« Dans un pays qui fait face à un sérieux risque de guerre, il faut garder les canaux de dialogue ouverts avec tout le monde. » C’est par ces termes que Ghassan Atallah, député du Courant patriotique libre, explique pour L’Orient-Le Jour les contacts qu’il mène à l’heure actuelle avec le président de la Chambre, Nabih Berry, longtemps perçu comme une bête noire du parti aouniste. Théoriquement, la démarche viserait principalement à examiner les meilleurs moyens d’épargner au pays le scénario d’une guerre totale, à l’heure où l’escalade semble être le maître mot au Liban-Sud, érigé en front de soutien au Hamas. Sur le plan strictement politique, cette reprise de langue devrait permettre une amélioration des rapports entre Aïn el-Tiné et le CPL, et donner un nouveau souffle aux efforts déployés en quête d’une entente élargie à même de débloquer l’élection présidentielle. Mais on est encore loin du compte, la position de M. Berry n’ayant pas bougé d’un iota : c’est à la faveur d’un dialogue tenu à la Chambre (et qu'il présiderait lui-même) que le consensus autour du futur chef de l’État pourrait être atteint.
Le dialogue entre les aounistes et le chef du législatif remonte à plusieurs mois déjà. « Nous nous réunissons régulièrement à raison d’une fois toutes les deux ou trois semaines », confie Ghassan Atallah à notre journal, faisant savoir que son dernier entretien avec le président de la Chambre a eu lieu vendredi dernier. Selon le parlementaire, les discussions ont porté sur l’importance d’éviter une escalade généralisée au Liban-Sud, quelques jours après des échauffourées qui avaient opposé, il y a une dizaine de jours, des miliciens présumés du Hezbollah venus lancer des roquettes depuis le village chrétien frontalier de Rmeich aux habitants. « Nous (le CPL) sommes intervenus pour calmer les esprits des villageois qui ne veulent pas la guerre », déclare le député aouniste, réitérant la position de son parti qui rejette la notion d’« unité des fronts » au nom de laquelle le Hezbollah s’active au Sud en soutien à Gaza, ce qui a envenimé encore plus les rapports entre les deux formations. Les réunions en cours avec Nabih Berry, allié le plus constant du parti de Hassan Nasrallah, pourraient-elles donc faciliter un retour à la normale entre les aounistes et le « parti de Dieu » ? « Nous œuvrons pour de meilleures relations avec le mouvement Amal. Quant à nos rapports avec le Hezbollah, c’est une autre paire de manche », se contente de dire M. Atallah.
La présidentielle et les municipales
Il reste que cet entretien ne peut être dissocié du contexte politique dans lequel il est intervenu. Le député aouniste s’est rendu à Aïn el-Tiné à l’heure où le processus présidentiel fait du surplace, les divers protagonistes campant sur leurs positions respectives : face à un tandem chiite attaché à la candidature du chef des Marada, Sleiman Frangié, se dresse une opposition refusant tout dialogue autour de l’échéance sous la houlette de Nabih Berry. Ce dernier semble, pour sa part, déterminé à s’affirmer comme le passage obligé de tout déblocage. Il s'est donc indirectement déployé à torpiller l'initiative lancée en février dernier par le bloc de la Modération nationale (des députés majoritairement sunnites ex-haririens), tout en disant officiellement la soutenir. Dans ses grandes lignes, cette proposition prévoit la tenue de concertations parlementaires suivies d’une séance électorale avec des tours de vote successifs. « Les réunions avec M. Berry sont intervenues après l’atmosphère négative qui avait prévalu ces dernières semaines, donnant l’impression que l’initiative de la Modération nationale est tombée à l’eau. Nous convergeons avec le président de la Chambre sur le fait qu’il faut donner ses chances à cette initiative, même si le tandem s’en tient à son candidat », souligne Ghassan Atallah. Selon lui, le président de la Chambre a demandé aux députés de la Modération d’effectuer une nouvelle tournée auprès des protagonistes en vue de répondre à toutes leurs questions, et s’est montré prêt à participer à tout dialogue en tant que chef d’un bloc parlementaire. Une affirmation à laquelle un proche de Aïn el-Tiné apporte une nuance : « Notre position n’a pas changé : le chef du législatif devrait naturellement être à la tête d’un dialogue en vue de débloquer la présidentielle. » Aucune percée n’est donc à attendre dans un avenir proche, ou du moins pas avant la relance des entretiens de la Modération nationale avec les diverses parties concernées, mais aussi avec le quintette impliqué dans le dossier libanais (États-Unis, France, Arabie saoudite, Égypte, Qatar) qui devrait relancer son action après le mois du ramadan.
Sur un autre registre, le CPL a rouvert les canaux de dialogue avec Aïn el-Tiné à l’heure où les spéculations autour d’un éventuel (nouveau) report des élections municipales (prévues en mai) se font de plus en plus précises. Une démarche dans le cadre de laquelle le courant aouniste est un élément-clé, surtout pour assurer le quorum d’une séance parlementaire qui voterait une loi prorogeant une nouvelle fois le mandat des conseils municipaux. « Nous n’avons pas évoqué cette question vendredi dernier. Mais ce qui est sûr, c’est que le CPL ne permettra pas de vide à ce niveau », déclare M. Atallah, donnant ainsi le feu orange à une prorogation, au grand dam des formations chrétiennes adversaires, notamment les Forces libanaises.
Bassil works for Bassil et Berry works for Berry Alors imaginons un président fabriqué par ce tandem et entériné par Hezbollah
19 h 14, le 05 avril 2024