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Culture - Cimaises

Du jardin de Sanayeh au musée Sursock, une traversée de trois décennies d’art critique libanais

Voilà trente ans que l’association Ashkal Alwan prend le pouls de la situation du pays du Cèdre, à travers les œuvres de la cinquantaine d’artistes qui gravitent dans son orbite. L’exposition « Intimate Garden Scene (In Beirut) » déploie au musée Sursock les différentes formes de création artistique critique qu’ils ont développées à partir des années 1990, jusqu’à nos jours.

Du jardin de Sanayeh au musée Sursock, une traversée de trois décennies d’art critique libanais

Un coin de l'exposition « Intimate Garden Scene » au musée Sursock. Photo Michel Sayegh

C’est par une compression de débris métalliques issus de la double explosion au port de Beyrouth en 2020, signée Marwan Rechmaoui, que s’ouvre le parcours d’« Intimate Garden Scene (In Beirut) » au musée Sursock. Et c’est une œuvre de Walid Raad, recensant des artistes apparus au cours de la période des années 1990 (à l’instar de Jalal Toufic, Mounira al-Solh, Lamia Joreige ou encore Roy Samaha) et qui ont accompagné l’émergence des institutions artistiques et muséales dans les pays de la région, qui synthétise le propos global de cette exposition. Laquelle dresse, en quelque sorte, un inventaire de ceux qui ont marqué de leur empreinte conceptuelle, à teneur activiste et engagée, la scène artistique libanaise au cours de ces trente dernières années. Très précisément depuis 1993 et la fondation par Christine Tohmé, Marwan Rechmaoui, Rania Tabbara, Mustapha Yamout et Leila Mroueh d’Ashkal Alwan : une association pour les arts plastiques qui se consacre à la promotion de la pratique artistique contemporaine libanaise dans une perspective de promotion de la pensée critique autour des réalités sociales et de l'engagement dans des activités communautaires.

Une compression signée Marwan Rechmaoui à partir du métal explosé le 4 août 2020. Photo Michel Sayegh

Retour sur des réalités politiques et sociales...

En 1995, Ashkal Alwan avait réuni les œuvres de son premier noyau d’artistes dans une exposition collective organisée à Sanayeh, dans l’historique jardin public du cœur de Beyrouth. Un événement inaugural qui se développera au fil des ans, avec notamment, à partir de l’an 2000, la programmation, en biennale, du forum Home Works, lancé dans l’objectif de pousser les artistes au dialogue et à l’échange d’idées dans un contexte délétère d’une capitale libanaise encore en train de panser ses blessures.

Trente ans plus tard, c’est une sorte de regard global sur les pratiques artistiques et les différents modes de production apparus au cours de ces trois décennies libanaises qui furent loin d’être à l’image d’un long fleuve tranquille que l’association propose aux visiteurs de l’exposition « Intimate Garden Scene » (Une scène de jardin intime). Et qui présente, dans le cadre de la 9e édition de Home Works jusqu’au 15 mai dans la grande salle au sous-sol du musée Sursock, un ensemble impressionnant de dessins, de peintures, de collages, de vidéos, de photos, de sculptures, de carnets et documents d’archives.

Au premier plan « Les boules », une œuvre sculpturale de Simone Fattal, dialogue avec les peintures sérielles de Shawki Youssef et une photo de Beyrouth signée Akram Zaatari. Photo Michel Sayegh

... dont certaines sont toujours d'actualité

« Ce n’est pas une anthologie d’un art produit au Liban au cours des 30 dernières années », prévient d’emblée la directrice d’Ashkal Alwan et curatrice de l’exposition Christine Tohmé, « mais un retour sur plusieurs réalités politiques et sociales qu’a traversé et que continue de traverser le pays depuis la sortie de la guerre à nos jours, à travers les œuvres d’artistes qui ont démarré leur carrière avec Ashkal Alwan, collaboré à ses manifestations culturelles ou ont accompagné d’une manière ou d’une autre notre parcours », précise-t-elle. Des artistes qui, à travers les différentes formes de création artistique qu’ils ont développées, ont produit un art dont la texture mêlant l’ordinaire à l’historique fait écho aux divers événements conjoncturels auxquels est confronté de manière continue, récurrente, voire cyclique, le Liban. Depuis l’altération de son paysage urbain – avec le processus de reconstruction de la capitale – aux multiples crises actuelles, en passant par la fin de l’occupation militaire syrienne et de l’occupation du Sud par Israël, le soulèvement d’octobre 2019, l’effondrement de la monnaie nationale, l’explosion au port de Beyrouth, le dossier des disparus, la pollution, la liberté d’expression et les problématiques de genre… Sans oublier les assassinats politiques – à nouveau sur la sellette de l’actualité – qu’évoque avec un certain sens de la dérision Rayyane Tabet dans A short history of Lebanon. Une installation réalisée en 2018 à partir de la reproduction des 200 polars SAS de Gérard de Villiers qui comptaient 6 titres libanais relatant des liquidations d’agents et d’hommes politiques survenus au pays du Cèdre souvent avant leur réalisation.

