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Société - Reportage

À Bab el-Tebbané et Jabal Mohsen, d'anciennes lignes de front éclairées à l'énergie solaire

Les anciens combattants rivaux de ces quartiers travaillent depuis septembre 2023 main dans la main pour y installer des panneaux solaires. 

À Bab el-Tebbané et Jabal Mohsen, d'anciennes lignes de front éclairées à l'énergie solaire

Un panneau solaire récemment installé dans la rue qui sépare les quartiers de Jabal Mohsen et de Bab el-Tebbané à Tripoli, le 21 février 2024. Photo João Sousa

« Avant, nous nous rendions auprès de l'armée menottés. Maintenant, nous y allons avec des ampoules », plaisante Bassam*, un jeune ex-combattant du quartier de Bab el-Tebbané, à Tripoli au Liban-Nord. Assis en cercle autour de lui, ses camarades éclatent de rire. Ils sont réunis dans le centre communautaire de March Lebanon, une ONG qui œuvre pour la construction de la paix à Tripoli.

Il n'y a pas si longtemps, ces mêmes jeunes – aujourd'hui amis proches – étaient des ennemis jurés. Mais depuis 2011, ils travaillent dans le cadre de March pour lutter contre les divisions sociales qui séparaient autrefois leurs deux quartiers adjacents : Bab el-Tebbané, à majorité écrasante sunnite, et Jabal Mohsen, alaouite. Leur dernier projet en date : l'installation de lampadaires solaires dans ces deux zones de la ville, où un total de 382 panneaux solaires ont été posés depuis le début du projet en septembre 2023.

Le QG de l'ONG March à Tripoli, sur la ligne de démarcation entre les quartiers de Jabal Mohsen et de Bab el-Tebbané, le 21 février 2024. Photo João Sousa

Bab el-Tebbané et Jabal Mohsen sont tous deux criblés par les impacts de balles à la suite des batailles politiques sectaires récurrentes, exacerbées par le déclenchement de la guerre civile en Syrie en 2011. Les combats dans la « capitale du Nord » ont fait des centaines de victimes depuis leurs débuts, il y a plusieurs décennies, et se sont terminés en 2015 avec le déploiement de l'armée libanaise qui continue de surveiller ces quartiers.

Une idée brillante

Outre la violence qui couvait, l'obscurité des rues et des quartiers « était l'une de nos préoccupations » à Tripoli, explique Ahmad Chaaban, un habitant de Bab el-Tebbané qui travaille avec March depuis huit ans.

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Depuis la fin de la guerre civile en 1990, la gestion du secteur de l'électricité par le gouvernement est catastrophique, les régions du Nord et du Sud étant particulièrement négligées. Comme le reste du Liban, Tripoli – en particulier Jabal Mohsen et Bab el-Tebbané – n'a pas été épargnée. Et l'approvisionnement en électricité a encore diminué en raison de la crise économique qui frappe le pays depuis 2019, réduisant les capacités du fournisseur public Électricité du Liban et gonflant le coût des abonnements aux générateurs privés au-delà des moyens de la majorité de la population. Des municipalités et des habitants de tout le pays ont alors eu recours à l'énergie solaire pour assurer leurs besoins en électricité.

Une rue de Tripoli, où des volontaires ont récemment installé des lampadaires à énergie solaire, le 21 février 2024. Photo João Sousa

Les participants au projet de March ont décidé que la meilleure façon de s'attaquer à l'obscurité des rues de Tripoli serait d'installer des lampadaires à énergie solaire. « La symbolique de ce projet réside dans le fait que les trois parties – nous (les habitants de Bab el-Tebbané), ceux de Jabal Mohsen et l'armée libanaise, qui se battaient tous les uns contre les autres – ont travaillé ensemble et installé les panneaux solaires main dans la main », explique Bassam, qui a combattu en Syrie contre le régime de Bachar el-Assad et a été emprisonné un temps au Liban.

« L'obscurité contribue aux conflits, explique-t-il. Lorsque vous ne pouvez pas voir celui qu'on vous désigne comme votre ennemi, vous vivez dans une peur perpétuelle. Ce qui finit toujours par déboucher sur un conflit. » Depuis 2011, March jette des ponts entre les communautés alaouite de Jabal Mohsen et sunnite de Bab el-Tebbané, grâce à un programme de résolution des conflits et de médiation, à la formation professionnelle, à la thérapie et à d'autres services.

