Critiques littéraires Récit

Le trésor caché de Françoise Chandernagor

Revenant sur les bonheurs de son enfance en pays creusois, Françoise Chandernagor livre un hommage émouvant à sa terre natale. Dans L’Or des rivières, c’est tout autant un espace secret qui se découvre qu’un rapport particulier au temps qui s’éprouve. Pays hors du temps, pays sacré.

Le trésor caché de Françoise Chandernagor

D.R.

J’écoute les vents me raconter ce pays secret, l’asile de mes mystères, mes labyrinthes enchantés. » La Creuse, c’est pour Françoise Chandernagor, le côté de la mère et de tous ses ancêtres avant elle. L’ancienne haut-fonctionnaire passée par l’ENA est devenue par la grâce d’un roman dont le succès fut considérable (L’Allée du Roi paru en 1981), une femme de lettres reconnue et célébrée. Mais l’illustre membre de l’Académie Goncourt n’a pas oublié ses racines. L’Or des rivières raconte comment sa famille, de ces maçons-bâtisseurs qui vinrent s’établir dans les grandes villes pour travailler, a fait retour au pays. Et comment elle-même, très tôt, décida de s’établir dans la Creuse. « Rester pour raconter, dit-elle. Écrire pour vivre au pays. Et pour y mourir aussi. » Car Françoise Chandernagor ne fait pas mystère que dans le cimetière du bourg voisin, sa place est déjà réservée dans le caveau de famille : « croix de granit usée par le temps et plaques de porcelaine aux cursives ornées et de pleins et de déliés : mon nom y figure déjà, il n’y manque plus que la date… »

Mais rien n’est triste dans ce livre, tout au contraire. L’Or des rivières embrasse le mouvement de la vie. Des allers et des retours donc de ces « Maçons de la Creuse » qui allaient vendre leur force de travail et leur savoir-faire dans les villes. Le Panthéon, c’est eux qui l’ont construit. Les Tuileries, l’Odéon, le palais de l’Industrie, eux aussi. Fierté creusoise. Leur don à la France. Ces Creusois, une fois un peu moins désargentés mais jamais riches, sont revenus construire leur maison de leurs propres mains au pays. C’est la maison du grand-père à Fontloup qu’on appelle « la maison biscornue » où la petite Françoise a ses premières joies et ses premières peurs. Avec un grand naturel, sans jamais lasser, Françoise Chandernagor entrelace à ses souvenirs d’enfants – quelle merveilleuse aventure qu’une partie de pêche ! – une histoire du pays de la Creuse, une des régions les plus pauvres de France et d’une certaine façon des plus austères, mais dont les richesses se révèlent merveilleuses et infinies à qui sait les voir. « Un méli-mélo de taillis et de roches grises, un tohu-bohu de collines couronnées de minuscules parcelles aux formes improbables – triangulaires, rondes ou octogonales – et d’une épaisse future d’arbres qui finissait par recouvrir ces prés grands comme des mouchoirs. »

Pour Françoise Chandernagor, aussi fantasque que cela paraisse, la Creuse est une île. Et elle tient à cette conception. Enclavée, éloignée des grands réseaux ferroviaires, si mal servie, si mal desservie, la Creuse se gagne, c’est-à-dire qu’elle se mérite. Pas plus hier qu’aujourd’hui, l’auteure ne se plaint d’habiter dans ce hors-monde souvent mal commode au regard de la modernité. Il faut de la patience pour atteindre son île – « l’île où l’on n’arrive qu’à pied », dit-elle joliment. Il faut encore plus de tempérance et de caractère pour apprivoiser ce pays qui fait figure de refuge. Et Françoise Chandernagor de relever que « la Creuse est le département le plus pauvre de l’Hexagone  ; pourtant, malgré sa misère et sa population vieillissante, elle fut une des régions les moins touchées par le covid durant le temps de l’épidémie ».

Dans la Creuse, Françoise Chandernagor a pu s’acheter grâce à ses succès littéraires une belle maison qui est devenue la demeure familiale des nouvelles générations à quelques encablures de Fontloup. C’est Verneige. « Ma maison de Verneige se trouve par chance au milieu de la France et en moyenne montagne, elle est en outre totalement isolée et située loin de tout axe routier. » Une île dans une île ne peut que renfermer un trésor…

Fontloup, Verneige, rien que la toponomie de ces lieux invite à une forme de rêve et aussi à un archaïsme fabuleux. Il court encore dans ce pays des légendes merveilleuses et des pratiques ésotériques qui entourent la région d’une aura chimérique.

Au terme d’une vie, cet Or des rivières peut être lu tout aussi bien comme un testament que comme une profession de foi. Françoise Chandernagor sait qui elle est parce qu’elle sait d’où elle vient. « Non, je suis juste une Creusoise du Bâtiment. J’appartiens à la race des maçons-laboureurs : il me faut, comme à eux de la terre et des pierres. Et construire, planter, restaurer, défricher, agrandir et travailler, travailler… »

L’Or des rivières de Françoise Chandernagor, Gallimard, 2024.

J’écoute les vents me raconter ce pays secret, l’asile de mes mystères, mes labyrinthes enchantés. » La Creuse, c’est pour Françoise Chandernagor, le côté de la mère et de tous ses ancêtres avant elle. L’ancienne haut-fonctionnaire passée par l’ENA est devenue par la grâce d’un roman dont le succès fut considérable (L’Allée du Roi paru en 1981), une femme de lettres...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut