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Moyen-Orient - Guerre Israël-Hamas

L’approvisionnement israélien en armes menacé ou plus assuré que jamais ?

L’ONU a averti que fournir des armes à Israël peut constituer une violation du droit humanitaire international, alors que les États-Unis ont discrètement multiplié les expéditions.

Un avion de chasse de l’armée de l’air israélienne tire des fusées éclairantes alors qu’il survole la zone frontalière avec le sud du Liban, le 4 mars 2024. Jalaa Marey/AFP

Le 24 février dernier, une équipe de rapporteurs spéciaux et d’experts indépendants des Nations unies lançait un avertissement selon lequel « tout transfert d’armes ou de munitions à Israël, qui seraient utilisées à Gaza, serait de nature à violer le droit international humanitaire et doit cesser immédiatement ». Une semaine plus tard, 218 députés de 13 pays publiaient à leur tour une lettre ouverte soulignant leur engagement à faire respecter l’interdiction des ventes d’armes à Israël.

La lettre a été rédigée par la Progressive International, un réseau de militants et d’hommes politiques de gauche, et les signataires, dont onze chefs de parti actuels ou anciens, siègent dans les Parlements de plusieurs pays exportateurs d’armes vers Israël : les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Canada, la France, l’Espagne, les Pays-Bas, la Belgique, le Brésil, l’Australie, la Turquie, le Portugal et l’Irlande.

Alors que la guerre menée par Israël à Gaza suscite de plus en plus d’inquiétudes, qu’il s’agisse de diplomates qui font face aux question embarrassantes des journalistes ou d’organisations humanitaires intentant des procès à des marchands d’armes, le Washington Post a publié un rapport exclusif révélant que les États-Unis avaient discrètement effectué plus de 100 ventes d’armes à Israël depuis le 7 octobre.

Des fonctionnaires américains ont déclaré aux membres du Congrès, lors d’une réunion d’information confidentielle, que les livraisons comprenaient des milliers de munitions à guidage de précision, des bombes de petit diamètre, des munitions antibunkers ou encore des armes de petit calibre, entre autres. Le détail de chaque livraison, ou le montant moyen qu’elles atteignent, n’a pas été divulgué.*


Cette photo diffusée par l’armée israélienne le 4 mars 2024 montre des troupes sur le terrain dans la bande de Gaza au milieu des batailles en cours entre Israël et le Hamas. Photo AFP

Pression croissante

Les rapporteurs spéciaux de l’ONU avaient prévenu que les transferts d’armes « sont interdits même si l’État exportateur n’a pas l’intention d’utiliser les armes en violation de la loi – ou ne sait pas avec certitude qu’elles seraient utilisées de cette manière – tant qu’il existe un risque clair ». L’affaire en cours devant la Cour internationale de justice, dans laquelle Israël est accusée de génocide dans sa guerre contre Gaza, peut certainement être considérée comme un risque.

Alors que le verdict final pourrait prendre des années, le panel de 15 juges de la CIJ a rendu une décision préliminaire et six mesures provisoires qui indiquent que la Cour estime qu’il est plausible qu’Israël commette un génocide à Gaza. Israël possède une solide industrie de l’armement, mais ses capacités militaires sont renforcées par un important soutien financier et militaire de la part de ses alliés internationaux, comme le montre le récent torrent d’armes acheminées vers le pays depuis les États-Unis, ainsi que le révèle l’article du Post.

Alors que la pression monte et que l’offensive d’Israël à Gaza devient de plus en plus sanglante, ses alliés font l’objet d’un examen minutieux de la part des organisations internationales de défense des droits de l’homme et de leurs propres responsables politiques, sans parler des vastes mouvements propalestiniens qui envahissent les rues du monde entier depuis maintenant cinq mois.

Interrogé par des journalistes à sa sortie de la Maison-Blanche le mois dernier, le président américain Joe Biden a admis qu’il tenait l’Iran pour responsable des attaques menées par diverses milices contre des postes militaires américains au Moyen-Orient, car « ils fournissent les armes à ceux qui les ont commises » – alors, qui est impliqué dans l’assaut israélien contre Gaza, qui a fait plus de 30 000 morts ?

Qui envoie des armes à Israël ?

La plateforme de distribution de données de l’Observatoire de la complexité économique (OEC) a enregistré qu’en 2022, Israël a importé pour 467 millions de dollars d’armes, ce qui en fait le dixième plus grand importateur d’armes au monde. Ses plus gros achats ont été effectués auprès des États-Unis (375 millions de dollars), de l’Inde (48,4 millions de dollars), de la Corée du Sud (8,06 millions de dollars), du Panama (5,84 millions de dollars) et de la Slovaquie (5,29 millions de dollars).


Non seulement les États-Unis sont le plus grand fournisseur d’armes, mais Israël est également le plus grand bénéficiaire cumulé de l’aide étrangère américaine depuis la Seconde Guerre mondiale, selon un rapport du Congressional Research Service datant de mars 2023.

