Admirable, brillant, magnifique fut Dominique Salloum lors de son récital jeudi soir à l’église Saint-Maron, Gemmayzé, malgré un piano bastringue qui aurait convenu dans le ragtime et le charleston. Ce qui n’était pas le cas avec Beethoven et Brahms !
Performance coup d’envoi d’un cycle de concert « Jeudis musicaux à St-Maron » d’autant plus remarquable avec en première partie deux illustrissimes sonates, Pathétique et Tempête. C’est surtout un ton de confidence que Dominique Salloum a donné à son récital. Sobre et simple, sans maniérisme, comme intimiste qui répugne à l’effet et presque à la confidence que notre pianiste a choisie. Mais le ton de la présence forte et fervente est là, c’est le ton beethovénien. Il les connaît par cœur, les textes (il joue sans partition). Nous aussi on les connaît par cœur mais c’est comme si nous les entendons pour la première fois tant le discours est vrai, authentique et franc.
On admire les sinuosités qui ne sont qu’à lui, de l’Adagio cantabile si calme et si serein (arrangé à toutes les sauces Midnight blue) au Rondo vraiment emporté et léger.
Exceptionnellement inventif, c’est rafraîchissant d’entendre le musicien introduire tant de nuances personnelles sans que le profil de l’œuvre ne semble altéré. Le chroniqueur redoutait d’avoir à réécouter de peur de ne rien trouver à en dire. Et il n’y a rien à dire sauf que miracle, il y a et on peut « entendre ».
On connaît l’anecdote de cette dix-septième sonate surnommée La Tempête. Il ne s’agit pas de tempête de la nature, mais des tempêtes de l’âme, tempêtes intérieures, de ce mouvement né en Allemagne et qu’on a appelé Sturm und drang (tempête et passion). Selon Schindler, quand il interrogeait Beethoven sur cette sonate, le compositeur répondait laconiquement : « Lisez La Tempête de Shakespeare. »
Et selon Czerny, l’allegretto final avait été noté à Heiligenstadt d’après le galop ou le trot d’un cheval sous la fenêtre de Beethoven. Faut se méfier …
Voilà une interprétation qui propose un Beethoven tendu, nerveux, dramatique surtout dans le 1er mouvement. Version très vibrante, passionnée qui relève de l’esthétique romantique du XIXe siècle. Un jeu pianistique qui souligne fortement « sforzando » et « forte-piano », un staccato toujours accentué avec un jeu de pédale sobre. C’est du beau et du grand piano.
Après l'entracte, place au 3 intermezzi op. 117 de Brahms. Ils furent composés à Bad Ischl (Autriche) : le premier porte en épigraphe les vers suivants : « Dors tranquille mon enfant, dors tranquille et sage. J’ai tant de peine lorsque je te vois pleurer. » Vers extraits d’une berceuse écossaise. Tendre comme la poésie qui l’inspire, avec une main gauche sombre.
Le second est une pièce inquiétante au caractère fantastique et mystérieux…
Le troisième et dernier est un cortège funèbre dans le brouillard du nord. Cet opus 117 est peut-être le cycle le plus sombre que Brahms ait jamais écrit. « Paysage d’automne », a-t-on dit. La musique pianistique de Brahms se situe à part dans le répertoire romantique du piano. À l’opposé d’un Liszt ou d’un Chopin, c’est une musique anti-virtuose, ce qui ne signifie pas qu’elle soit d’une exécution facile. La technique pianistique de Salloum est de première force, puissante et souple. Il nous entraîne dans le domaine de la musique pure ce qui est naturel dans l’esprit de cette musique.
Quant aux deux rhapsodies op. 79, elles furent composées à Pörtschach, là où les mélodies naissent si nombreuses sous les pas qu’il faut prendre bien garde, en marchant, de n’en point écraser.
Le souci de la virtuosité pianistique est là, bien évident, mais, encore une fois, notre pianiste national – qui vit en France depuis des années – privilégie la pensée, l’émotion et la fantaisie. En bis, un flamboyant, tumultueux et bondissant Prélude n° 14 opus 11 d’Alexandre Scriabine.
Toujours est-il que M. Dominique Salloum est un pianiste éminent et un musicien de race.
Bravo M. Salloum. Vous faites honneur au Liban.
10 h 19, le 02 octobre 2023