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Lifestyle - Photo-roman

J’ai de la chance d’avoir pu naître à Gaza

Pour ceux nés à Gaza, l’enfance, censée être le lieu le plus sûr d’une vie, ne se résume qu’à un tour de roulette russe…

J’ai de la chance d’avoir pu naître à Gaza

Photo tirée du compte @middleastarchive

Je suis âgé de 16 ans. Je suis âgé de six guerres. Je suis né à Gaza en 2007 et je fais partie des (plus de) 70 % des Gazaouis dont les familles avaient été précédemment déplacées lors de la Nakba en 1948. L’année de ma naissance, Israël a imposé un blocus sur Gaza par voies terrestre, aérienne et maritime, tout en intensifiant les restrictions à l’intérieur du territoire. J’ai de la chance de ne pas avoir été l’un de ces bébés dont les mères se sont vu refuser un passage à un point de contrôle israélien et qui ont fini par accoucher dans la boue, sur le bord d’une route. J’ai de la chance d’être né dans un hôpital, j’ai de la chance d’être né en période de trêve. J’ai de la chance d’avoir pu naître…

Un enfant type de Gaza

Je n’avais même pas deux ans, je savais à peine parler, marcher, quand j’ai découvert la guerre, la violence et la mort. En décembre 2008, j’ai en effet survécu à une attaque de 22 jours sur Gaza, au cours de laquelle les forces israéliennes ont tué 318 enfants. Trois ans plus tard, j’ai survécu à une attaque israélienne de huit jours qui a coûté la vie à 33 enfants. J’avais cinq ans. En juillet 2014, j’ai survécu à 50 jours d’assauts israéliens à l’issue desquels on comptait 556 enfants morts. J’avais 7 ans et à ce moment-là, je rencontrais la mort pour la première fois en voyant mon père se faire tuer par un franc-tireur israélien. Nous n’avons pas pu l’enterrer. D’ailleurs, pendant cette « petite guerre » improvisée, plus de 1 500 enfants de Gaza ont été rendus orphelins. Entre mes 11 et mes 12 ans, pendant deux ans donc, j’ai vu ma communauté se mobiliser en masse pour protester contre le blocus. En guise de riposte, les forces israéliennes ont tué 214 manifestants, dont 46 enfants. Ils ont également blessé 8 800 enfants avec des balles réelles, des balles en caoutchouc et du gaz lacrymogène. À 14 ans, en mai 2021, j’ai survécu à la quatrième attaque israélienne depuis ma naissance : onze jours de bombardements et 67 enfants tués. À 15 ans, en août 2022, une cinquième attaque, neuf enfants tués. Aujourd’hui, j’ai 16 ans, et depuis le 8 octobre, je survis chaque jour, chaque heure, chaque minute à un massacre. En 56 jours, les forces israéliennes ont tué plus 6 150 enfants. Des milliers d’autres ont disparu sous les décombres.

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Cette histoire-là, c’est celle d’un « enfant type » de Gaza. La plateforme Visualizing Palestine la raconte sur son site, en se basant sur des données provenant d’une trentaine de sources académiques, gouvernementales, médiatiques ou des Nations unies. Cette histoire-là, ce n’est celle de personne en particulier, mais c’est en vrai celle de tous les enfants de Gaza. Une histoire standard, courante, commune, « ordinaire » si l’on ose dire, celle de chacun des enfants dont les images nous déchirent le cœur depuis le 7 octobre. Ces enfants qui survivent jusqu’à ce jour, et qu’on regarde tous les jours derrière nos écrans en priant pour qu’ils survivent et qu’on les revoit demain, ils sont des miracles. La vie est à ce point rare, fragile, impossible à Gaza, que rien que tenir un jour de plus est désormais de l’ordre du miracle.

Que restera-t-il de leur enfance ?

Ce matin à l’aube, la guerre a repris à Gaza. Je relis l’histoire de cet « enfant type », et déjà, sur mon écran, une foule de visages de vrais enfants viennent s’y superposer. Des enfants âgés de 2 guerres, de 3 assauts, de 4 exils. Des enfants qui sont nés dans des abris, dans des hôpitaux en ruines ou sur des bords de routes bombardées. Des enfants qui n’ont jamais connu les bras, l’odeur de leurs mères. Des enfants qui ont rencontré la mort à deux ans, à trois ou sept, ou, souvent alors qu’ils étaient encore dans le ventre de leurs mères. Des enfants qui ont grandi dans la mort, qui ont perdu au moins un parent, un voisin, un proche, une jambe, un chat ou un ami qui partageait leur banc de classe. Des enfants qui ont été arrêtés, emprisonnés, humiliés et torturés illégalement et sans raison. Des enfants dont l’enfance, censée être le lieu le plus sûr d’une vie, ne se résume plus qu’à un tour de roulette russe. Des enfants qui ont connu trop tôt les départs, l’exil sur des routes pilonnées, et les ruines, et les armes, et les membres en détresse, et les corps déchiquetés, et la douleur des opérations sans anesthésie. Des enfants qu’on a mille fois arraché de leurs lits et de leurs chambres d’enfants qu’ils n’ont plus jamais revus. Des enfants qui disent que leur plus grand rêve, le plus fou, c’est de rentrer chez eux, à la maison. Des enfants qui aujourd’hui voient leurs écoles, leurs maisons, leurs plages, leurs parcs, leurs cinémas, disparaître et avec, tout ce qu’il restait de leur semblant d’enfance. Des enfants qui ont dû apprendre trop brusquement le langage de la guerre et de l’horreur des hommes et qu’on voit parler à la télé comme des petits adultes. Des enfants qui ont déjà vieilli mais qui malgré tout, par on ne sait quel mystère, conservent encore dans leurs yeux la tendresse de l’enfance.

Les regarder dans les yeux, derrière notre écran, avoir le cœur déchiré et se taire. Ne plus avoir de mots. Seulement rester avec une seule question : de quoi faut-il être fait pour faire du mal à ces enfants ?

Je suis âgé de 16 ans. Je suis âgé de six guerres. Je suis né à Gaza en 2007 et je fais partie des (plus de) 70 % des Gazaouis dont les familles avaient été précédemment déplacées lors de la Nakba en 1948. L’année de ma naissance, Israël a imposé un blocus sur Gaza par voies terrestre, aérienne et maritime, tout en intensifiant les restrictions à l’intérieur du...

commentaires (1)

Ben, ils ont le malheur d’être les voisins de "la seule démocratie" du Moyen-Orient. Ils doivent avoir une drôle d’idée de ce que "démocratie" veut dire… pauvres gosses!

Gros Gnon

07 h 03, le 04 décembre 2023

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Commentaires (1)

  • Ben, ils ont le malheur d’être les voisins de "la seule démocratie" du Moyen-Orient. Ils doivent avoir une drôle d’idée de ce que "démocratie" veut dire… pauvres gosses!

    Gros Gnon

    07 h 03, le 04 décembre 2023

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