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Lifestyle - Disparition

Jacques Liger-Belair, l’architecte à la barbe blanche qui écoutait la nature

Au cours de longues et fructueuses années, l’architecte, disparu à 91 ans, a toujours agi pour que le bâti respecte et sublime l’environnement ». Le fondateur de l’agence AAA a bien mérité son « triple A ».

Jacques Liger-Belair, l’architecte à la barbe blanche qui écoutait la nature

Jacques Liger-Belair chez lui à Le Chesnay, en France, le 15 mars 2022. Photo Samir Saddi

Chevalier de l’ordre de la Légion d’honneur française et détenteur du prix Duyver d’architecture à Bruxelles pour la maison 100 % green conçue pour Abdo et Raymonde Ayoub à Dahr el-Sawan, les réalisations de Jacques Liger-Belair sont issues d’une osmose entre l’homme et son milieu, entre la manière de vivre et la manière d’habiter. Et il le dit clairement dans son ouvrage de base, L’Habitation au Liban, édité par l’Apsad en 1965 puis réédité par les éditions orientalistes Geuthner (Dar an-Nahar). Un livre essentiel où il déplore en filigrane le manque de politique architecturale et de stratégie de gestion du territoire au niveau de l’État et des municipalités, l’existence de lois et règlements aberrants, le défaut de civisme, de culture, voire de conscience, le clivage-aliénation entre la société et le territoire.

Liger-Belair n’était pas un nostalgique du passé. Il ne préconisait pas de revenir aux formes anciennes, mais à leur esprit, à leur âme dynamique. Ainsi, ses réalisations innovantes ont été adaptées, assimilées, dans une logique de cohérence architecturale. On l’aurait compris, cet architecte, un peu poète, un peu philosophe et artiste, qui d’un crissement de feutre sur du papier, d’un geste maîtrisé et résolu, a conçu une centaine de projets, a été et reste une source d’inspiration pour des générations d’architectes.


Jacques Liger-Belair architecte, poète, philosophe et amoureux de l’architecture libanaise en mars 2022. Photo Samir SADDI


Le Liban d’abord

Mais tout d’abord, la biographie : JLB est né à Liège, d’une mère belge et d’un père français, qui, racontait-il souvent, a dessiné pour Hergé le fier vaisseau du Secret de la licorne. À 22 ans, son diplôme d’architecture en poche, vouant une immense admiration pour Le Corbusier et le béton, cette « pierre liquide » issue de la terre libanaise, il part à la découverte de Chandigarh, que Le Corbusier bâtissait au Pendjab, en Inde. C’est à Beyrouth qu’il rencontre Jacqueline Saghbini, qu’il épouse en 1960. De leur union, naissent trois enfants : Catherine (architecte), Dominique (alias Kochka, écrivaine de littérature jeunesse française) et Gérard (professeur de physique à l’Université de Reims - Champagne -Ardennes, ses recherches portent sur les processus à l’origine de la formation et du comportement des bulles dans le champagne et les vins effervescents).

Dès son premier projet libanais, en 1961, il surprend par la simplicité, la puissance et la sobriété de son travail. Le jardin d’enfants du collège Notre-Dame de Nazareth puis sa chapelle, deux œuvres atypiques et modernes, revisitent l’austérité de ce genre d’architecture et marquent le départ de nombreuses commandes. Les constructions éducatives et religieuses seront presque des missions. Dans un garage désaffecté du mandat français, il dresse la chapelle des franciscaines de Badaro et celle du monastère de l’Unité des sœurs clarisses à Yarzé. Il bâtira même une mosquée à Yanbu, en Arabie saoudite. En 1971, à la demande d’Henri Eddé, alors ministre des Travaux publics, JLB et Nicolas Bekhazi se penchent sur le projet de construction des écoles primaires publiques. Quatre écoles pilote seront exécutées dans la Békaa avant que l’opération ne soit interrompue par la guerre de 1975.



Jacques Liger-Belair, hier, aujourd’hui et demain

Jacques Liger-Belair, hier, aujourd’hui et demain



Jounié voulait s’«américaniser »

En 1964, à la demande du président Fouad Chehab, l’architecte élabore un plan directeur pour mettre en valeur les atouts de la ville de Jounié, fixant un ensemble de priorités en matière d’environnement, de patrimoine et de tourisme, et notamment une promenade piétonne tout le long des maisons et des plages, de Kaslik à Maameltein. Mais le projet tombe à l’eau après le départ du président Chehab. Seulement deux actions prévues ont été respectées, comme il le signalait dans son livre : « Les venelles qui menaient, entre les maisons, au rivage, et qui avaient été squattées par les riverains ont été dégagées et pavées ; de même, les alignements prévus pour élargir la route de la côte, qui menaçaient de détruire une majorité de maisons, ont été annulés. »

