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Les deux cornes du taureau

Que faut-il attendre exactement du spectaculaire rapprochement en cours entre l’Arabie saoudite et Israël ? Et les Palestiniens, ces éternels perdants, sont-ils vraiment seuls en droit de s’en alarmer ?


Premier détail de la plus haute importance : les noces projetées ne seront guère le fruit d’un consentement mutuel, d’un accord bilatéral. Il s’agit plutôt d’une convention triangulaire, un ménage à trois incluant la superpuissance américaine, garante de la solidité du montage. Il est frappant de constater que de l’entière liste de doléances et d’exigences publiquement dressée par le monarque saoudien de facto, une seule de celles-ci est spécifiquement adressée à Israël, appelé à rendre la vie plus facile aux Palestiniens. De Washington en revanche, il escompte un pacte de défense en règle, qui viendrait bétonner les engagements US antérieurs. MBS demande en outre pour son royaume un programme nucléaire civil et même militaire, au cas où l’Iran viendrait à se doter de la bombe. Il réclame enfin la levée de l’embargo sur les livraisons américaines d’armements sophistiqués, imposé au lendemain de l’assassinat du journaliste rebelle Jamal Khashoggi.


En fait, c’est d’une assurance-vie en acier massif et inoxydable qu’est en quête ce prince cousu d’or, suite au double saut périlleux qu’il a exécuté. Car longtemps écartelé entre péril iranien et réserves commandées par son statut de gardien des lieux saints musulmans, le royaume s’est finalement décidé à prendre le taureau par les deux cornes : il s’est réconcilié avec l’Iran en amorçant dans le même temps son rapprochement avec Israël. Reste néanmoins à savoir dans quelle mesure ses attentes seront comblées. À treize mois de l’élection présidentielle, la tentation est grande pour Joe Biden de faire mieux, plus sensationnel, plus fracassant que les accords d’Abraham forgés par son ennemi juré Donald Trump ; mais il devra sans doute compter avec les sérieuses réticences du Sénat. Il en va de même d’ailleurs pour Benjamin Netanyahu qui à chaque concession, même minime, faite aux Palestiniens, devra marchander âprement avec sa propre coalition gouvernementale, la plus à droite dans les annales israéliennes. Les optimistes ne manqueront pas pour autant de rappeler que ce n’est autre que le super-faucon de l’époque Menahem Begin, ancien patron du groupe terroriste Irgoun, qui restitua le Sinaï à l’Égypte…


On en vient ainsi au cœur du problème : ces Palestiniens dont on est nombreux à décréter, mais un peu trop vite, qu’ils sont désormais les derniers à avoir voix au chapitre. Révolue certes est l’ère de ce funeste tout ou rien qui avait porté la quasi-totalité du monde arabe à rejeter le partage de la Palestine voté en 1947 par l’ONU. Dès son apparition cependant, la résistance armée palestinienne a été arraisonnée, instrumentalisée par les régimes arabes ; en Jordanie puis au Liban, elle s’est égarée dans des conflits totalement étrangers à la cause sacrée ; et quand est venu le temps des révisions déchirantes, elle s’est régulièrement retrouvée en retard d’une guerre, ou alors d’une paix. Des fanatiques islamistes ont assassiné l’Égyptien Anouar Sadate, banni du monde arabe, qui en signant les accords de camp David avait obtenu une promesse d’autonomie pour la population des territoires occupés. Parallèlement, des fanatiques juifs ont assassiné Yitzhak Rabin qui, avec les accords d’Oslo, s’était résigné au même processus d’émancipation. Quelle meilleure preuve que ce sont les petites rivières qui font les grands fleuves, au point d’en affoler d’aucuns ; et qu’il est grand temps pour cet infortuné peuple de saisir au vol toute occasion d’aller de l’avant sans jamais cesser de réclamer encore et toujours davantage ?


La solution des deux États en Palestine demeure bien sûr la seule juste et sensée ; mais sans doute faut-il se faire à l’idée qu’elle ne peut survenir d’un coup. L’Autorité palestinienne siégeant à Ramallah a réservé bon accueil au projet saoudite, même si elle avance elle aussi une liste de revendications ; on est déjà loin ainsi des véhémentes protestations et accusations qui avaient salué les accords d’Abraham. Mais cela ne saurait suffire. Car parlant d’autonomie par rapport à l’occupant israélien qui leur vole leurs terres, c’est aussi avec leurs manipulateurs actuels que les Palestiniens, notamment ceux de la bande de Gaza, sont tenus de prendre leurs distances : de prendre en quelque sorte, à leur tour, le taureau par les deux cornes. L’Iran, en effet, ne s’est pas contenté de ravir la défense de la cause palestinienne aux Arabes, lesquels la servaient fort mal, il est vrai : il pourrait leur en remontrer sur l’art d’exploiter le filon à son égoïste bénéfice personnel.


Le Hamas à Gaza et le Hezbollah au Liban où fleurissent ces bombes à retardement que sont les camps de réfugiés. À croire que pour plus d’un, un désastre en Palestine, ce n’était pas encore assez …


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

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