Se dirige-t-on vers une nouvelle phase du règlement de comptes politiques entre Nagib Mikati et ses détracteurs et potentiels adversaires ? Le chef du gouvernement sortant a demandé la semaine dernière au ministre sortant de l’Intérieur Bassam Maoulaoui de « retirer immédiatement tous les véhicules et membres d’appareils sécuritaires chargés de la protection des personnalités (politiques) d’une manière allant à l’encontre des textes de lois en vigueur ». « Il revient (toutefois) au Conseil central de sécurité (affilié au ministère de l’Intérieur) de se prononcer au sujet de certaines exceptions dictées par les circonstances sécuritaires », peut-on lire dans le texte de la note officielle distribuée par le bureau de presse de M. Mikati au lendemain d’un iftar auquel ce dernier est arrivé avec une demi-heure de retard. Cela avait fait dire à certains médias que c’est en plein embouteillage beyrouthin que le Premier ministre sortant, excédé, a pris sa décision.
Au-delà du souci apparent de veiller au respect des lois en vigueur, la démarche de M. Mikati a sans doute une dimension politique. D’abord parce que la note est adressée au ministre sortant de l’Intérieur dont les rapports avec le chef du gouvernement démissionnaire sont en dents de scie. Ensuite parce qu’elle concerne, outre les Forces de sécurité intérieure, la Sécurité de l’État dirigée par Tony Saliba, réputé proche du chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, principal détracteur du chef sunnite. Le général Saliba était toutefois – chose inédite – l’un des premiers à se conformer aux directives de Nagib Mikati. Dans sa décision qui a fuité dans certains médias, le patron de la Sécurité de l’État demande de « retirer tous les membres d’appareils sécuritaires chargés de la sécurité de personnalités politiques, judiciaires et administratives ». « C’est une procédure ordinaire et annuelle », souligne à L’Orient-Le Jour une source proche du dossier sous couvert d’anonymat, comme pour balayer les accusations lancées contre le général Saliba de ne pas avoir exécuté des demandes similaires formulées par le passé. « Ces demandes ne suscitaient pas de polémique parce que le Conseil central de sécurité prenait rapidement une décision de remettre aux figures politiques les agents chargés de les protéger », précise la source.
Il reste que le timing de la démarche « docile » de Tony Saliba suscite des interrogations, surtout qu’il ne rate aucune occasion pour afficher son opposition (et celle du CPL derrière lui) au Premier ministre sortant. D’autant qu’elle est intervenue quelques jours après l’évasion, dans la nuit de mercredi à jeudi dernier, de Dany Rachid, ancien employé de Salim Jreissati, ex-ministre proche de Michel Aoun et du général Saliba lui-même, du siège de la Sécurité de l’État à Beyrouth. Il y était détenu depuis décembre 2023 après avoir été accusé d’avoir agressé Abdallah Hanna, un ingénieur qui travaille avec la famille Skaff, des notables grecs-catholiques de Zahlé. Tony Saliba semble avoir voulu, donc, éviter une nouvelle polémique.
« Mettre Bassil en danger »
« Tous les agents de sécurité rattachés à des personnalités politiques leur ont été retirés mardi. Et il reviendra au Conseil central de sécurité de les redéployer auprès d’eux », indique une source informée, faisant valoir que les lois en vigueur octroient aux députés en poste quatre gardes du corps relevant de la Sécurité de l’État, alors que les ex-parlementaires n’en ont droit à aucun. « Mais les chefs de partis politiques, notamment ceux qui sont la cible de menaces sécuritaires, ont le droit d’avoir plus que quatre, ainsi que des agents des FSI pour les protéger », ajoute-t-elle.
C’est à travers ce prisme qu’il conviendrait de lire la réaction aouniste à la décision de Nagib Mikati. « Le Premier ministre met en danger Gebran Bassil », lance un proche du chef du chef du CPL dans une déclaration à L’OLJ. « C’est sa façon de réagir à notre farouche opposition à sa gestion du pays en période de vacance présidentielle », estime-t-il. Cette lecture, les détracteurs de M. Mikati et du CPL lui-même ne la partagent naturellement pas. « L’affaire Dany Rachid est tellement flagrante que Nagib Mikati (dont relève la Sécurité de l’État en l’absence d’un président) et Tony Saliba devaient faire quelque chose », estime un député relevant de l’opposition. « Mais pour ne pas s’adresser exclusivement à la Sécurité de l’État, le Premier ministre a adressé sa note à la Sûreté générale et aux FSI », croit savoir le parlementaire. Une façon de démonter l’argument selon lequel la démarche du Premier ministre sortant serait porteuse aussi d’un message politique en direction de Bassam Maoulaoui.
Et la présidence du Conseil dans tout ça ?
Ce dernier est, au même titre que M. Mikati, originaire de Tripoli et pressenti comme un des prétendants au poste de Premier ministre après l’élection du prochain président de la République. Aux yeux de plusieurs observateurs, M. Maoulaoui pourrait donc disputer à Nagib Mikati sa base populaire et son poste, et c’est dans le but de lui barrer la voie du Sérail que le Premier ministre sortant se livrerait aujourd’hui à ce règlement de comptes. « À Tripoli, Nagib Mikati n’a rien à craindre au niveau populaire. Mais c’est surtout la question de sa succession qui semble l’irriter. C’est donc dans une volonté de lui barrer la voie du Sérail que M. Mikati donne du fil à retordre à son ministre de l’Intérieur », analyse une figure tripolitaine qui a préféré garder l’anonymat. Elle reconnaît toutefois que le chef du gouvernement démissionnaire « est conscient du fait qu’il ne dirigera pas la première équipe ministérielle du futur mandat ». « Mais comme pour ne pas s’avérer vaincu, il tente de s’imposer comme un élément décisif dans le choix du futur chef de gouvernement », dit-elle, estimant que le milliardaire sunnite parie pour cela sur ses bons rapports avec le tandem chiite Amal-Hezbollah ».
De son côté, le principal concerné ne commente pas ces spéculations. Dans une déclaration à L’OLJ, M. Mikati affirme que ses relations avec Bassam Maoulaoui sont « très bonnes ». « Je me suis entendu avec lui pour la tenue des élections municipales. Nous allons les organiser. Sauf si le Parlement en décide autrement », lance-t-il. Mais ça, c’est une autre paire de manche.
Politically exposed persons can be targeted with drones from the sky. All these bodyguards are for naught.
06 h 04, le 05 avril 2024