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Culture

Trois artistes aux frontières du rêve et des douleurs

Trois expositions de la rentrée beyrouthine à inscrire à vos agendas, malgré tout…

Trois artistes aux frontières du rêve et des douleurs

« Not Without a Fight », une acrylique sur toile signée Edgard Mazigi (150 x 190 cm ; 2023).

« Les Espaces intermédiaires » d’Edgard Mazigi

Quand il saisit son pinceau, Edgard Mazigi ne sait jamais vraiment à l’avance ce qu’il va peindre. Car c’est dans une démarche de peinture sans objet qu’il entame depuis quelque temps l’élaboration de chaque toile. Une destination vers l’inconnu dans laquelle il embarque, à sa suite, les visiteurs de la galerie Art on 56th, à Gemmayzé, où il expose ses œuvres récentes jusqu’au 21 octobre.

Réalisées par larges coups de brosse et de pinceau exclusivement en noir et blanc, ou plutôt dans un camaïeu de tonalités issues de ces deux non-teintes, ses acryliques sur toile dégagent une ineffable atmosphère d’entre-deux. Entre lumière et obscurité, entre passé et présent, entre mouvement et temps suspendu, douceur et tension…

Un « Espace intermédiaire », pour reprendre le titre de l’exposition, qui à partir d’une figuration naissant donc de l’abstraction la plus totale met en représentation des moments de vie – et d’activité – ordinaires nimbés du souffle de l’intangible… Ce souffle d’intériorité qui traverse les assemblées de personnages aux regards invariablement tournés vers eux-mêmes, alors que leurs allures et attitudes préfigurent qu’ils sont en pleine discussion, comme dans le triptyque intitulé Dialogue de sourds… Et que l’on retrouve, également, dans les portraits en solo de cet artiste qui conjugue, dans une même inspiration, les influences de De Kooning et du Titien. Dans ce dernier registre, deux toiles se démarquent particulièrement : celle d’un jeune homme évoquant Un instant de grâce et celle d’une énigmatique « dame au chat » au regard qui vous transperce. Une toile très cinématographique justement intitulée The Cat Who Knew Too Much, en référence à un célèbre titre de film d’Alfred Hitchcock The Man Who Knew Too Much (1956).

« Rien n’est éternel » pour Agopian

« Rien n’est éternel, rien n’est fini, rien n’est parfait. » Partant de cet axiome, Krikor Agopian a toujours mis dans ses toiles complexes « sa vision éclatée, fragmentée, explosée de la vie et de l’univers » (dixit l’historien d’art canadien Guy Robert). Et cela depuis la première de sa quarantaine d’expositions en cinquante ans de carrière. Une vision qui s’accorde de plus en plus avec l’état de morcellement du monde actuel. Mais que l’artiste exprime à sa manière, sans catastrophisme ni pathos, dans un mélange parfaitement maîtrisé de formes géométriques, de techniques en trompe-l’œil et de vivacité des couleurs.

« Earth » ou la personnification, toujours fragmentée, de la terre par Agopian (2020 ; 106 x 82 cm).

Depuis l’entrée du pays du Cèdre dans le sombre tunnel du temps de crises, le peintre libano-arméno-canadien qui réside, depuis une trentaine d’années, en alternance entre Beyrouth et Montréal, s’était réfugié dans le silence de ses ateliers… dans les deux villes. Au Canada, où il se trouvait durant l’apogée de la pandémie de Covid-19, il avait notamment mis à profit le temps du confinement pour rendre hommage ses confrères artistes – musiciens, danseurs et comédiens – particulièrement impactés par la suspension de leurs activités, à travers une série d’acryliques sur toile toutes en silhouettes géométriques. Une série particulière, bien que composée à partir des éléments habituels du vocabulaire pictural d’Agopian, que sont les cordes, angles, anneaux, rayures et disques. Et qui constitue – avec le quadriptyque des quatre saisons, toutes en rythme et harmonie de couleur, ainsi qu’une troisième série dans laquelle le peintre introduit subrepticement la figure féminine – les œuvres phares de l’exposition que lui consacre la galerie Cheriff Tabet (Achrafieh, rue Abdel-Wahab el-Inglizi). Une nouvelle cuvée de toiles à la mutation personnificatrice particulièrement aboutie, à découvrir jusqu’au 21 octobre.


