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Cinéma - Cinéma

« Portrait d’un certain Orient », un drame de l’immigration sur fond d’Amazonie

Présenté au Festival international du film de Rotterdam 2024, « Portrait d’un certain Orient », du réalisateur brésilien Marcelo Gomes, basé sur le roman de Milton Hatoum portant le même titre, est une fable envoûtante et cruelle dont les protagonistes sont des migrants libanais en partance pour le Brésil.

« Portrait d’un certain Orient », un drame de l’immigration sur fond d’Amazonie

Émir (Zakaria Kaakour) observe Émilie ( Wafa'a Céline Halawi) et Omar (Charbel Kamel). Capture d'écran

Ce n’est pas le lion de la MGM mais le tigre de l’IFFR qui a feulé pour ce grand moment de cinéma. Événement annuel programmé sur douze jours depuis 1972, cette année du 25 janvier au 4 février, le Festival international du film de Rotterdam, l’un des plus grands festivals européens de cinéma indépendant, draine des centaines de réalisateurs du monde entier venus présenter leurs films dans les salles de la ville. Si Portrait d’un certain Orient* du Brésilien Marcelo Gomes n’a pas figuré dans la sélection officielle de la compétition sur grand écran, il n’en mérite pas moins les faveurs du public pour les 90 minutes intenses qu’il lui offre, dans l’intimité d’un binôme frère-sœur parti du Liban pour une vie meilleure et le drame qui se tricote à bord du bateau qui les emporte au cœur de l’Amazonie.

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Emilie aime Omar

Nous sommes à la fin des années 1940 et déjà le Liban s'enfonce dans un de ces conflits dévastateurs qui sont sa fatalité. Émilie et Émir, un frère et une sœur de la communauté maronite, se retrouvent orphelins. Leurs parents ont été tués par des musulmans. Émilie vit dans un couvent d’où son frère vient la retirer brutalement, avec une violence injustifiée. Il est visiblement perturbé et lui annonce qu’à défaut de se suicider, il veut partir avec elle pour le Brésil. Elle est réticente, mais il la convainc. À bord du bateau qui fend l’océan officie Omar, un marchand de pacotille musulman. Émilie est irrésistiblement attirée par son charme et son bagout. Ils s’aiment. Émir enrage à l’idée que sa sœur se lie à cet Omar. Peut-être n’est-ce, au-delà de ses préjugés (« ils ont tué nos parents »), qu’un rejet de l’idée qu’elle s’attache librement à un homme, tout simplement.  Mesure que l'histoire se déroule avec pour toile de fond la majestueuse forêt amazonienne, le comportement déréglé d'Émir et le choix que fait Émilie entraînent des conséquences désastreuses.

Émir (Zakaria Kaakour) menace de se suicider. Capture d'écran

Exploration de l’altérité

« Portrait of a Certain Orient est un film sur la passion et les préjugés qui se déroule lors d'un voyage en bateau dans la forêt amazonienne brésilienne peu après la Seconde Guerre mondiale. Dans ce film, comme dans d'autres que j'ai réalisés, je suis captivé par l'idée d'explorer le concept d'« altérité ». Je crois que la seule façon de déconstruire les préjugés est de regarder le monde à travers les yeux des autres. J'oserais même dire que c'est peut-être le seul antidote pour combattre le fanatisme », explique le réalisateur, Marcelo Gomes.

Dans la foulée du roman de Milton Hatoum sur lequel est basé son propos, le réalisateur se lance dans une exploration en noir et blanc des sentiments romantiques et des amours interdites chez les jeunes immigrés libanais, motivé par le désir de comprendre les barrières culturelles qui les entravent. Il explore la façon dont les différences religieuses peuvent masquer la jalousie ou la concurrence. « Les protagonistes de ce film traversent l'Atlantique à la recherche d'un avenir meilleur et doivent faire face à leurs passions les plus intimes. Lorsqu'ils sont détournés de leur destination finale et qu'ils passent plusieurs semaines avec une communauté indigène dans la forêt, il devient plus évident que jamais que tout préjugé religieux est déplacé », écrit aussi Marcelo Gomes.

La profondeur et le mystère d’une œuvre au fusain

En imaginant Manaus, destination finale de ce voyage, comme un endroit perdu au milieu de la jungle, tropical, chaleureux, attrayant, où le maintien de traditions rigides n'est plus possible, le réalisateur explore la possibilité d’une transformation de l'état d'esprit des immigrants. Car la ville, avec son charme et sa diversité, ne peut que favoriser une coexistence harmonieuse entre les autochtones, les Européens et les Arabes. « Mon souhait était de saisir la vitalité des jeunes immigrés avec une caméra intimiste. Avec le directeur de la photographie Pierre de Kerchove, nous avons accentué les différences de lumière entre la forêt amazonienne et la mer », ajoute Marcelo Gomes.

De haut en bas, Zakaria Kaakour,Wafa'a Céline Halawi, Eros Galbiati et Charbel Kamel. Photo diffusée par la production

À l’arrivée, le grain de l’image a la profondeur et le mystère d’une œuvre au fusain. Des noirs tactiles et des blancs lumineux se détachent du fond gris de la forêt tropicale dont on perçoit sans le voir le vert intense et la touffeur habitée de mystères. Ce choix du noir et blanc est lié à l’idée des photographies anciennes. Ce n’est pas un hasard si le seul bref passage en couleur du film est celui où l’on entre dans la lumière rouge du studio sommaire où un photographe, compagnon de voyage, migrant parmi les migrants, développe ses clichés et documente sans le savoir, en y apportant son regard extérieur, le déroulé du drame final. « La photographie en noir et blanc est un élément-clé du récit, car les photographies sont des objets qui évoquent des souvenirs de jours meilleurs, déclenchent l'espoir et offrent une possibilité de guérison pour les blessures du passé », souligne le réalisateur.

Porté par Wafa'a Céline Halawi dans le rôle d’Émilie, Zakaria Kaakour dans le rôle d’Émir, Charbel Kamel dans le rôle d’Omar, Eros Galbiati dans le rôle du photographe, Portrait d’un certain Orient est un drame puissant sur la migration, la mémoire, la passion et les préjugés, raconté avec tendresse et bienveillance.

* Sortie sur les écrans libanais au cours de la deuxième moitié de 2024

Ce n’est pas le lion de la MGM mais le tigre de l’IFFR qui a feulé pour ce grand moment de cinéma. Événement annuel programmé sur douze jours depuis 1972, cette année du 25 janvier au 4 février, le Festival international du film de Rotterdam, l’un des plus grands festivals européens de cinéma indépendant, draine des centaines de réalisateurs du monde entier venus présenter leurs...

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