
Des migrants secourus par les autorités chypriotes. Photo d'archives Centre conjoint de coordination des secours (JRCC)/AFP
La question des migrants syriens partis des côtes libanaises pour arriver à Chypre s'est retrouvée au cœur de discussions ces dernières heures entre le président chypriote, Nikos Christodoulides, et le Premier ministre libanais sortant, Nagib Mikati, après que Nicosie avait demandé mercredi à l'Union européenne de prendre des mesures pour endiguer la récente vague de réfugiés syriens arrivant sur ses côtes. M. Christodoulides a dans ce cadre appelé le Liban à ne pas « exporter » son problème migratoire, tandis que M. Mikati a appelé à « comprendre » la situation libanaise.
Le Liban compte actuellement 784.884 réfugiés syriens enregistrés auprès du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), selon les chiffres de décembre 2023. L’estimation officielle reste autour de 1,5 million, y compris ceux qui ne sont pas enregistrés auprès du HCR, faisant du Liban le pays avec la plus forte population de réfugiés par habitant dans le monde. Neuf pour cent des réfugiés syriens au Liban vivent dans l’extrême pauvreté, selon l'ONG internationale Human Rights Watch. D'après Reuters, au moins 600 Syriens sont arrivés à Chypre au cours des quatre derniers jours à bord de petites embarcations, à la faveur d'une météo clémente. La traversée maritime entre le Liban ou la Syrie et Chypre dure environ 10 heures. « Ces arrivées quasi quotidiennes constituent une grave crise », a déclaré le président chypriote, Nikos Christodoulides, lors d'une réunion du Conseil des ministres mercredi. Quelque 2 004 personnes sont arrivées à Chypre par la mer au cours des trois premiers mois de cette année, contre seulement 78 au cours de la même période en 2023, selon les données officielles. M. Christodoulides, qui a déclaré que le Liban ne devait pas « exporter » son problème migratoire, a indiqué qu'il avait eu une conversation téléphonique avec le Premier ministre sortant libanais, Nagib Mikati, à ce sujet.
Une boussole, de la nourriture et de l'eau pour une journée
Boudée par les trafiquants dans le passé en raison de son isolement par rapport au reste de l'Europe contiguë, Chypre a connu un pic d'arrivées, principalement en provenance de Syrie, parce que l'île est moins chère et plus facile d'accès par rapport à d'autres destinations - et en raison de l'attraction exercée par une population syrienne en constante augmentation sur l'île elle-même.
D'après des entretiens avec des réfugiés, les trafiquants demandent 3 000 dollars pour un voyage à Chypre, contre 7 000 dollars pour l'Italie, a déclaré mercredi le ministre de l'Intérieur, Constantinos Ioannou, à la radio d'État. « La situation s'aggrave progressivement et, ces derniers jours, nous avons assisté à un assaut de bateaux pourris et de réfugiés mettant leur vie en danger », a déclaré Constantinos Ioannou. « Tout indique que cela va continuer », a ajouté le ministre à la radio publique à propos de l'augmentation du nombre d'arrivées. Selon lui, cette situation est d'autant plus préoccupante que les autorités libanaises se sont moins attachées à endiguer l'émigration sur leur littoral ces derniers mois, en raison de l'escalade à la frontière libano-israélienne.
Chypre appelle depuis longtemps ses partenaires de l'UE à déclarer sûres certaines parties de la Syrie ravagée par la guerre, ce qui pourrait faciliter le retour de ses citoyens en fuite. Elle souhaite également que l'aide de l'UE au Liban soit conditionnée à l'arrêt du flux de migrants, a déclaré M. Ioannou. « Les trafiquants leur donnent simplement une boussole réglée à 285 degrés, de la nourriture et de l'eau pour une journée et ils se mettent en route », a-t-il souligné.
Dilemme libanais
En réponse à ces déclarations, Nagib Mikati s'est dit jeudi, lors d'un discours devant son gouvernement sortant, réuni au Sérail, « surpris » de ce début de « crise diplomatique » entre Chypre et le Liban. Il a indiqué avoir affirmé aux autorités chypriotes que la situation des Syriens au Liban doit « être comprise » par la communauté internationale. Il lui a expliqué le « dilemme » des autorités libanaises : « les déplacés (le terme utilisé par les autorités libanaises pour évoquer les migrants syriens, qu'ils bénéficient du statut de réfugié ou non, ndlr) syriens entrent illégalement au Liban et aucun pays ne nous aide à contrôler la frontière. Si nous décidons de les expulser, nous nous retrouvons devant un problème de droits humains ». Le Premier ministre sortant a encore assuré que Beyrouth « s'efforce de contrôler, dans la mesure de ses capacités, sa frontière maritime ». Des arrestations de passeurs et des opérations menées contre des tentatives de traversées illégales sont régulièrement annoncées par les autorités libanaises, mais elles ne représentent qu'une partie des traversées tentées par les migrants. « J'ai contacté le président Christodoulidès et je lui ai demandé de proposer, lors d'une future réunion des pays euro-méditerranéens, de faire pression sur l'UE pour qu'elle nous aide en ce qui concerne les expulsions des déplacés illégaux au Liban ».
Mardi, le ministre libanais sortant des Affaires sociales, Hector Hajjar, avait annoncé lors d’une réunion d'un comité ministériel sur la question des migrants syriens, le lancement d'un recensement total des Syriens, afin de « déterminer qui répond au statut de déplacés ou non ». Les personnes ne répondant pas aux critères de « déplacés » se verraient alors « réinstallées dans un pays tiers ou renvoyés » en Syrie.
Des expulsions de Syriens ces derniers mois ont provoqué l'indignation d'organisations de défense des droits humains, qui estiment que la situation en Syrie n'est pas sûre et que les personnes expulsées font face, à leur retour dans leur pays, à des risques d'abus et de violences.
Le 22 mars, le commissaire européen Margaritis Schinas avait déclaré que l'UE pourrait conclure un accord avec le Liban afin d'endiguer les arrivées de migrants. L'Union européenne a conclu des accords avec plusieurs pays pour les aider à faire face à l'augmentation de la charge migratoire et, en fin de compte, éviter un débordement dans les 27 États membres de l'Union. Les groupes de défense des droits ont vivement critiqué ces accords.
Dix jours avant la déclaration du commissaire européen, le ministre chypriote des Affaires étrangères, Konstantínos Kómbos, s'était rendu à Beyrouth afin de discuter avec les autorités libanaises, notamment, de la migration illégale des Syriens via Chypre. Lors d'une réunion avec M. Kómbos, M. Mikati avait « espéré une coopération étroite entre les deux pays dans les domaines du développement », ajoutant qu'il est « important pour le Liban que Chypre soutienne au sein de l'Union européenne sa demande que les Syriens soient aidés dans leur pays » et non dans leurs pays d'accueil.
Le problème des migrants se pose partout: de Syrie vers le Liban puis Chypre ou l’Europe via la Turquie, du Mexique vers les USA, et de tous les pays d’Afrique vers la France et l’Italie. Comment se fait-il que l’on ne puisse mettre fin à ce désastre. Désastre pour les pays d’accueil et aussi pour les migrants eux-mêmes? On n’entend jamais parler d’arrestation de jugement et d’exécution d’un de ces trafiquants de chair humaine. On a l’impression que tous les pays dits civilisés sont complices de ce crime contre l’humanité.
07 h 39, le 05 avril 2024