Dans ce salon aux reflets jaunâtres de Rabié, dans la banlieue nord-est de Beyrouth, Feyrouz se livre à de rarissimes confessions. Tailleur noir, collier de perles blanches et maquillage léger, elle retrace en ce mois de janvier 1998 un parcours jalonné par le souvenir d’une vie de village romantisé et d’un mariage qu’elle présente comme une prémonition trompeuse.
Derrière la caméra, Frédéric Mitterrand écoute et observe, ébloui, la grande dame de la chanson libanaise lui étayer les coulisses d’une carrière émaillée par les grandes tournées comme les drames personnels sur lesquels elle ne s’attarde pas. Devant les portraits de ses quatre enfants, entre deux sourires timides, Feyrouz décrit le Liban d’avant-guerre qui la voit triompher sur les marches du temple de Jupiter à Baalbeck et ses questionnements professionnels face aux hostilités des années 1970-1980.
Venu spécialement au Liban pour s’entretenir avec la cantatrice de légende pour les besoins d’un documentaire produit et commandé par la chaîne franco-allemande Arte, l’animateur devenu réalisateur s’interroge à voix haute sur le rôle social que peut tenir une artiste rassembleuse au centre d’une nation encore fragile, au lendemain de l’accord de Taëf qui fait déposer toutes les armes, ou presque.
Une décennie plus tôt, en octobre 1988, Frédéric Mitterrand fait la connaissance de Feyrouz « à Paris, dans une grande suite de l’hôtel Prince de Galles », comme l’affirme Mahmoud Zibawi, historien d’art et accompagnateur de la chanteuse durant ce séjour. Présente dans la capitale française pour un concert qui affiche complet à Bercy, celle qui ne se produit plus dans son pays d’origine depuis le début de la guerre honore à la surprise générale l’invitation de Mitterrand, alors présentateur star d’Antenne 2. Fait rare, elle se présente sur le plateau « Du côté de chez Fred » dans une attitude hiératique devant un public non acquis à sa cause pour interpréter trois titres. « Le public français la découvre ce soir-là en direct. Frédéric s’était ensuite rendu au récital de Bercy avec Azzedine Alaïa et Jean-Paul Goude. À l’époque, il lui parlait déjà de son envie de faire un film autour d’elle, confie Zibawi. Ce qui la pousse à accepter l’offre dix ans plus tard ? L’argent. »
Confidence pour confidence
De son enfance solitaire aux plateaux luisants de TF1, Feyrouz a été l’une des nombreuses muses d’un Frédéric trentenaire qui navigue dans les archives des grands médias pour revisiter les destins de divas oubliés ou de têtes couronnées qui le réconfortent.
Alors que François Mitterrand vient d’être élu à la présidence de la République en 1981, son neveu, passionné d’art, fait ses premiers pas dans l’arène télévisuelle de la plus grande chaîne d’Europe avant d’être remercié cinq ans plus tard au moment de sa privatisation.
« Il n’était pas considéré par son oncle. Malgré sa filiation familiale, il voulait absolument prouver qu’il avait un prénom. Ce manque de reconnaissance a été un moteur pour lui », explique Pierre Hanotaux, son ami et ancien directeur de cabinet au ministère de la Culture.
Sur Antenne 2 en pleine expansion où il se fait une place avec « Acteur studio », « Permission de minuit » puis « Du côté de chez Fred », il accueille les grands noms du cinéma. Devant Fanny Ardant, Catherine Deneuve ou Mylène Farmer, il se lance dans la critique de films, tantôt acerbes, tantôt exubérantes, mais toujours sur un ton exalté. Avec son érudition à la fois nonchalante et précise, il marque les eighties pailletées par une éloquence attrayante. Rêveur, admiratif du parcours de personnalités panarabes réputées inaccessibles dont il veut percer les grands secrets, il se livre à de féroces négociations pour les convier dans ses émissions. Si Warda se montre sensible à son charme de dandy non assumé, il lui sera plus difficile de tenir une conversation avec Faten Hamama ou encore Samia Gamal, anciennes figures d’une Égypte libérale qu’il veut absolument dépoussiérer.
