Un « 11-Septembre israélien ». Ces dernières heures, de nombreux observateurs font cette comparaison pour qualifier le choc en Israël de l'attaque déclenchée samedi matin par la branche armée du Hamas. Le bilan humain est inédit pour le pays, alors que les autorités ont fait état dimanche en fin d’après-midi de plus de 600 morts et 2 000 blessés.
Une comparaison qui illustre surtout la faillite totale de l’appareil sécuritaire israélien. Les images incomparables circulant au cours des dernières heures sur les réseaux sociaux renforcent la portée de la débâcle éprouvée : corps de civils gisant dans les rues du Sud israélien, bâtiments et véhicules en feu après des roquettes tirées depuis Gaza ou encore vidéos d’otages israéliens aux mains du Hamas.
Échec politique
Cinquante ans après la guerre surprise déclarée par l’Égypte et la Syrie à Israël, pris de court en plein Yom Kippour, l’effet de surprise et la faille sécuritaire se répètent. Samedi matin, le mouvement islamiste aux commandes à Gaza a lancé des roquettes et mené une incursion terrestre, maritime et aérienne sans précédent à partir de l’enclave sur le territoire israélien. Sans que les renseignements et les forces armées israéliennes ne soient alertées.
« Ce qu'Israël a perçu comme une dissuasion après les derniers combats de mai 2021 (guerre de 11 jours entre Israël et le Hamas, NDLR) n'était manifestement pas le cas, car le Hamas a probablement planifié cela depuis un certain temps et a pu exécuter une attaque coordonnée d'une ampleur et d'une portée incroyables sans alerter le vaste réseau de renseignements d'Israël », commente Omar Rahman, analyste au sein de l’institut de recherche Middle East Council on Global Affairs basé à Doha.
« C’est un échec des services de renseignements israéliens. Par ailleurs, l’armée n’a pas seulement été prise au dépourvu : près de deux jours plus tard, elle n’est toujours pas parvenue à reprendre le contrôle des villes israéliennes affectées », souligne de son côté Hugh Lovatt, chercheur au European Council of Foreign Relations (ECFR). Un jour après le début de l’opération « Déluge d'al-Aqsa », les affrontements se poursuivaient dimanche entre les forces armées israéliennes dans le sud du pays et des combattants palestiniens infiltrés dans plusieurs endroits, tandis que des habitants de la zone frontalière avec Gaza sont toujours assiégés.
Un échec qui percute de plein fouet le Premier ministre Benjamin Netanyahu et sa coalition la plus à droite de l’histoire du pays, contestée depuis janvier par une grande partie de l’opinion publique pour sa réforme de la justice. Le chef de l’exécutif qui a longtemps cultivé l’image de « Monsieur sécurité » a fondé sa légitimité sur son intransigeance quant à la protection de ses concitoyens. « C’est un énorme échec politique, commente sur le réseau X Khaled Elgindy, directeur du programme Palestine-Israël au centre Middle East Institute. La coalition d’extrême droite se présente comme le gouvernement de la sécurité. Dans le même temps, Netanyahu a dit aux Israéliens (...) que la question palestinienne appartenait au passé ». Désormais, l’illusion selon laquelle Israël garde le contrôle sur la situation dans la bande de Gaza sans déclencher d’escalade majeure s’est effondrée.
« Au cours de ses nombreuses années de mandat, Netanyahu a tenté d’ignorer Gaza. Il n’a jamais fait de plans pour son avenir et, après chaque vague de combats, il s’est précipité pour revenir à d’autres affaires, observe sur le réseau X Anshel Pfeffer, journaliste pour le quotidien israélien de centre gauche Haaretz. Les Israéliens se souviendront de lui à jamais pour ce désastre venu de Gaza. C'est maintenant son héritage. » Quelle que soit la durée et la nature des combats en cours, il ne fait aucun doute qu’ils auront des conséquences sur le cabinet israélien. « Lorsque les affrontements seront terminés, il y aura une énorme crise politique et des enquêtes approfondies seront menées sur les raisons de cette situation », estime Hugh Lovatt.
Offensive terrestre ?
