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Culture - Rencontre

Bassam Abou Diab : « Bouger et danser, c’est d’une certaine façon la liberté »

Le danseur et chorégraphe libanais a fondé en 2021 le Beirut Physical Lab, une initiative qui permet d’explorer les archives vivantes du corps et de se reconnecter à la joie de la danse. Aujourd'hui, il lance un appel à participation pour un atelier gratuit de 3 mois. Rencontre et détails...

Bassam Abou Diab : « Bouger et danser, c’est d’une certaine façon la liberté »

Bassam Abou Diab dans « Under the flesh ». Photo Andrea Caramelli

Fondé en novembre 2021 par Bassam Abou Diab, acteur, danseur et chorégraphe prolifique, le Beirut Physical Lab a récemment présenté Altérations, une performance créée en trois semaines, sous la direction du chorégraphe, par sept jeunes danseurs. Sur le parvis du musée Sursock, lieu symbolique de notre mémoire collective, les danseurs ont emmené les spectateurs dans leurs histoires propres, étroitement corrélées avec celle de la ville et de ses transformations récentes. Le corps encaisse toutes les altérations de la ville, son chahut et son chatoiement. La danse permet de s’en libérer et de réintégrer ce que l’on choisit d’intégrer. C’est en disant leur relation à Beyrouth par le biais de leurs articulations que les danseurs brisent la sidération. Ils courent, ils courent en rond, sur le parvis, dans l'urgence de vivre ou de fuir une ville en étages, sept fois engloutie comme ils le rappellent. Ils se déparent des souvenirs et de l’anxiété qui leur colle à la peau, en se mouvant ; leur danse se veut cathartique. «Aujourd’hui je vais parler de tout ; de Beyrouth, des rues, des immeubles, de l’amour. De cette ville dans laquelle il est difficile de vivre mais loin de laquelle il est aussi difficile de vivre », dit l'une des danseuses. « J’avais la nausée à Beyrouth, j’avais beaucoup de mal à accepter la réalité, je luttais profondément entre moi et moi-même. La nausée et les vomissements ont cessé quand j’ai quitté le pays (…) J’y suis retournée quand j’ai senti que la réalité était ici, que mon corps était capable de sentir la réalité ici», déclare une autre. Les mots des danseurs rehaussent l’impact de la performance et la somptueuse musique live de Majdi Zeineddine et Andy Khouloussy, composée pour la performance.

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Bassam Abou Diab a souhaité mettre en avant l’interdisciplinarité : ses spectacles combinent musique live, sons, théâtre, danse et oralité. Les musiciens sont étroitement associés au processus créatif. On y retrouve souvent des percussions, un écho du goût du chorégraphe pour les rituels et le spirituel.

Les laboratoires gratuits

Pour le danseur chorégraphe diplômé en théâtre de l’Université libanaise, la danse et le mouvement sont une façon de poursuivre l’exploration théâtrale et permettent de sonder, par le « théâtre physique», les thèmes de l’inconscient et de l’héritage, lesquels sont plantés dans notre corps. C’est sur le même sujet, « l’empreinte de la ville dans laquelle on vit ; de son bruit, sa violence, sur nos corps », qu’il revient depuis quelques années dans ses propres spectacles solos et dans ce qu’il appelle les « laboratoires», des performances qui sont le fruit d’un travail collectif de danseurs amateurs de haut niveau. Ce fut notamment le propos des précédentes éditions de BeirootBodies et de Imprints, une collaboration avec la danseuse et chorégraphe suisse, Simea Cavelti – présentée l’été dernier dans des lieux phares du pays : à Beit Beyrouth, au Hammana Artists House ainsi qu’au Beirut Art Center. Ces performances dans des lieux qui permettent la proximité avec le public – il n’y a pas de scène – créent un lien plus fort et reçoivent un accueil particulièrement chaleureux.

Beyrouth et la mémoire, les archives du corps, reviennent sans cesse dans le propos de Bassam Abou Diab. S’il a grandi dans le Chouf, porteur de traditions et d’une identité forte, il se focalise néanmoins sur la capitale : c’est « parce que tous y viennent, libanais et autres, et qu’elle est un espace ouvert qui nous donne l’opportunité de faire nos expériences », dit-il. Voilà pourquoi « Beyrouth revient toujours dans le sujet, de façon voulue ou non », poursuit le danseur qui sait l’impact du lieu sur l’être et qui, par ses spectacles, l’a transformé et donné à voir, partout dans le monde. En Italie, aux États-Unis, en Allemagne, en Espagne, le danseur a porté sa vérité et celle de sa terre : « Ce que nous vivons au quotidien crée l’urgence ; mon propos naît de ce que je vis. On porte en nous les lieux dont nous venons. Dans mon travail, je me penche sur combien la ville, ses changements, son rythme, sa violence et les dilemmes qu’elle présente influencent le corps et le mouvement… Rien n’est stable ici ; tu te bats pour exister, pour inscrire ta présence dans cette ville. » Le propos actuel de Bassam Abou Diab est clairement politique : « Il ne saurait en être autrement», souligne-t-il.

