Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Nos jours ensemble étaient comptés...

Pourtant, je te l’avais dit. Je te l’avais bien dit que j’allais finir par te quitter. Ce n’est pas si simple tu sais. Tu es tout aussi attachant que tu es toxique.

Rassure-toi, ce n’est pas vraiment, entièrement de ta faute. Pour une fois, c’est celle des autres, et peut-être certainement aussi la mienne.

Je t’ai déçu. J’ai échoué, comme tous les autres.

Tu sais, j’en ai rêvé, dans tous les sens du terme. Les 15 ans où j’étais loin de toi, tous les jours, je m’imaginais de nouveau avec toi. Je pensais à nos souvenirs, je faisais ton éloge auprès de mes amis qui ne te connaissaient qu’à travers mes histoires, j’attendais avec impatience les quelques semaines d’été où j’allais pouvoir être avec toi. Puis, après un élan de folie, je t’ai retrouvé, et pour de bon cette fois. Enfin, c’est ce que je voulais croire. Au fond de moi, peut-être que je savais que cet amour était impossible. Peut-être qu’au fond de moi, je savais que nos jours ensemble étaient comptés. On m’avait prévenu que les amours réchauffés ne présagent jamais rien de bon, mais qui étaient-ils pour connaître l’intimité de notre relation ? Des jaloux ! Très certainement.

Enfin réunis. « Nous séparer ? Ils n’ont jamais été cap d’y arriver » comme le dit cette fameuse réplique du film Jeux d’enfants.

Enfin réunis, je n’en avais jamais assez de toi. Comme quelqu’un de déshydraté, je buvais comme dans un puits sans fond. Même en étant avec toi, tu me manquais. Quand quelqu’un prononçait ton nom, je souriais. Quand je voyais ton nom écrit, je voyais aussi le mien.

Je n’en avais pas assez.

J’imaginais faire ma vie avec toi, élever mes enfants et même adopter un chien, si ce n’est par là te montrer mon engagement profond.

Mais voilà, l’idée d’adopter un chien s’envole au rythme de ta descente en enfer, à laquelle j’assiste, à laquelle nous assistons. Frustrée, indignée, triste, désabusée, que des mots, que des mots faibles. Il n’existe pas encore d’adjectifs pour décrire ce que je ressens.

Je te vois dans mes rêves mais, le dernier que j’ai fait ne m’a pas plu. Sur un fond noir, ta forme se dessinait et flottait dans l’air, puis, peu à peu c’est comme si quelqu’un te serrait très fort au niveau de la taille comme pour t’écraser, t’étrangler, t’asphyxier, et en même temps, dans le fond, une voix qui me disait de faire le deuil. Je me suis réveillée en trombe. « Le deuil de quoi ? » « Pourquoi le deuil ? » C’était avant le 7 octobre.

Je me demande encore de quel deuil il s’agissait. C’est un grand mot à plusieurs sens et interprétations « deuil », non ? Ça ne veut pas forcément dire mort, n’est-ce pas ? Oh ! Je te parle ! Réponds-moi ! Deuil, ça ne veut pas forcément dire mort, n’est-ce pas ?

Je ne sais pas, je ne sais plus rien. Mais je dois faire face à la réalité, même si désorientée, je ne sais plus vraiment ce qui tient du réel ou de l’absurde. Nous vivons dans un monde de fou.

Et c’est peu dire, avec des fous furieux au pouvoir et, simple citoyenne que je suis, qu’est-ce qui j’y peux ? J’ai essayé ! Je te jure que j’ai essayé ! Ne me regarde pas comme ça ! T’aurais pu faire quelque chose toi aussi, non ?

Oui, j’ai essayé, certainement pas assez, mais qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Arrête ! Tu crois que c’est facile de quitter, de te quitter ? Si je reste, je ne sers à rien. Je passerai mes journées à continuer à attendre l’eau et l’électricité. Je passerai mes journées à sursauter au moindre bruit. Je passerai mes journées à avoir peur, être frustrée, être blessée, être coupable. Coupable de ne rien faire.