Au moment de la publication de ce rapport, les États-Unis avaient fourni à Israël 158 milliards de dollars d’aide bilatérale et de financement de la défense antimissile et avaient vendu à leur principal allié du Moyen-Orient 50 avions de combat F-35 Joint Strike Fighter, considéré comme l’un des avions de combat les plus avancés sur le plan technologique jamais construits.

Pour autant que l’on sache, depuis le 7 octobre, les États-Unis ont officiellement approuvé deux ventes militaires à l’étranger à Israël : 106 millions de dollars de munitions pour chars d’assaut et 147,5 millions de dollars de composants nécessaires à la fabrication d’obus de 155 mm.

Selon le Washington Post, l’administration a procédé en privé à plus de 100 transferts d’armes vers Israël sans aucun débat public, en utilisant une faille dans laquelle le montant spécifique de chaque vente était inférieur au seuil requis pour que le Congrès soit informé, selon un fonctionnaire américain qui a parlé au Post sous le couvert de l’anonymat.

Le lendemain de l’annonce de la nouvelle, le média israélien Haaretz a cité des données de suivi des vols accessibles au public, prouvant qu’au moins 140 avions de transport lourd à destination d’Israël avaient décollé de bases militaires américaines dans le monde entier depuis le 7 octobre, transportant des équipements principalement vers la base aérienne de Nevatim, dans le sud d’Israël.

Le Haaretz a constaté que plus de 70 C-17 de l’US Air Force avaient atterri en Israël, en provenance principalement de la base aérienne de Dover aux États-Unis, de la base aérienne de Ramstein en Allemagne et de la base aérienne d’al-Udeid au Qatar, siège avancé du commandement central américain. D’autres livraisons ont été effectuées à bord de plusieurs cargos. « Il s’agit d’un nombre extraordinaire de ventes sur une période assez courte, ce qui suggère fortement que la campagne israélienne ne serait pas viable sans ce niveau de soutien américain », a déclaré Jeremy Konyndyk, ancien haut fonctionnaire de l’administration Biden, au Washington Post.

« Les États-Unis ne peuvent pas affirmer, d’une part, qu’Israël est un État souverain qui prend ses propres décisions et que nous n’allons pas les remettre en question et, d’autre part, transférer un tel niveau d’armement en si peu de temps et faire comme si nous n’étions pas directement impliqués », a-t-il déclaré. Le Haaretz a également rapporté que les vols de fret américains vers Israël avaient été nettement plus nombreux au cours des trois premiers mois de la guerre, mais qu’au cours des deux derniers mois, il y avait eu une baisse sensible des livraisons.

Des soldats israéliens sont assis dans un char alors qu’ils reviennent du sud de la bande de Gaza, dans le sud d'Israël, le 26 février 2024. Amir Cohen/Reuters


En dépit de ce que le déluge d’armes pourrait laisser supposer, l’alliance américano-israélienne est apparue chancelante ces derniers temps, avec des tensions croissantes autour de politiques et de positions contradictoires – l’incursion imminente d’Israël à Rafah étant le dernier point de discorde en date. Il y a deux semaines, les États-Unis ont proposé au Conseil de sécurité des Nations unies un projet de résolution appelant à un cessez-le-feu temporaire et demandant à Israël de revenir sur ses projets concernant Rafah. Dimanche, la vice-présidente des États-Unis Kamala Harris est devenue le premier haut fonctionnaire américain à appeler publiquement à un cessez-le-feu à Gaza.

Pourtant, le Wall Street Journal a rapporté que l’administration Biden se préparait à envoyer environ un millier de bombes MK-82 et de fusibles FMU-139 – une livraison d’une valeur de plusieurs dizaines de millions de dollars. Un fonctionnaire américain a déclaré au WSJ que la proposition de transfert d’armes était encore à l’étude.

Selon le WSJ, Israël a utilisé environ la moitié des 21 000 munitions à guidage de précision qui lui ont été officiellement (et publiquement) vendues par les États-Unis. Le journal américain cite une évaluation des services de renseignements américains qui estime que les armes restantes sont suffisantes pour permettre à Israël de soutenir 19 semaines de combats supplémentaires dans la bande de Gaza. Cette période se réduirait à quelques jours si Israël lançait un second front contre le Hezbollah.

Cette idée fait du chemin hors des États-Unis. L’ancien chef de la Sûreté générale du Liban Abbas Ibrahim a en effet récemment déclaré à des journalistes libanais à Sydney qu’Israël « ne peut pas se défendre avec ses propres forces et doit compter sur les munitions américaines ».

Le chroniqueur des affaires étrangères du Washington Post David Ignatius a écrit mercredi que les responsables américains n’ont pas vu de plan clair pour protéger les civils lors de la prochaine incursion d’Israël à Rafah et que l’administration Biden semble envisager des moyens d’empêcher Israël d’utiliser des armes américaines dans ce qui serait très certainement une opération dévastatrice.

David Ignatius cite Martin Indyk, deux fois ambassadeur des États-Unis en Israël, qui déclare que « le niveau de frustration de l’administration Biden face à la mauvaise gestion de la situation humanitaire à Gaza a atteint ses limites ». « Si Israël lance une offensive à Rafah sans protéger de manière adéquate la population civile déplacée, cela pourrait précipiter une crise sans précédent dans les relations américano-israéliennes, même en ce qui concerne les livraisons d’armes », a-t-il ajouté.


