Ce qui a longtemps été refusé à Nabih Berry a finalement été accordé aux députés de la Modération nationale (majoritairement sunnites ex-haririens). Cinq mois après l’échec du président de la Chambre à réunir tous les protagonistes autour d’une table de dialogue, ne serait-ce que pour une durée d’une semaine, en vue de trouver une sortie à la crise présidentielle, les députés du Liban-Nord ont pu arracher à plusieurs parties, notamment l’opposition chrétienne, une approbation à la tenue de concertations parlementaires au sein de l’hémicycle, qui devraient déboucher sur l’appel à la tenue de séances électorales ouvertes, le quorum des 86 députés devant être assuré, jusqu’à ce que le pays se dote d’un nouveau président.
La démarche des députés sunnites a donc de quoi mettre M. Berry, qui se veut l’élément-clé dans ce dossier, au pied du mur. Et pour cause : l’initiative de la Modération nationale est une version largement amendée de la proposition du chef du législatif présentée en août dernier et rejetée en bloc par le camp anti-Hezbollah qui estime que l’élection devrait respecter les mécanismes constitutionnels et non être à la merci d’un dialogue ayant pour objectif, selon ce camp, d’imposer le candidat du tandem chiite Amal-Hezbollah, le chef des Marada Sleiman Frangié, à la tête de l’État. Cette initiative consiste à tenir une séance de concertations en présence de représentants des blocs parlementaires et des députés indépendants, suivie d’une séance électorale ouverte après un engagement de la part de tous les participants à assurer le quorum. Mais le « oui » de la majorité du spectre politique suffit-il à lui seul pour garantir que la démarche portera ses fruits ? S’il est encore prématuré de trancher, l’on peut dire qu’il s’agit de la première initiative à faire (presque) l’unanimité, ce qui rend ses chances un peu plus élevées. D’autant que la Modération nationale s’active, à l’heure où le quintette impliqué dans le dossier libanais (États-Unis, France, Arabie saoudite, Égypte, Qatar) poursuit son forcing pour accélérer la tenue du scrutin.
Une source diplomatique occidentale indique à L’Orient-Le Jour qu’une délégation des parlementaires ex-haririens s’est entretenue lundi avec l’ambassadeur de France à Beyrouth, Hervé Magro. « C’était une occasion pour les députés d’exposer les grandes lignes de leur initiative », confie la source, affirmant que le groupe des Cinq est favorable à « toute démarche interlibanaise visant à faire bouger le dossier ». La réunion à la Résidence des Pins semble donc être une façon pour la Modération nationale de tenir le quintette au courant de son action et faire comprendre à qui veut l’entendre que Riyad bénit la démarche. Un député opposant croit savoir, dans ce cadre, que l’ambassadeur d’Arabie saoudite à Beyrouth, Walid Boukhari, aurait « encouragé les députés ex-haririens à aller de l’avant ». « Nous ne recevons des directives de personne. Nous voulons profiter de notre positionnement centriste pour débloquer la présidentielle », se contente de commenter Walid Baarini, membre du bloc, dans une déclaration à notre journal. Selon lui, c’est son collègue Sajih Attié, député du Akkar, qui se tient derrière l’initiative. Walid Baarini affirme que le chef du législatif, avec qui le groupe s’est entretenu il y a quelques jours, a « accueilli très favorablement la proposition ». « Nous nous sommes montrés favorables à toute démarche pouvant mener à un déblocage », confirme un proche de Aïn el-Tiné. C’est donc pour se sauver la face que Nabih Berry a approuvé ce qu’il estime être une solution médiane entre son appel à un dialogue élargi et le niet catégorique de l’opposition à une telle démarche. « Il ne faut pas oublier les grosses pressions internationales que le président du Parlement subit pour tenir le scrutin », souligne un député de l’opposition qui a requis l’anonymat.