Mis au pied du mur, Benjamin Netanyahu n’a d’autre choix que de changer les règles du jeu. Si le flou règne encore sur la réponse qu’il adoptera, ce dernier fera tout son possible pour rétablir la capacité de dissuasion du pays, largement mise à l’épreuve. « Israël se trouve dans un état de traumatisme national profond. Il voudra faire payer le Hamas d’une manière disproportionnée, pointe Hugh Lovatt. Tuer autant de membres du mouvement islamiste que possible. Y compris les hauts dirigeants, dont certains sont basés au Liban. »
Ces dernières heures, la question de savoir si l’État hébreu passera à la vitesse supérieure en menant une offensive terrestre sur l’enclave se pose. Depuis samedi matin, Israël multiplie les frappes aériennes sur la bande de Gaza, affirmant vouloir détruire des bâtiments identifiés comme « centres de commandement du Hamas », tandis qu’il a annoncé la coupure de l’approvisionnement en électricité destiné à l’enclave. Selon le ministre de la Santé du mouvement islamiste, le bilan s’élevait, dimanche en fin d’après-midi, à au moins 370 morts et 2 200 blessés. « Israël peut mener une offensive terrestre et le fera. La question est de savoir s’il réussira à éradiquer le Hamas et rétablir entièrement la sécurité dans l’enclave, estime Hugh Lovatt. Compte tenu des failles militaires, il s’agit d’un très gros défi. Même s’il y parvient, qu’adviendra-t-il ? Amènera-t-il l'Autorité palestinienne ? Dans tous les cas, cela prendra du temps et se fera au détriment de nombreuses pertes dans les deux camps. Et cela nécessite une stratégie politique loin d’être évidente. » Un scénario qui rappelerait alors le siège de Beyrouth par l’armée israélienne en 1982, au cours duquel l’Organisation de la libération de la Palestine (OLP) a été chassée de la capitale. Pour certains observateurs, il est cependant peu probable qu’une telle opération produise les effets escomptés, au vu du refus constant d’Israël d’aborder la dimension politique de la question palestinienne, la réduisant à une simple question de sécurité. « Il s'agit là de l'absence d'une stratégie capable de produire de la dissuasion, estime Omar Rahman. Toute réponse israélienne, qu'il s'agisse de réduire Gaza à néant en la bombardant ou d'une offensive terrestre, comme cela a été fait dans le passé, est clairement un échec étant donné que le Hamas ne cesse de se renforcer ».
Une stratégie qu’Israël pourrait en outre étendre à la Cisjordanie, en menant des campagnes militaires d’envergure pour éradiquer les membres du mouvement islamiste. « La situation est déjà très tendue et violente en Cisjordanie mais elle pourrait toujours s'aggraver et générer des troubles civils à l'échelle du pays, comme on l'a vu en mai 2021 », rappelle Omar Rahman. Il y a deux ans, de violents affrontements avaient éclaté entre la police israélienne et des Palestiniens aux abords de la mosquée al-Aqsa de Jérusalem, sur fond de tensions dans le quartier de Cheikh Jarrah, régulièrement confronté aux manœuvres des colons visant à expulser des résidents palestiniens. Au vu de l’incertitude qui règne, toutes ces options paraissent crédibles. « Je travaille sur le conflit israélo-palestinien depuis près de vingt ans. Honnêtement, je n’ai aucune idée de ce qui se passe. De ce que cela signifie. D'où ça va mener. Littéralement, tout est possible », lâche sur X Michael Stephens, expert du Moyen-Orient au Royal United Services Institute.
commentaires (3)
Il y a 41 ans les forces syriennes et palestiniennes ont été vaincus et auraient pu être chassées définitivement du Liban . Mais les bonnes âmes et les pleureuses professionnelles au service de l'Islamisme ont réussi a maintenir des enclaves syriennes et palestiniennes au Liban . En 1982 j'ai vu arriver une partie de l'arsenal palestinien stocké au Sud Liban , notamment des mortiers de 120mm encore emballés et couverts de graisse . L'Histoire ne repasse jamais les plats une seconde fois j'espère que le pouvoir israélien le comprendra
Yves Gautron
19 h 41, le 09 octobre 2023