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Autant de thématiques qui ont été traitées, « pensées », souvent dans des travaux au long cours donnant naissance à des productions sérielles, comme des « journaux visuels », par l’ensemble des artistes réunis dans cette exposition.

Et parmi lesquels on retrouve aussi bien le noyau des « pionniers de l’après-guerre civile », formé entre autres par Rabih Mroué, Tony Chakar, Akram Zaatari, Fouad Elkoury, Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, Walid Sadek et Jalal Toufic que ceux qui, au fil des années, les ont rejoint dans leur pratique artistique critique, à l’instar des Ziad Abillama, Ali Cherri, Shawki Youssef, Paola Yaacoub, Etel Adnan, Daniele Genadry, Rayyane Tabet, Simone Fattal jusqu’aux plus jeunes Stéphanie Saadé ou Renoz qui s’inscrivent dans leur lignage…

Il est évidemment impossible de mentionner ici la totalité des artistes qui gravitent – ou qui ont gravité occasionnellement – dans l’orbite d’Ashkal Alwan. Et dont on retrouve les différents regards et sensibilités portés sur une réalité libanaise contemporaine qui continue à charrier, depuis trente ans, un flux continu de situations aléatoires vues à travers le prisme d’un art témoin. Un art dont le but est de créer un discours et des débats civiques sur « ce qui dans les replis du quotidien se passe autour de nous », indique le réalisateur et artiste visuel Ghassan Halwani dont le « Work in Progress » nourri d’une histoire familiale douloureuse propose une lecture inédite du dossier des disparus de guerre…

Continuer à remettre en cause ce qui nous arrive

Une exposition d’une telle densité qu’elle nécessite plus d’une visite. Avec, à la clé, un long temps de contemplation, voire un effort complémentaire de lecture et de documentation (outre le catalogue fourni, plusieurs ouvrages sont disponibles sur place) pour celui qui veut appréhender véritablement le propos des œuvres qui y sont présentées. Et auxquelles viendra s’ajouter, à partir de la mi-janvier 2024, un programme de films d’accompagnement proposé toutes les deux semaines.

« Nous sommes dans une situation tellement dramatique qu’on s’est beaucoup interrogé sur la pertinence de présenter cette neuvième édition de Home Works. Mais nous avons décidé de maintenir notre programmation parce qu’il faut se battre, continuer à produire, pour ne pas laisser gagner ceux qui veulent nous interdire de nous exprimer, ceux qui veulent assécher notre créativité, notre imaginaire, notre capacité à réfléchir et à remettre en cause ce qui nous arrive. L'art contemporain n'est pas quelque chose de vain et de dérisoire. Il sert aussi à se retrouver pour penser la manière de changer nos réalités et réfléchir à la manière d'avancer malgré tous les périls », martèle en conclusion cette pasionaria nommée Christine Tohmé.

*« Intimate Garden Scene (In Beirut) » au musée Sursock. Jusqu'au 15 mai 2024, du mercredi au dimanche de 10h à 18h.

Les artistes d’« Intimate Garden Scene (In Beirut) »
Plus d'une cinquantaine d'artistes d'artistes sont réunis dans cette exposition. Il s'agit de Mohamad Abdouni, Bassel Abi-Chahine, Ziad Abillama, Etel Adnan, Haig Aivazian, Tamara al-Samerraei, Mounira al-Solh, Omar Amiralay, Ziad Antar, Marwa Arsanios, Vartan Avakian, Monica Basbous et Charbel Alkhoury, Tony Chakar, Ali Cherri, Roy Dib, Fouad Elkoury, Simone Fattal, Sirine Fattouh, Raymond Gemayel, Daniele Genadry, Laure Ghorayeb, Ahmad Ghossein, Zakaria Jaber, Joana Hadjithomas and Khalil Joreige, Gilbert Hage, Charbel-Joseph H. Boutros. Ghassan Halwani, Hatem Imam, Amal Issa, Lamia Joreige, Rim el-Jundi, Bassam Kahwaji, Mazen Kerbaj, Samir Khaddaje, Dalia Khamissy, Nesrine Khodr, Lina Majdalanie (Saneh), Raafat Majzoub, Alaa Mansour, Omar Mismar, Rabih Mroué, Hussein Nassereddine, Rawane Nassif, Nour Ouayda, Walid Raad, Kristen Scheid and Salwa Raouda Choucair (in absentia), Marwan Rechmaoui, Renoz, Bassem Saad, Stéphanie Saadé, Walid Sadek, Ghassan Salhab, Jayce Salloum, Rasha Salti, Roy Samaha, Hala Schoukair, Nada Sehnaoui, Corine Shawi, Mohamad Soueid, Rania Stephan, Rayyane Tabet, Jalal Toufic, Karine Wehbé, Paola Yacoub, Raed Yassin, Shawki Youssef et Akram Zaatari.
C’est par une compression de débris métalliques issus de la double explosion au port de Beyrouth en 2020, signée Marwan Rechmaoui, que s’ouvre le parcours d’« Intimate Garden Scene (In Beirut) » au musée Sursock. Et c’est une œuvre de Walid Raad, recensant des artistes apparus au cours de la période des années 1990 (à l’instar de Jalal Toufic, Mounira al-Solh, Lamia...

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