Rechercher
Rechercher

Moyen-Orient - Analyse

À la CIJ, le droit international a rendez-vous avec l’histoire

Dans le cas porté par l’Afrique du Sud contre Israël pour « génocide », les enjeux dépassent la complexe affaire judiciaire.

À la CIJ, le droit international a rendez-vous avec l’histoire

Le ministre sud-africain de la Justice Ronald Lamola et l’ambassadeur de Pretoria aux Pays-Bas Vusimuzi Madonsela, lors de l’audience de l’équipe sud-africaine à la Cour internationale de justice à La Haye dans le cas qui oppose l’Afrique du Sud à Israël pour « génocide », le 11 janvier 2024. Remko de Waal/AFP

Ils sont nombreux à être restés scotchés derrière leurs écrans des heures durant, ces 11 et 12 janvier. Tellement qu’ils ont fait buguer le site de retransmission en direct des Nations unies, une fois n’est pas coutume. Car pour la plupart, c’est sans doute la première fois qu’ils suivent les audiences publiques d’un cas porté à la Cour internationale de justice (CIJ), et ce avec intérêt. Fin décembre, l’Afrique du Sud a déposé une plainte contre Israël en vertu de ce qu’elle considère être un manquement à son devoir d’appliquer la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, dont l’État hébreu est signataire. En cause : la guerre destructrice menée à Gaza depuis le 7 octobre dernier suite à l’attaque surprise meurtrière du Hamas, que Pretoria place dans un contexte plus large d’apartheid, d’occupation et de blocus. « La violence et la destruction en Palestine et Israël n’ont pas commencé le 7 octobre 2023, a tenu à dénoncer devant la Cour le ministre sud-africain de la Justice, Ronald Lamola. Les Palestiniens ont vécu une oppression et une violence systématiques ces 76 dernières années. »

Une affaire en direct

Si cette réalité a longtemps été normalisée, difficile aujourd’hui d’ignorer ce que les Palestiniens traversent. À l’heure des réseaux sociaux et de l’immédiateté de l’information, les nouvelles en provenance de Gaza ont réussi à sortir de l’enclave malgré les coupures d’internet et les black-out médiatiques imposés à répétition par Israël depuis le début de la guerre. Et les déclarations israéliennes qui laissaient présager l’entrée dans la troisième phase des combats, de plus basse intensité, semblent contredites par les faits, alors que le bilan des autorités de Gaza frôle les 24 000 morts. « Il y a tellement de personnes consternées par le nombre croissant de victimes parmi les civils palestiniens à Gaza que l’affaire de génocide portée par l’Afrique du Sud contre Israël fait l’objet d’une attention extraordinaire », soutient Kenneth Roth, ancien directeur exécutif de Human Rights Watch (1993-2022), actuellement professeur à la School of Public and International Affairs de l’Université de Princeton.

Lire aussi

Tout savoir sur la plainte sud-africaine contre Israël pour « génocide »

D’autant que les audiences pour statuer sur les mesures conservatoires requises par la partie demanderesse – telles que la cessation des opérations militaires israéliennes – présentent la particularité d’être concomitantes avec le conflit qui continue de faire rage. La chaîne qatarie al-Jazeera, qui s’est distinguée pour sa couverture du conflit au sein même de la bande de Gaza, a ainsi diffusé des images en direct montrant la destruction et la souffrance dans l’enclave en parallèle de la retransmission des audiences. Si les cas judiciaires ayant trait au génocide sont rares, difficiles à prouver à cause de la notion d’intention, et requièrent des années de procédures, une décision de la Cour est attendue dans les prochaines semaines concernant ces dispositions à prendre immédiatement par Israël pour prévenir un éventuel génocide. « Cette affaire fait naître l’espoir d’une autre voie possible pour réclamer des comptes, indique Kenneth Roth. Si la CIJ ordonne au gouvernement israélien d’arrêter de commettre des actes de génocide dans le cadre de ses mesures conservatoires, cela pourrait contribuer à sauver de nombreuses vies de civils palestiniens. » Alors que de nombreux analystes considèrent qu’il y a de bonnes chances que la Cour ordonne des mesures, la juridiction internationale n’a pas les moyens de les faire appliquer à moins de passer par le Conseil de sécurité de l’ONU, où le fidèle allié américain de Tel-Aviv imposerait sûrement son veto. Signalant qu’un risque de génocide est bien réel, une telle décision nuirait pourtant déjà considérablement à Israël.

