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Culture - Exposition

Marwan Rechmaoui, jeux de gamins, jeux barthiens

Béton, caoutchouc, métal et cire glissent entre ses doigts avec la même dextérité. Tous au service d’une œuvre conceptuelle exposée à la galerie Sfeir-Semler downtown qui cette fois porte l’intitulé des « Rêves d’Icare » et gravite autour du regard de l’enfance sur les rues de Beyrouth.

Marwan Rechmaoui, jeux de gamins, jeux barthiens

Au milieu de la salle, l'ombre d'Icare plane, symbolisée par un soleil jaune citron en cire et béton. Photo autorisée par la galerie Sfeir-Semler

Pour sa 9e exposition solo, Marwan Rechmaoui nous emmène au cœur des jeux d’enfance et de ses souvenirs. Une série qui, au premier coup d’œil, se démarque de l’univers qu’on lui connaît, sans toutefois totalement lui tourner le dos au niveau des supports qu’il affectionne.

Tout commence au moment où, l’été dernier, il travaille dans la région de Aley sur une commande en fer et verre pour Beirut Art Center. Là-bas, il retrouve des pinèdes à perte de vue, terrain de jeu familial de son enfance. « Les pins m’ont inspiré un nuage que j’ai dessiné avant de lui donner forme dans la matière dont il est fait aujourd’hui », explique l'artiste, qui confie tomber alors sur une sorte de journal de croquis de jeux de son enfance datant des années 1990 recelant quelque 18 jeux, soit qu’il confectionnait avec des objets récupérés, soit totalement immatériels comme le cache-cache par exemple. « Quand mon grand-père bâtissait un mur, mes cousins et moi lui dérobions un peu de béton et construisions un circuit sur lequel nous faisions rouler nos voitures miniatures, c’était le premier exercice auquel j'ai confronté mes mains », raconte Marwan Rechmaoui. « C’est ainsi que j’ai fait fusionner deux idées », poursuit celui qui a toujours caressé le rêve de devenir artiste. Un idéal qui est d'abord étouffé par des études de gestion d’affaires avant d’éclore vers l’âge de 25 ans.

Une exposition aussi ludique que sombre

Dans une exploration originale des dynamiques urbaines, Marwan Rechmaoui adopte une approche ludique. En se replongeant dans ses souvenirs d'enfance à Beyrouth, il réinvente cette période à travers des installations ludiques, utilisant des billes, des cerfs-volants et des tracés de marelle. Sur un pan de mur de la galerie, béton et cire naturelle se fondent dans des glaces multicolores à côté de barbes à papa roses qui font remonter le goût édulcoré de nos enfances. Ces créations – qui reproduisent ses jouets d’enfance – sont juxtaposées à des représentations en cire de la nature, soulignant ainsi la capacité de transformation des expériences de jeunesse et peut-être un éternel retour à la nature.

Une vue de l'installation « Chasing the Sun » de Marwan Rechmaoui à la galerie Sfeir-Semler downtown. Photo autorisée par la galerie Sfeir-Semler

Au point de départ de son inspiration, Marwan Rechmaoui a plongé dans une réflexion de Roland Barthes pour qui les jouets sont essentiellement un microcosme du monde adulte.

Il dissèque donc l'impact des jeux d'enfance sur la construction de l'identité adulte, suggérant des réflexions plus profondes sur la société. Il explore la connexion entre le jeu et la rivalité. Dans le jeu, il y a toujours un gagnant qui annihile le perdant comme dans les guerres. L'artiste conceptuel met en lumière la violence symbolique inhérente aux jeux et fait un parallèle évident avec la guerre civile libanaise.

Trente œuvres tout en fluidité ornent la galerie Sfeir-Semler à downtown dont le dénominateur commun est ce sentiment duveteux, voire cotonneux des jouets choisis par celui qui puise dans la forme des pins et des nuages. « C’est comme être sur un nuage ou sur de la neige fraîche », s’exclame-t-il d’un air puéril, visiblement ravi de partager cette fraîcheur d’enfance. Un concept abstrait qui se prête à toutes les choses de la vie pour lequel il a utilisé de la cire naturelle qu’il a colorée avec des pigments d’huile et un béton déjà prêt à l’emploi.

« La corrélation entre les jeux et la nature est venue tout naturellement puisqu’on jouait à l’extérieur. Plus la nature avait un relief accidenté, plus les jeux prenaient de l’ampleur », précise l'artiste. Au milieu de la salle, l'ombre d'Icare plane, symbolisée par un soleil jaune citron en cire et béton. Cette référence à l’homme-oiseau légendaire évoque la tentative audacieuse de l'homme de s'élever vers le ciel, un geste symbolique de la propension humaine à l'exploration, si naturelle à l’enfance, mais aussi un rappel de nos limites.

Les jeux d'enfance de Rechmaoui, souvent improvisés, révèlent l'aspect universel du jeu qui transcende les matériaux. Que ce soit avec des jouets faits à la main ou en série, le jeu demeure un langage permettant aux enfants de communiquer à travers les cultures et les contextes, de grandir et d’évoluer. Mais aussi de se concurrencer dans les hiérarchies sociales existantes, car malgré l'avènement de l'ère numérique, la culture compétitive enracinée dans les expériences de l'enfance continue à façonner des sociétés stratifiées.

Jouer est une métaphore du verbe tuer, d’où la dualité qui est déjà présente dans l’enfance, le bien et le mal s’y affrontent déjà naturellement, l’ami devient l’ennemi, il faut se surpasser mais en même temps éliminer l’autre. Demeure quand même l’univers multicolore inhérent à l’enfance synonyme d’insouciance, de légèreté. « Les couleurs avec lesquelles je reconnais avoir du mal sont partie intégrante de l’enfance, admet-il, elles sont essentielles même si à cet âge, elles n’ont aucune symbolique. » Et l’artiste, une fois n’est pas coutume, semble s’y être prêté avec un plaisir certain.

« Rêves d’Icare » à la galerie Sfeir-Semler, rue Darwiche Haddad, downtown, Beyrouth. Jusqu’au 27 juillet.

Pour sa 9e exposition solo, Marwan Rechmaoui nous emmène au cœur des jeux d’enfance et de ses souvenirs. Une série qui, au premier coup d’œil, se démarque de l’univers qu’on lui connaît, sans toutefois totalement lui tourner le dos au niveau des supports qu’il affectionne. Tout commence au moment où, l’été dernier, il travaille dans la région de Aley sur une...

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