Une scène du spectacle « Pina, my love », de Bassam Abou Diab. Photo Andrea Caramelli

« L’art crée la politique d’après »

C’est à travers le corps et l’expression physique – ce corps individuel ou communautaire que les tenants d’un certain ordre visent à dompter – qu’il investit le politique. « À travers le corps, d’une certaine façon et jusqu’à un certain point, nous ne sommes pas des victimes. Quand nous ne bougeons pas, nous sommes en mode sidération. Bouger et danser, c’est d’une certaine façon la liberté. » Le pouvoir de l’incarnation et de l’imagination. Le pouvoir de la danse se trouve dans son essence même : la nécessaire connexion à soi et aux autres. Bassam Abou Diab fait d’ailleurs remarquer que le théâtre et la danse ont toujours été au cœur de la communauté, de l’interaction entre humains, qui disparaît dans la vie contemporaine. « Les individus travaillent tout le temps et n’ont pas le temps les uns pour les autres », déplore-t-il. Ce puissant danseur à la voix douce, venu de la montagne, veut, par son travail, restituer ces communautés humaines et ces interactions. « L’art crée la politique d’après», dit-on.  Sa politique à lui se reflète aussi bien dans son art que dans son organisation des Physical Labs. 

« Il y a une génération qui va rester au Liban, qui va aller vers les performing arts (les arts de la scène) d’une manière différente, avec une certaine liberté et un respect du corps qui sort des canons habituels, indique l'artiste qui lance un appel à participation à un atelier de trois mois gratuit (détails ici). Et de préciser : «  La sélection des participants aux laboratoires est nourrie par cette vision : nous choisissons des jeunes qui ont la passion, l’enthousiasme, et qui ne sont pas marqués par des écoles de danse, ceux qui sont prêts à s’aventurer. Nous privilégions aussi ceux qui sont issus de milieu défavorisés parce qu’ils ont un plus grand moteur à se prouver et sachant que nous traversons la plus grande crise qu’a connue le pays, nous visons aussi à les soutenir dans cet environnement difficile et à leur procurer des opportunités de travail. »

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Ainsi, la troisième édition de BeirootBodies s’ouvrira en janvier prochain et accueillera durant les trois mois d’ateliers des artistes et chorégraphes de différents pays, donnant ainsi l’occasion aux danseurs locaux, libanais et autres résidant dans le pays, de les côtoyer et de travailler avec eux. En cela, Bassam Abou Diab souhaite leur donner ce qu’il n’a pas reçu, un espace d’exploration sûr et l’accès à des écoles de danse internationales –  «90 % de ce que j’ai appris en danse, je l’ai appris au Liban» –, et il mène avec peu de moyens et une équipe très restreinte ses projets. Qu’à cela ne tienne, il danse et porte haut son art dans de nombreux pays d’Europe et du monde. C’est d’ailleurs de cette solitude libanaise et de son rêve de danser avec Pina Bausch qu’il a conçu son spectacle Pina, my love, un spectacle tout aussi intime que politique.

Pina my love, qui se penche sur la torture en prison, Eternal qui traite de l’oppression du système et Under the flesh ont tourné dans de nombreux festivals. Dans ce dernier, le danseur s’attelle à la mémoire de la guerre, des guerres qui ont en commun l’aviation et la violence israéliennes : la guerre des sept jours de 1993, les Raisins de la colère en 1996, le retrait israélien en 2000 et la guerre de 2006. «1993 était ma première rencontre avec l’obus et aussi mon contact avec l’afflux de Libanais déplacés… Comment fuir les bombes et comment ne pas mourir ? Ma réponse était de danser (…) Mon lien à la guerre m’a prêté à réflexion et pas seulement à des émotions. Je me suis interrogé sur les actions que cela suscite en moi».

Si Under the flesh a déjà fait le tour de 70 festivals – c’est dire aussi le souffle du danseur –,  il est encore l’invité du Festival de Marseille en juin 2024. C’est un style marqué également par les rituels et la spiritualité, l’intégration du folklore et d’un mouvement oriental dépouillés avec la danse contemporaine, et une histoire assumée et au final universelle, qui séduisent dans le mouvement de Bassam Abou Diab, lequel se communique au-delà des frontières. « Notre mouvement va vers les courbes qui nous ressemblent, comme nos vies. » Les Occidentaux en sont friands.

Dans le cadre du projet Beryt
Les récentes performances du Beirut Physical Lab ont été soutenues par le projet Beryt de l’Unesco financé par la LFF (Lebanon Financing Facility) gérée par la Banque mondiale. Leila Rizk, consultante sur ce projet pour l’Unesco, salue ceux qui comme Bassam Abou Diab ont fait le choix de rester et de transmettre un savoir » et exprime « sa préoccupation majeure qui est d’être à l’écoute de la nouvelle génération qui va être nécessaire pour redynamiser la vie culturelle au Liban ».
Fondé en novembre 2021 par Bassam Abou Diab, acteur, danseur et chorégraphe prolifique, le Beirut Physical Lab a récemment présenté Altérations, une performance créée en trois semaines, sous la direction du chorégraphe, par sept jeunes danseurs. Sur le parvis du musée Sursock, lieu symbolique de notre mémoire collective, les danseurs ont emmené les spectateurs dans leurs...

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