Le monde à l’envers

La crainte de voir son image et sa réputation internationale ternies par le péché originel au fondement même de sa création a ainsi poussé l’État hébreu à déployer une vaste offensive de lobbying et de communication auprès du public étranger et de ses alliés pour décrédibiliser la plainte sud-africaine. Certains observateurs ont ainsi critiqué une couverture médiatique jugée insuffisante de la procédure légale dans les pays occidentaux, dénonçant un parti pris et un manque d’indépendance de la presse. Montant au créneau, l’ancien Premier ministre israélien Naftali Bennett avait notamment décrit la procédure judiciaire comme « l’affaire Dreyfus du XXIe siècle », la qualifiant en outre de « démonstration honteuse d’hypocrisie et d’antisémitisme flagrant ». Jeudi, après l’audience des avocats de Pretoria qui ont énuméré les chiffres encore provisoires des destructions, pertes et victimes, les faits probants et les signes d’intention génocidaire, le chef du gouvernement israélien Benjamin Netanyahu a déclaré qu’« Israël est accusé de génocide alors qu’il combat un génocide, c’est le monde à l’envers ».

Lire aussi

Guerre Hamas-Israël : la rhétorique du génocide est-elle justifiée ?

Mais ce que cette plainte a de contre-nature tient surtout à ce qu’elle émane du Sud global. Si la justice internationale est souvent décriée pour son coût et sa lenteur, beaucoup la jugent également partiale, y voyant un instrument de pouvoir à géométrie variable utilisé par les puissances occidentales. Un état de fait que la plainte sud-africaine semble avoir brisé. « L’attention portée à l’affaire provient aussi du fait qu’elle représente un exemple d’initiative majeure en matière de droits de l’homme menée par un gouvernement du Sud global, insiste Kenneth Roth. Les gouvernements occidentaux, qui sont souvent les fers de lance de la défense des droits humains, n’ont rien fait, ou presque, pour arrêter la dévastation de Gaza par Israël et la mort de plus de 23 000 Palestiniens. » Commentant les audiences de l’équipe sud-africaine sur le réseau X, la rapporteuse de l’ONU sur les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, s’est enthousiasmée de voir « des femmes et des hommes africains luttant pour sauver l’humanité et le système international de justice », concluant que « cela marquera l’histoire, quoi qu’il arrive ».

Retrouver la foi dans le droit international

Une occasion pour la justice internationale de regagner de la crédibilité auprès du Sud global ? Les audiences ont été suivies de près de Pretoria à Gaza, autant que faire se peut dans les conditions actuelles. « Si la plupart des gens n’en savent pas nécessairement beaucoup sur la CIJ – nombreux sont ceux qui la confondent avec la Cour pénale internationale (CPI) –, ils savent néanmoins qu’Israël est en train d’être jugé, souligne pourtant Phyllis Bennis, directrice du projet Nouvel Internationalisme à l’Institute for Policy Studies à Washington. Et c’est sans précédent, parce que durant des décennies, les États-Unis ont soutenu Israël au-delà de milliards de dollars d’aide militaire, en leur offrant une protection d’impunité. » Un sentiment qui se dégage aussi du piétinement de l’enquête lancée en 2021 par la CPI sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis dans le cadre du conflit israélo-palestinien depuis juin 2014. « Pour beaucoup, la principale frustration jusqu’à présent réside dans le fait que son procureur général, Karim Khan, a seulement publié des communiqués de presse, mais aucune accusation pour crime de guerre », note Kenneth Roth, qui juge que des avancées sur ce dossier pourraient faire « une énorme différence pour restaurer la foi dans le droit international ».

