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Politique - Décryptage

Un « 7 mai » entre chrétiens et chiites en perspective ? Pas si sûr


Depuis l’ouverture du dossier présidentiel et l’adoption claire par le tandem Amal-Hezbollah de la candidature du chef des Marada Sleiman Frangié, le fossé n’a cessé de se creuser entre les composantes politiques chrétiennes et les formations chiites. Certes, entre les Forces libanaises et le Hezbollah, la rupture est depuis longtemps consommée, mais désormais, d’autres composantes chrétiennes, comme le Courant patriotique libre, ont suivi le mouvement, alors que le patriarcat maronite, en la personne du cardinal Béchara Raï, multiplie les piques dans ses homélies du dimanche. De plus, les critiques ne se limitent plus aux commandements politiques, elles gagnent aussi les bases populaires respectives des deux camps, avec une rare violence. Des incidents sur le terrain viennent alimenter cette animosité, depuis l’affaire dite de Tayyouné (octobre 2021), en passant par celle de Kahalé (août 2023) et jusqu’à l’incident de Rmeich, la semaine dernière. Au point que la question qui se pose actuellement dans les coulisses politiques est jusqu’où peut aller ce clivage qui n’avait jamais été aussi profond et pourrait-il provoquer des incidents armés sur le terrain ? Certains milieux évoquent même une sorte de « 7 mai » entre chrétiens et chiites, dans une allusion aux affrontements qui avaient secoué la capitale en mai 2008 (entre sunnites et chiites, notamment après le coup de force du Hezbollah) avant d’aboutir à la conférence de Doha qui avait donné naissance à un accord global, lequel s’est traduit par l’élection du général Michel Sleiman à la présidence de la République.

Les partisans d’un tel scénario précisent que le camp chrétien, qui est en général en conflit sur tout, est pour l’instant uni autour de l’idée que c’est le rôle de cette communauté qui est visé par le tandem chiite qui cherche à imposer son propre candidat à la présidence. Il faudrait donc profiter de cette unité pour contrer ce processus et replacer les chrétiens sur l’échiquier. De tels incidents pourraient aboutir soit à « un partenariat équitable » comme le réclame le chef du CPL, soit à une formule proche de la fédération ou en tout cas à des amendements du système actuel qui donneraient une plus grande autonomie à la composante chrétienne, comme le suggèrent d’autres formations. Certaines interprétations vont encore plus loin. Selon des analystes proches des milieux dits fédéralistes ou même dans la mouvance des FL, il s’agirait de profiter du « momentum » actuel, où la situation régionale et internationale est suffisamment floue pour permettre certains changements. Cela pourrait donc ouvrir la voie à des changements de fond puisque de plus en plus de chrétiens sont convaincus qu’ils ne peuvent pas « vivre avec les chiites ». Dans cette approche, le rôle le plus important est dévolu aux FL, qui seraient maintenant plus libres que par le passé, puisque leur alliance avec l’Arabie saoudite bat de l’aile et que leurs relations avec les Occidentaux, en particulier les Américains, ne sont pas au beau fixe. De plus, les FL ne laissent pas de place à une possible réconciliation. Ce qui n’est pas le cas du CPL, qui maintient toujours, en dépit de ses critiques violentes, une place pour une reprise des relations avec le tandem chiite et en particulier avec le Hezbollah. Ce serait donc le moment pour les FL, selon cette approche, de lancer une action sur le terrain, directement ou non, qui aboutirait à un resserrement des rangs chrétiens autour d’elle ainsi qu’à des changements dans la formule de coexistence actuelle qui, aux yeux de nombreux Libanais, ne fonctionne plus. C’est d’ailleurs dans cette optique que certains analystes prédisent que si un cessez-le-feu est adopté à Gaza, les problèmes internes au Liban pourraient commencer.

Toutefois, selon des sources proches des FL et du CPL, ce scénario n’est pas réaliste. Les deux formations ne seraient nullement dans la perspective de lancer un conflit sur le terrain. D’abord, parce qu’en dépit de l’affaiblissement des institutions de l’État en raison des crises successives traversées par le pays, la rue chrétienne n’est pas prête à une confrontation militaire avec le tandem chiite. De plus, sur le plan régional et international, il n’y a pas vraiment de couverture externe à une telle action. Les États du Golfe prônent l’apaisement avec l’Iran et les Émirats ont récemment accueilli un émissaire du Hezbollah. De même, les autres pays de la région n’ont aucun intérêt à susciter des troubles au Liban, puisqu’ils se concentrent sur d’autres zones. Sur le plan international aussi, aucun État ne semble favorable au déclenchement d’affrontements internes, d’autant que le Liban n’est pas en tête des priorités. De plus, et c’est sans doute le plus important, en dépit des critiques violentes, il n’y a aucune volonté réelle chez les différentes parties chrétiennes de se lancer dans des affrontements internes dans le contexte actuel. Ceux qui ont rencontré récemment le chef des FL, Samir Geagea, ont constaté une volonté de sa part de limiter l’impact de l’incident de Rmeich, ainsi que des précédents, pour démentir toute volonté de créer des troubles sécuritaires avec le tandem chiite.

De son côté, le Hezbollah suit de près les développements sur le plan chrétien, et ses proches affirment qu’il n’a aucune intention de provoquer des incidents avec cette composante, surtout au moment où il est impliqué dans la guerre à Gaza en tant que front de soutien et qu’il essaye d’établir un difficile équilibre entre les exigences de « l’axe de la résistance » et les aspirations des Libanais en général hostiles à l’extension de la guerre.

Pour toutes ces raisons, selon des sources concordantes, les divergences actuelles, en dépit de leur profondeur, entre les composantes politiques chrétiennes et le tandem chiite ne devraient pas entraîner des dérapages sécuritaires... mais il faudrait quand même que les parties concernées parviennent à gérer leurs différends.

Depuis l’ouverture du dossier présidentiel et l’adoption claire par le tandem Amal-Hezbollah de la candidature du chef des Marada Sleiman Frangié, le fossé n’a cessé de se creuser entre les composantes politiques chrétiennes et les formations chiites. Certes, entre les Forces libanaises et le Hezbollah, la rupture est depuis longtemps consommée, mais désormais, d’autres composantes...

commentaires (3)

Il faut surmonter le complexe du 7 mai.

Moi

20 h 57, le 04 avril 2024

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Commentaires (3)

  • Il faut surmonter le complexe du 7 mai.

    Moi

    20 h 57, le 04 avril 2024

  • Merci Scarlett Haddad pour cette excellent article . À vrai dire, on a beau réciter et ânonner la poésie de la coexistence et du vivre ensemble, cependant un gouffre dans la mentalité, les convictions religieuses ainsi que le mode de vie sépare les chrétiens des musulmans. D’ailleurs depuis des siècles le Liban a toujours vécu des périodes de guerres intercommunautaires où au mieux tâche d’éviter les affrontements entre chrétiens et musulmans..

    Hitti arlette

    12 h 36, le 04 avril 2024

  • L’avocate du Hezbollah a plaidé en épargnant bien entendu son autre idole qui est le CPL. Une occasion de plus pour attaquer la FL qui demeure être la bête noire de SH. C’est plus que lassant !!!

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 55, le 04 avril 2024

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