Mais si je pars, comment je ferai pour te défendre ? Est-ce que j’arriverai à mieux te défendre ? À porter ta voix à travers les frontières et les océans ? À raconter tout l’amour que je te porte ? À dévoiler tous tes petits secrets qui font que nous sommes tous fous amoureux de toi ?

Et si je pars, comment je ferai pour revenir ? Est-ce que je pourrais revenir ? Seras-tu là ? Ou auront-ils tout pris ? Ces pourris qui ne méritent pas 1 mm carré de toi. Ces pourris, tous. Tous, autant qu’ils soient. Ceux qui te veulent pour eux, pour leurs intérêts macabres. Ceux qui ne te connaissent pas comme je te connais. Ceux qui n’ont pas reconnu ta magie, ta richesse, ta beauté, ta profondeur. Mais ce n’est pas à propos d’eux. C’est à propos de toi. Comment je ferais sans toi ? Comment je ferais s’ils te réduisent à néant ?

Oh ! Dis-moi ! Qu’est-ce que je fais ! Si je pars, qui te défendra ? Si je pars, est-ce que je pourrais revenir ?

Bon, alors je reste. Je reste ? Pour sursauter au moindre bruit ? Pour regarder les photos des chiens que je n’adopterai jamais ? Pour essayer, tant bien que mal, de vivre une vie normale dans un environnement anormal ? Pour regarder la misère de mon peuple, de ton peuple sans rien faire ? Pour attendre la guerre, celle qui est déjà là ? Pour assister au départ de tous ceux qui, eux, s’en vont ?

« Nous séparer ? Ils vont être cap d’y arriver. »


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Pourtant, je te l’avais dit. Je te l’avais bien dit que j’allais finir par te quitter. Ce n’est pas si simple tu sais. Tu es tout aussi attachant que tu es toxique. Rassure-toi, ce n’est pas vraiment, entièrement de ta faute. Pour une fois, c’est celle des autres, et peut-être certainement aussi la mienne. Je t’ai déçu. J’ai échoué, comme tous les autres. Tu sais, j’en ai rêvé, dans tous les sens du terme. Les 15 ans où j’étais loin de toi, tous les jours, je m’imaginais de nouveau avec toi. Je pensais à nos souvenirs, je faisais ton éloge auprès de mes amis qui ne te connaissaient qu’à travers mes histoires, j’attendais avec impatience les quelques semaines d’été où j’allais pouvoir être avec toi. Puis, après un élan de folie, je t’ai retrouvé, et pour de bon cette fois. Enfin,...
commentaires (1)

Hello Chloé, C'est une jolie déclaration. Ton amour si ardent et si douloureux a pour objet le Liban, je suppose. C'est vrai, on l'aime autant qu'on le hait, ce pays. Si tu décides de rester, de l'aider, de participer à sa survie, tu devras alors avoir la force de comprendre que tu ne pourras JAMAIS le transformer. Tu devras accepter qu'il est ce qu'il est, càd la somme de nous tous. Génération apres génération, les questionnements sont les mêmes, mais une chose est sûre: tant qu'il y aura assez de Libanais qui l'aimeront comme toi, il survivra.

Sarah Abboud

16 h 34, le 05 juin 2024

Commenter Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Hello Chloé, C'est une jolie déclaration. Ton amour si ardent et si douloureux a pour objet le Liban, je suppose. C'est vrai, on l'aime autant qu'on le hait, ce pays. Si tu décides de rester, de l'aider, de participer à sa survie, tu devras alors avoir la force de comprendre que tu ne pourras JAMAIS le transformer. Tu devras accepter qu'il est ce qu'il est, càd la somme de nous tous. Génération apres génération, les questionnements sont les mêmes, mais une chose est sûre: tant qu'il y aura assez de Libanais qui l'aimeront comme toi, il survivra.

    Sarah Abboud

    16 h 34, le 05 juin 2024

Retour en haut