Lire aussi

2023, « année terrifiante » pour les droits humains à travers le monde, dénonce HRW

Une confiance qu’il est nécessaire de rétablir pour l’ancien directeur de Human Rights Watch, qui précise que « sans le droit, il n’y aurait que les politiques de pouvoir qui n’ont fait jusqu’à présent qu’encourager le gouvernement israélien dans sa voie ». Reste à voir si les membres de la CIJ ne se laisseront pas influencer par leurs affiliations nationales, alors que la présidente de la Cour, Joan Donoghue, est une citoyenne américaine. « Tous les juges ne vont probablement pas voter comme leur gouvernement préférerait, mais il est certain qu’ils garderont en tête les conséquences politiques « au pays, prévoit Philly Bennis. Cependant, ces juges sont évidemment préoccupés par leur crédibilité et celle de la Cour dans le futur, et sont conscients de l’indignation mondiale face aux actions israéliennes à Gaza. » 

Ils sont nombreux à être restés scotchés derrière leurs écrans des heures durant, ces 11 et 12 janvier. Tellement qu’ils ont fait buguer le site de retransmission en direct des Nations unies, une fois n’est pas coutume. Car pour la plupart, c’est sans doute la première fois qu’ils suivent les audiences publiques d’un cas porté à la Cour internationale de justice...

commentaires (6)

La CIJ n'a aucun pouvoir ni aucun moyen de pousser ou d'appliquer ses jugements. Nous l'avons vu pour l'assassinat de Raffic Harriri. Nous le voyons toujours que les forces d'United Nothing, n'arrivent même pas à forcer le Hezbollah de respecter la résolution 1701. Quand on a des clowns comme accusateurs et qui deviennent les défenseurs d'un groupe Radical Islamiste comme Le Hamas, faut surtout se demander ce que l'Afrique du Sud en tire vraiment de cela. Follow the money.

Marwan Takchi

14 h 59, le 14 janvier 2024

Tous les commentaires

Commentaires (6)

  • La CIJ n'a aucun pouvoir ni aucun moyen de pousser ou d'appliquer ses jugements. Nous l'avons vu pour l'assassinat de Raffic Harriri. Nous le voyons toujours que les forces d'United Nothing, n'arrivent même pas à forcer le Hezbollah de respecter la résolution 1701. Quand on a des clowns comme accusateurs et qui deviennent les défenseurs d'un groupe Radical Islamiste comme Le Hamas, faut surtout se demander ce que l'Afrique du Sud en tire vraiment de cela. Follow the money.

    Marwan Takchi

    14 h 59, le 14 janvier 2024

  • Si l’Afrique du Sud l’emporte haut la main, sur la plainte génocidaire contre Israël, et qu’Israël serait condamné par la cour internationale de justice,ce n’est plus de reconnaître un état palestinien dans les frontières de 1967, mais selon le premier plan de partage par l’ONU de 1947. Et ceux qui ne sont pas d’accord sur ce plan, doivent quitter Israël pour les sionistes et la Palestine pour le Hamas.

    Mohamed Melhem

    08 h 52, le 14 janvier 2024

  • Pour paraphraser un homme politique Français, Jacques Chirac, ce procès à pour simple effet en israel d'en toucher une sans faire bouger l’autre... Il n'en reste pas moins que les assassinats au Liban n'ont pas eu les mêmes répercussions... et le TSL est tombé dans les oubliettes de l'histoire .

    C…

    04 h 43, le 14 janvier 2024

  • Dans un passé récent, Israel a aidé ouvertement le régime de l'Apartheid à se maintenir au pourvoir en lui fournissant des armes, des véhicules anti-émeutes et des blindés ainsi que le développement d'armes "plus sophistiquées". Aujourd'hui, c'est au tour du président Ramaphosa d'accuser Israel de génocide devant la CIJ...

    DOUMET Rima

    04 h 22, le 14 janvier 2024

  • L'Afrique est un des pays les plus violents de la planète : 82 meurtres par jour 115 viols par jour, 31% de chômage, 19% n'ont pas accès à l'eau. 33% n'ont pas accès aux soins de base ( 2 millions d'habitants et 36 hôpitaux à Gaza avant le 7 Octobre) et j'en passe. L ANC va en prendre pour son grade .

    Dorfler lazare

    22 h 10, le 13 janvier 2024

  • Nelson Mandela, avait bien déclaré qu'il n'y aurait pas de vraie libération sans la fin de l'occupation de la Palestine. Ce qui désastreux dans tout ça, c'est que cette action en justice est exclusivement Sud Africaine. Bravo pour l'Afrique du Sud. Mais où sont les pays arabes, les pays frontaliers d'Israël, les accords de Camp David et d'Oslo (??): dans les poubelles Israéliennes.

    Raed Habib

    15 h 01, le 13 janvier 2024

Retour en haut