Critiques littéraires

Hala Moughanié revient au pays de tous les (im)possibles

Hala Moughanié revient au pays de tous les (im)possibles

D.R.

Les parents de Lila ont quitté le Liban en 1989 pour s’établir en Belgique, ayant perdu la foi dans la capacité du pays à se relever et à leur offrir une vie décente. Aussi, Lila ne découvre-t-elle son pays que vers le milieu des années 90, lorsque le père a mis suffisamment d’argent de côté pour offrir des vacances à sa famille. Mais c’est surtout au début des années 2000 qu’elle apprend à le connaître vraiment, parce qu’elle a pris la décision d’y revenir et d’y vivre. Elle s’installe dans l’ancien appartement familial, décroche un petit boulot de journaliste et tente de se construire une vie à Beyrouth, sans cesse ballotée entre attachement et désamour, entre la beauté des paysages et le chaos destructeur du quotidien. Au fil de rencontres éphémères ou de plus longue durée, elle se demande si comme le lui a dit Ibrahim, rencontré dans un bar un soir, elle doit renoncer à comprendre ce pays « trop riche de cultures, de haines, d’amours, de malentendus » et se contenter de ce qu’il offre, parce qu’il continue à vivre malgré tout, ce qui est déjà beaucoup, « un miracle en soi ».

Le premier roman de Hala Moughanié – qui avait jusque-là écrit pour le théâtre – s’empare de cette trame narrative qui emprunte sans doute à l’autobiographie, pour donner à voir « ce pays de tous les (im)possibles ». Elle met en scène, outre Lila, des personnages denses et souvent énigmatiques : Rim, sa sœur qui a cru se sauver en obéissant aux impératifs de la vie bourgeoise, bon parti, mariage précoce, enfants et rivière de diamants, avant de céder aux sirènes de la chirurgie esthétique et de se retrouver au bout de quelques années divorcée, avec la garde du « tiers de ses enfants », c’est-à-dire de son plus jeune fils Octave, et de perdre la vue et sa santé mentale  ; Octave donc, élevé au Niger où s’étaient installés ses parents, par une nourrice de quatorze ans son aînée, Awa, avec qui il sera initié au peulh et aux chants traditionnels et qui devra apprendre que les peaux ont des couleurs et que la sienne est blanche  ; Ibrahim, mystérieux personnage, drôle d’antiquaire qui a rejoint le parti communiste et pris les armes pendant la guerre civile parce qu’il était engagé contre le système féodal et pour les droits des Palestiniens et qu’il se sentait « prêt à tuer au nom de (sa) vérité et de (sa) justice », mais qui, s’il a perdu ses illusions de pouvoir changer les choses, n’en reste pas moins hanté par les violences vécues durant les années de guerre. Il en parle avec Lila. « Tu es mon confessionnal », lui dit-il. Avec lui, Lila a « la chance d’être ce qu’elle se rêve d’être ». Ils inventent à deux une relation singulière où le quotidien n’a pas sa place, « une chimère sur mesure ».

Mené d’une écriture âpre et hardie, le roman embarque son lecteur pour un voyage au bout de la nuit, dans un pays à la fois réel et rêvé.

Georgia Makhlouf

Il faut revenir de Hala Moughanié, éditions Project’îles, 2023, 290 p.

Hala Moughanié au festival :

Lectures nocturnes de textes (sur réservation à info@beytelkottab.org), jeudi 5 octobre à 18h, Salon arabe du musée Sursock.

Itinéraire littéraire, samedi 7 octobre de 15h à 18h, signature à l’Université Haigazian (Gate B).

Les parents de Lila ont quitté le Liban en 1989 pour s’établir en Belgique, ayant perdu la foi dans la capacité du pays à se relever et à leur offrir une vie décente. Aussi, Lila ne découvre-t-elle son pays que vers le milieu des années 90, lorsque le père a mis suffisamment d’argent de côté pour offrir des vacances à sa famille. Mais c’est surtout au début des...

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