Parfums d’Orient
Au mitan de la décennie 1990, Frédéric Mitterrand se réinvente en cinéaste acharné et redécouvre l’Orient, caméra en main. De là se mêleront succès critiques et navets abyssaux, et une réadaptation étonnante d’une Madame Butterfly repensée en docufiction au milieu de la Tunisie tourmentée.
Tandis qu’une page de la politique française se tourne avec le départ du premier président socialiste de l’Élysée en 1995, le désormais documentariste affiche ouvertement son soutien à Jacques Chirac dont il se dit admiratif. Piquant, provocateur chic, homme complexe et complexé, il est, depuis ses villas du Maghreb, devenu l’ami des stars et des puissants. « C’était un homme cultivé, travailleur, fasciné par la Syrie, le Liban et l’archéologie de notre région. Cette curiosité innée et étonnante était sans doute attrayante pour beaucoup », se remémore Nora Joumblatt, avec qui il tourne une émission à Damas, alors que la présidente du Festival de Beiteddine était en pleine restauration de sa maison ottomane.
Fringant socialite, Frédéric Mitterrand se rêve en ambassadeur culturel et rechigne à évoquer ses douleurs et tourments alors que les secrets autour de sa vie privée attisent les curiosités de la presse aguicheuse. « C’était une âme tourmentée qui vivait avec une conscience coupable. Son homosexualité est restée très longtemps une douleur, comme s’il avait fait, très jeune, un rejet de lui-même », confesse Pierre Hanotaux.
Ministre sulfureux
Quand il débarque rue de Valois un soir de juin 2009, le monde de la culture reçoit la nouvelle avec froideur et mépris. Un an après avoir pris les rênes de la villa Médicis, il se voit confier le ministère de la Culture et de la Communication par François Fillon, Premier ministre de Nicolas Sarkozy.
Homme politique mondain et inclassable, il réinvite les mêmes visages qui ont contribué à son succès deux décennies plus tôt sur le service public avec un regard critique mais bienveillant sur le monde arabe décrié au sein de son propre gouvernement. Sauf qu’en assumant des responsabilités officielles, le voilà face à un sombre passé qu’il a lui-même révélé. En affirmant son soutien au réalisateur Roman Polanski, accusé d’avoir violé une mineure dans les années 1970, voilà que réapparaissent des extraits de Mauvaise vie, une autobiographie inhibée parue en 2005. « Il a eu recours à des plaisirs tarifés. Il l’avait avoué », rappelle Pierre Hanotaux qui accompagne Mitterrand durant ses trois années à la tête des institutions culturelles. « Il a eu un gros coup de blues après que son mandat a pris fin. Il a ressenti un grand vide et a, depuis, été tiraillé entre son besoin d’action et son aspiration à reprendre son œuvre », ajoute son ancien directeur de cabinet. Rejeté par une large partie de l’opinion publique à la suite de ses révélations autour de ses pratiques de tourisme sexuel en Thaïlande, il reste une référence pour une vaste fraction de l’establishment français. À l’annonce de son décès, le président Emmanuel Macron, ainsi que son Premier ministre et sa ministre de la Culture ont salué un « homme qui a vécu mille existences ».
À Hammamet, en Tunisie, où il passait ses étés depuis sa demi-sortie du circuit politico-médiatique, Frédéric Mitterrand continuait de recevoir les artistes panarabes qui le fascinaient. Sur les airs de Feyrouz qui l’intriguait sans savoir vraiment pourquoi, il poursuivait sa faste vie sans répondre aux accusations qui ont noirci un tableau qu’il voulait, malgré tout, somptueux.
Il ne montrait pas d'âme tourmentée lorsqu'il révélait au public sa pédocriminalité. Nombreux sont les "artistes" mis sur le devant de la scène, et présentant cette attirance sexuelle pour les enfants. Si la France se nomme pédoland, ce n'est pas injustifié. À croire qu'il faut provenir de cette clique, pour avoir l'opportunité de devenir célèbre en France. Du coup, je me passerai d'aborder sa carrière !
06 h 07, le 24 mars 2024