Des habitations délabrées à Jabal Mohsen, à Tripoli, le 21 février 2024. Photo João Sousa

« J'avais l'habitude de me battre contre les habitants de Jabal Mohsen. Le fait que nous soyons assis ici aujourd'hui aurait été impossible il y a quelques années », a affirmé Ahmad Chaaban, 39 ans. « Ils étaient nos ennemis. Ils m'ont tiré dessus trois fois au cours des combats », dit-il en montrant sa poitrine et son bras. À 28 ans, il a été emprisonné pendant un an.

Aatriss Hussein, 33 ans, un autre bénévole de March, a fini par persuader Ahmad Chaaban de rejoindre l'ONG il y a quelques années. « Nous avons beaucoup travaillé sur nous-mêmes. Au début, c'était très difficile », se souvient ce dernier. « J'avais une idée très négative des habitants de Jabal Mohsen, mais nous sommes finalement parvenus à déjeuner ensemble, à réparer le quartier ensemble. Je me suis vite rendu compte que nous n'étions pas différents. Même les politiciens n'auraient pas pu accomplir ce que March a fait », se félicite le trentenaire.

Mahmoud el-Omar, un ex-combattant de 31 ans originaire de Jabal Mohsen, fréquente désormais « tous les jours » des habitants des deux côtés de la rue qui sépare les anciens quartiers rivaux, raconte-t-il. Le projet de panneaux solaires les a encore plus rapprochés. Après avoir reçu une formation, ils se sont lancés dans leur installation. « Nous travaillons dans le quartier des autres et nous en sommes ravis », raconte cet ancien milicien.

« J'installais des panneaux solaires dans une zone où, auparavant, je ne pouvais même pas me tenir debout sans être abattu, renchérit Ahmad Chaaban. Maintenant, je vais chez eux pour fumer la chicha, alors qu'avant, je les guettais en brandissant mon fusil. »

Des lampadaires alimentés à l'énergie solaire à Tripoli, le 21 février 2024. Photo João Sousa

Ils ont également travaillé sur des pompes à eau solaires. « Les gens étaient heureux, ils nous accueillaient lorsque nous leur demandions l'autorisation d'installer des panneaux sur leurs balcons », raconte Bassam. « Nous avons gagné la confiance de la communauté, ajoute Aatriss Hussein. Avant, nous étions les mauvais garçons, et la société nous voyait comme cela. » L'initiative a également permis d'installer des lampes solaires sur les points de contrôle de l'armée dans toute la ville, alors qu'auparavant les habitants regardaient les soldats avec suspicion et méfiance.

Rendre service

Selon Ahmad Chaaban, « l'éclairage a permis de réduire les vols et la consommation de drogue ». Désormais, les piétons peuvent voir la nuit dans les rues parsemées de nids-de-poule et sur les trottoirs délabrés qui, dans l'obscurité, constituaient un problème de sécurité pour les habitants, en particulier pour les personnes âgées.

« Un jour, quelqu'un m'a attaquée en essayant de me voler mon sac à main alors que je rentrais chez moi », raconte Amane el-Zaabi, une habitante de Bab el-Tebbané. « J'ai trois petites filles et j'ai peur qu'elles soient harcelées la nuit, je me sens plus à l'aise maintenant », confie-t-elle.

Ahmad Aïtro, propriétaire d'un magasin de vêtements à Bab el-Tebbané, explique que grâce à l'éclairage, les habitants peuvent désormais « assister à la prière du matin ». « Cela a renforcé la coexistence. »

Ahmad Aïtro, propriétaire d'un magasin de vêtements à Bab el-Tebbané, le 21 février 2024. Photo João Sousa

*Le nom complet a été omis à la demande de la personne interrogée afin de préserver sa vie privée.

« Avant, nous nous rendions auprès de l'armée menottés. Maintenant, nous y allons avec des ampoules », plaisante Bassam*, un jeune ex-combattant du quartier de Bab el-Tebbané, à Tripoli au Liban-Nord. Assis en cercle autour de lui, ses camarades éclatent de rire. Ils sont réunis dans le centre communautaire de March Lebanon, une ONG qui œuvre pour la construction de la paix à...

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