Premier bilan
Forts du feu vert du chef du législatif, les anciens haririens sont donc passés à l’acte. Ils se sont entretenus avec le leader du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, vendredi dernier. « Il s’est dit prêt à prendre part aux concertations », confie M. Baarini. Rien de surprenant, dans la mesure où le chef du CPL s’était montré, lors d’une conférence de presse mardi dernier, favorable à des échanges autour de la présidentielle. Au point de rouvrir les canaux de dialogue avec son adversaire traditionnel… Nabih Berry.
Le lendemain, les députés du Nord se sont réunis à Meerab avec le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, qui a lui aussi donné son feu vert. « L’important dans l’initiative, c’est qu’elle stipule que tous les protagonistes devraient s’engager à ne pas quitter l’hémicycle avant l’élection d’un président », estime Ghassan Hasbani, député FL présent lors de la réunion. Il tient toutefois à affirmer que le fait d’approuver la démarche de la Modération nationale ne signifie pas pour autant que l’opposition a lâché son candidat Jihad Azour, ancien ministre des Finances, qui fait jusqu’ici l’objet d’une convergence entre les anti-Hezbollah et le CPL. « Nous sommes très clairs : nous donnerons leur chance aux concertations, mais nous ne lâcherons pas Azour avant de voir le camp adverse abandonner Sleiman Frangié. » Dimanche, M. Geagea s’est montré un cran plus affirmatif en soulignant, lors d’un entretien avec le nonce apostolique, Paolo Borgia, que « le camp souverainiste est prêt à discuter d’une figure de troisième voie , à condition qu’elle soit sérieuse, indépendante et efficace ».
Les députés de la Modération nationale attendent toujours que les divers protagonistes leur donnent les noms de leurs représentants aux concertations. Tel est le cas des Kataëb, avec qui les députés du Nord se sont réunis samedi. Mais le parti « ne prendra pas position avant d’en discuter avec (ses) partenaires de l’opposition », pour reprendre les termes de Salim Sayegh, député Kataëb qui s’exprimait lundi dans une interview accordée à la chaîne locale LBCI. Idem pour le bloc du Renouveau (Michel Moawad, Fouad Makhzoumi, Achraf Rifi et Adib Abdel Massih) qui a reçu les ex-haririens lundi. La rencontre a été précédée d’un entretien avec les députés de la contestation et un autre avec deux des trois membres de l’Alliance du changement, Marc Daou et Michel Doueihy. « Oui à toute concertation qui ne va pas à l’encontre de la Constitution et oui à tout ce qui accélère la présidentielle, voilà notre position », résume M. Daou à L’OLJ. Selon M. Baarini, le groupe devrait se réunir mardi avec le patriarche maronite, Béchara Raï, et le cheikh Akl druze, Sami Abi el-Mona, ainsi qu’avec le Rassemblement démocratique (de Taymour Joumblatt) et Fayçal Karamé, député de Tripoli (8 Mars).
Et le Hezbollah dans tout ça ? « J’attends toujours la réponse de Mohammad Raad (chef du bloc parlementaire du parti chiite, NDLR) », se contente de répondre Walid Baarini. Les yeux sont donc tournés vers le véritable maître du jeu...
commentaires (3)
La principale différence (qui change tout) d’avec l’initiative de Berry est que ici il s’agit D’ABORD d’aller au parlement pour des séances ouvertes et ENSUITE entre les séances se « concerter » pour « trouver un accord ». Dans l’initiative Berry l’ordre des priorités était inversé. Bien entendu quelles « concertations » et quelle « recherche d’accord » peut-on trouver entre le CAMP DU LIBAN et le CAMP DU NON-LIBAN ? Peu importe du moment qu’il y a engagement à rester dans l’hémicycle accord OU NON, contrairement à l’initiative Berry qui CONDITIONNAIT la tenue des séances à « L’ACCORD ».
Citoyen libanais
07 h 35, le 28 février 2024