Cette photo prise depuis une position dans le nord d’Israël montre un avion de chasse de l’armée de l’air israélienne survolant la zone frontalière avec le sud du Liban, le 4 mars 2024, dans un contexte de tensions transfrontalières, alors que les combats se poursuivent entre Israël et les militants du Hamas dans la bande de Gaza. Jalaa Marey/AFP

Les États-Unis pourraient faire valoir, écrit encore David Ignatius, qu’en interdisant l’utilisation de leur soutien militaire à Rafah, ils établissent un accord similaire à celui qu’ils ont conclu avec l’Ukraine, selon lequel les missiles américains à longue portée ne peuvent pas être utilisés pour cibler le territoire russe.

Quatre fonctionnaires américains ont confirmé au média américain Axios que la Maison-Blanche avait récemment demandé au département d’État et au Pentagone une liste complète de tous les transferts d’armes prévus et proposés à Israël dans les semaines à venir. L’une de ces sources a affirmé qu’il s’agissait d’une procédure habituelle, mais que c’était la première fois depuis le 7 octobre que la Maison-Blanche faisait cette demande.

L’Inde

L’Inde a reconnu l’État d’Israël en 1950, mais n’a établi des relations diplomatiques qu’en 1992. Entre-temps, elle a été le premier pays non arabe à reconnaître l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) comme représentant légitime des Palestiniens et a reconnu l’État palestinien en 1988.

Bien qu’il lui ait fallu plus de quarante ans pour normaliser ses relations, l’Inde a depuis lors développé des relations florissantes avec Israël, et les deux pays sont profondément liés sur le marché de l’armement. L’Inde est le deuxième fournisseur et le premier acheteur d’armes d’Israël : elle a importé pour 2,9 milliards de dollars de matériel militaire d’Israël au cours de la dernière décennie.


Le 21 février, la Fédération indienne des travailleurs du transport maritime (WTWF), qui représente 14 000 travailleurs, dont 3 500 dans onze des douze principaux ports de l’Inde, a répondu à l’appel des syndicats palestiniens et déclaré qu’elle refuserait de manipuler des armes destinées à Israël, selon un rapport du Jacobin. Des syndicats de transporteurs au Brésil, en Belgique, en Italie, à Barcelone, aux États-Unis et ailleurs dans le monde ont également refusé de manipuler des cargaisons d’armes destinées à Israël.

L’Allemagne

Selon la base de données sur les transferts d’armes de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, 68 % des importations d’armes d’Israël entre 2013 et 2022 provenaient des États-Unis et 28 % de l’Allemagne.

Le 8 novembre 2023, l’AFP a rapporté que l’Allemagne avait approuvé 10 fois plus d’exportations de matériel militaire vers Israël en 2023 que l’année précédente. Les données jusqu’au 2 novembre 2023 montrent que l’Allemagne a approuvé des ventes d’équipement militaire à Israël pour une valeur de 303 millions d’euros (324 millions de dollars), contre 32 millions d’euros l’année précédente.


Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son homologue indien Narendra Modi lèvent les bras à l’arrivée de Netanyahu à la base aérienne de Palam à New Delhi, en Inde, le 14 janvier 2018. Adnan Abidi/File Photo/Reuters

Exportations suspendues

Depuis le début du mois de mars, cinq pays ont suspendu leurs exportations d’armes vers Israël.

Début février, un tribunal néerlandais a ordonné au gouvernement des Pays-Bas de bloquer toutes les exportations de pièces d’avions de chasse F-35 vers Israël.

« Il est indéniable qu’il existe un risque évident que les pièces exportées du F-35 soient utilisées pour commettre de graves violations du droit humanitaire international », a déclaré le tribunal, cité par Reuters, se faisant l’écho de l’inquiétude suscitée par la décision de la CIJ et par les rapports de plus en plus nombreux faisant état de pertes civiles massives à Gaza.

L’Italie et l’Espagne affirment toutes deux avoir cessé toute vente d’armes à Israël depuis le 7 octobre, bien que les médias espagnols aient publié un rapport montrant que des munitions d’une valeur d’environ 1 million de dollars ont été exportées vers Israël en novembre.

La Belgique a suspendu deux licences pour la vente de poudre à canon à Israël, citant l’arrêt de la CIJ, et l’une des plus grandes sociétés de commerce général du Japon, Itochu Corporation, a également cité l’arrêt de la CIJ lorsqu’elle a annoncé qu’elle prévoyait de couper complètement ses liens avec le principal fabricant d’armes israélien, Elbit Systems, d’ici à la fin du mois de février.

Le 24 février dernier, une équipe de rapporteurs spéciaux et d’experts indépendants des Nations unies lançait un avertissement selon lequel « tout transfert d’armes ou de munitions à Israël, qui seraient utilisées à Gaza, serait de nature à violer le droit international humanitaire et doit cesser immédiatement ». Une semaine plus tard, 218 députés de 13 pays publiaient à leur...

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