Hala Mouzannar : « Si la matière pouvait parler »

C’est à travers l’art que Hala Mouzannar questionne les paradoxes et les contradictions de l’existence et part à la quête du principe de dualité. La beauté dans la laideur, la résistance face à la douleur, la résilience opposée aux traumas.  C’est sous l’intitulé « Si la matière pouvait parler » qu’elle présente une série d’huiles sur toile abstraites. 

Depuis son dernier solo en mai 2021, l’artiste s’est concentrée sur quatre thématiques différentes : la première questionne la relation entre le spectateur et ses œuvres. Lorsque, dans le cadre du collectif « Yalla Bala Manyake » où la matière se meut, dégouline hors de son cadre, s’étale et se transforme sous le regard du public, c’était pour exprimer une douleur incandescente, chronique et vive qui s’exhibe crûment. Et peut-être aussi lançait-elle un appel au secours ? Ou posait-elle simplement un constat ?

"La Terre vue des étoiles IX", une huile sur toile de Hala Mouzannar, 2023, 120 x 100 cm.

Sa deuxième thématique est centrée sur l’idée du temps en tant que temporalité mais aussi en tant que changement de température. Elle réalise des petits formats (50 x 50 cm allant jusqu’à 10 x 10 cm), en série de diptyques et de triptyques. Avec le temps et selon les changements de température, chaque tableau d’une même série, travaillé avec exactement les mêmes matériaux, évoluait différemment. Elle explore ainsi le détail de la matière et sa texture, utilise des pigments aux couleurs vives voir phosphorescentes pour contrecarrer l’intensité des déchirures et des rides qui se formaient sur les toiles. C’est comme une invitation à regarder de plus près, à sonder le geste et la démarche.

Hala Mouzannar laisse rejaillir la spiritualité de la douleur et sa sublimation dans sa troisième thématique. « La douleur m’échappe, dit-elle, elle n’est plus mienne. » C’est un objet avec lequel elle a grandi et qui l’avait toujours fascinée et interpellée. Dans le cabinet de cardiologie de son père était posé sur une étagère, un cœur séché et trempé dans de la résine. On y voit des vaisseaux orange et rouges qui s’entrecroisent pour former une sublime composition faite de matières et de dégradation de couleurs. « C’est en explorant cet objet qui ne m’appartenait pas qu’une lecture renouvelée de la douleur se présente à moi, explique l’artiste. La douleur est transfigurée, elle est hors de moi. »

À l’origine de l’univers, un amas de matière très dense et une dilatation progressive. À force de chocs et d’impacts, de collisions, de glissements et de ruptures, d’inondations, de tremblements, d’éruption de feux et de volcans, la création a lieu. « Notre terre s’est donc formée dans la douleur », insiste l’artiste. Pour être arrivée dans ses recherches à la conclusion que tout est accident, elle en a fait sa quatrième thématique, l’accident étant à l’origine de la formation de la matière. Le recueil La Terre vue du ciel de Yann Arthus-Bertrand l’inspire. Son art devient roches, mais aussi mer, minéraux, ciel et agglomérations. Elle représente des paysages géologiques des vues circulaires de la terre, des horizons imaginés à partir du ciel. La matière est définitivement son langage, son outil d’expression. Jusqu’au 18 novembre à la galerie Agial, rue Abdel Aziz, Hamra. 





« Les Espaces intermédiaires » d’Edgard MazigiQuand il saisit son pinceau, Edgard Mazigi ne sait jamais vraiment à l’avance ce qu’il va peindre. Car c’est dans une démarche de peinture sans objet qu’il entame depuis quelque temps l’élaboration de chaque toile. Une destination vers l’inconnu dans laquelle il embarque, à sa suite, les visiteurs de la galerie Art on...

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