D’autres facettes de l’architecte se révèlent à partir de 1980, lorsqu’il fonde AAA avec son premier associé, l’architecte Jean-Pierre Megarbané : outre les écoles de la Congrégation des sœurs des Saints-Cœurs à Beyrouth, à Zahlé, Machghara, Kfarhabab, Aïn Najm et Jounié, le duo s’élance dans la construction de villas modernes, toujours en harmonie avec la topographie des lieux et sans porter atteinte à la nature. Cinquante ans d’une belle collaboration et d’une amitié dont se souvient Jean-Pierre Megarbané. « Il a été mon patron de diplôme en 1974. Il travaillait tout seul, mais quand il a eu une commande pour la réalisation des cinq écoles des Saints-Cœurs, il a voulu former une équipe et m’a demandé d’en faire partie. Il a très vite développé un intérêt pour le Liban qu’il a profondément aimé. Il y a d’ailleurs mené toute sa vie professionnelle, et surtout, il était le premier à faire connaître l’architecture traditionnelle libanaise aux Libanais, et ce dès le début des années soixante. Son approche de l’architecture était loin des effets de mode. Elle était au contraire tributaire des lieux et des coutumes. Jacques était un vrai humaniste et son apport avec les gens était modeste, amical, avec un sens particulier de l’humour. »


Les années d’après-guerre

En 1990, Liger-Belair est sollicité comme architecte-consultant par Dar el-Handasah pour jeter les bases du plan de reconstruction du centre-ville. Mais les points de vue divergents le poussent à quitter le groupe. Il planche alors sur les équipements sportifs et culturels dédiés à de nombreuses institutions. Plusieurs projets sont également élaborés pour la Syrie, l’Égypte, le Ghana et, surtout, Alger, où l’Atelier des architectes associés signe la réalisation de la faculté de médecine de la ville, le siège de la poste et des télécommunications, et divers ensembles résidentiels.

Dans l’intervalle, l’Atelier des architectes anonymes  sème ses édifices à Adma, Achrafieh (l’Albergo, Les Jardins de Tabaris, Le Trabaud, Le Patio de Beyrouth, Sioufi Heights, etc.), mais aussi à Badaro (Badaro Gardens), Nahr Beyrouth (siège de Holcom) et dans le nouveau campus de l’ALBA. L’ensemble respecte fidèlement les idées fondatrices de base qui ont fait la renommée de l’Atelier. C’est-à-dire « une architecture moderniste, intemporelle, humaniste, verte, flexible, intégrée, respectueuse de l’environnement et des usagers, mais aussi une architecture à jour dans les techniques et matériaux de pointe adéquats », souligne Jean-Pierre Megarbané, cofondateur de l’AAA, auquel se joindront Georges Khayat, André Trad et Roger Hachem.


Aux jeunes architectes, je veux dire...

« Si vous êtes capables de bâtir avec vos matériaux, le béton, l’acier, le verre, aussi intelligemment que le faisaient les anciens avec la pierre, la terre, les arbres, et si, comme eux, vous le faites en respectant et même exaltant l’environnement, alors vous serez de bons architectes. »

En 2022, un documentaire sur JLB, produit par le BAFF en collaboration avec Samir Nicolas Saddi et l’AAA, a été diffusé dans l’auditorium Abdallah Lahoud Foundation, à l’ALBA. Samir Saddi, architecte de formation, mais aussi photographe d’architecture et chercheur, qui a été un étudiant de JLB, devait préparer avec lui un livre sur l’architecture au Liban. Le destin en a voulu autrement… Samir, qui a approché Liger Belair, exilé en France après le décès de sa femme Jacqueline, aux derniers mois de sa vie, confie à L’Orient-Le Jour : « C’est en 2022 que j’ai repris contact avec Jacques. Malade, il vivait à Le Chesnay. Nous avons parlé de faire un ouvrage qui montrerait l’architecture moderne au Liban occultée par la guerre civile. 

Durant cette période où j’ai passé presque deux semaines chez lui, sa femme Jacqueline souffrait d’alzheimer et logeait 200 kms plus loin. Chaque jour, il lui parlait, et il la visitait chaque semaine. À la fin, il a décidé d’aller vivre auprès d’elle. Son décès l’a totalement anéanti. Je l’appelais 2 à 3 fois par semaine via Face Time pour l’encourager à élaborer ensemble une structure pour le livre. Mais je sentais qu’il était fatigué… Ma seule consolation, c’est d’avoir pu faire ce film avec lui, sur lui, racontant sa vie d’architecte. »

« Sa passion pour Jacqueline et pour le Liban est extraordinaire. Et je dirais, sans l’ombre d’un doute, que Jacques Liger-Bélair a aimé le Liban comme peu d’entre nous l’ont fait et qu’il lui a tant donné », conclut Samir Saddi, qui travaille actuellement sur un ouvrage regroupant trois architectes qui ont influencé son parcours : Raoul Verney, Jacques Liger-Bélair et Maurice Hindié.

Chevalier de l’ordre de la Légion d’honneur française et détenteur du prix Duyver d’architecture à Bruxelles pour la maison 100 % green conçue pour Abdo et Raymonde Ayoub à Dahr el-Sawan, les réalisations de Jacques Liger-Belair sont issues d’une osmose entre l’homme et son milieu, entre la manière de vivre et la manière d’habiter. Et il le dit clairement dans son...

commentaires (2)

Il aurait été pertinent de montrer certaines de ses réalisations dans votre article.

Michael

19 h 12, le 06 avril 2024

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Commentaires (2)

  • Il aurait été pertinent de montrer certaines de ses réalisations dans votre article.

    Michael

    19 h 12, le 06 avril 2024

  • Un pilier de l'architecture humaine moderne! Les écoles des saints-coeurs avec l'architecte Megarbanné n'en sont qu'une preuve vivante. Il contribuera à moderniser le Paradis. Adieu Jacques!

    Wlek Sanferlou

    16 h 16, le 06 avril 2024

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