélérer le changement du paysage économique saoudien, avec en toile de fond une volonté de s’épargner des critiques pour avoir dépensé des sommes astronomiques dans des projets irréalistes, pour des espaces qui risquent de n’être que partiellement habités et donc de ne pas être rentables, alors que d’autres priorités doivent être satisfaites », analyse Grace Najjar, consultante spécialisée dans la gestion de projets au Moyen-Orient. S’il ne peut les atteindre dans leurs ambitions initiales, le but de Riyad reste de concrétiser ses projets de développement inscrits dans le programme Vision 2030 lancé en 2016 par le prince héritier.
À elle seule, la ville du divertissement Qiddiya et ses gigantesques plans de parcs d’attraction, au sud-ouest de la capitale, a plus de 1 000 milliards de riyals (266 milliards de dollars) de dépenses engagées. Un montant entièrement soutenu par le PIF et un promoteur saoudien lié à ce fonds, selon deux sources informées du projet citées par Bloomberg. « L’injection de fonds dans ces projets massifs, en particulier The Line, limitent les dépenses publiques dans d’autres secteurs clés de Vision 2030 comme la pétrochimie, les mines, les initiatives vertes, l'énergie et la technologie », poursuit l’experte. La réaffectation des ressources financières du royaume est en effet l’un des principaux arguments brandis pour expliquer ce recalibrage, bien qu’aucun détail n’ait filtré à cet égard dans le budget 2024 du Fonds souverain saoudien.
IDE à la peine
En réalité, l’Arabie saoudite peine à attirer des investissements étrangers nécessaires au déroulement de ses projets. L’objectif des 100 milliards de dollars d’investissements directs à l’étranger (IDE) par an qu’elle s’était fixé pour 2030 semble aujourd’hui inatteignable. En cause : la lourdeur bureaucratique, l’incertitude autour de la rentabilité dans un pays où tout est à construire, et la viabilité en soi des mégaprojets. Entre 2017 et 2022, les flux annuels d’IDE dans le royaume se sont élevés en moyenne à un peu plus de 17 milliards de dollars, note Bloomberg. Les données préliminaires montrent que les IDE pour 2023 ont atteint environ 19 milliards de dollars, en-deçà de l’objectif fixé à 22 milliards, d’après un communiqué du ministère saoudien de l'Investissement.
Neom, dont le budget s’élève à 500 milliards de dollars, n'a pas encore fait de sérieux progrès en matière de mobilisation de capitaux, d’après Bloomberg qui cite des personnes proches du dossier. Faute d’attrait, les autorités compétentes sont allées jusqu’à demander plus de 16 milliards de dollars au Koweït voisin, pour financer plusieurs projets dont la mégalopole futuriste, rapporte encore l’agence. Pour la première fois, Neom étudie un plan visant à lever jusqu'à 1,3 milliard de dollars auprès d'obligations islamiques, ou sukuk, afin de consolider son financement, est-il encore précisé.
commentaires (7)
Même à la baisse, les évolutions sociales souhaitées par MBS, notamment envers les femmes, sont louables et à encourager. Il faut l’encourager et poursuivre l’ouverture de l’Arabie Saoudite au monde, au tourisme …
LE FRANCOPHONE
14 h 42, le 22 avril 2024