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Lifestyle - LA MODE

Le grand couturier français Marc Bohan tire sa révérence

Avril 1957. Marc Bohan, un jeune homme sage, lisse, cheveux courts, raie de côté, costume-cravate, poussé par sa famille vers des études de finances, a rendez-vous avec monsieur Dior dans son hôtel particulier, 7 boulevard Jules Sandeau, à Paris. Le créateur qui aura dirigé le plus longtemps la création de Christian Dior fut aussi le plus discret parmi ses pairs.

Le grand couturier français Marc Bohan tire sa révérence

Le couturier Marc Bohan entouré de mannequins après un défilé Christian Dior le 27 juillet 1971 à Paris. Photo AFP

« Moi, j’étais horriblement intimidé, tétanisé, je ne disais pas grand-chose et mon entretien s’est terminé comme ça, très gentiment, il m’a raccompagné », témoigne, à la suite de son premier entretien avec le maître, celui qui deviendra, aussitôt après cette rencontre, le « voyageur » de la maison Christian Dior auprès des marchés étrangers et le négociateur de ses contrats de licence.

L’égérie mode Inès de La Fressange félicite Marc Bohan pour son Dé d’or, récompense suprême pour un couturier, le 28 juillet 1988 au musée Galliera à Paris. Photo AFP

L’entretien entre Marc Bohan et Christian Dior a été arrangé par une journaliste du magazine Elle, Alice Chavane de Dalmassy. Le grand couturier, dont le « new-look » a révolutionné la mode dès son lancement en 1947, est en effet déjà inaccessible. Mais à 31 ans, Marc Bohan, timide, réservé, discret, n’en a pas moins tous les courages pour avancer dans un métier pour lequel il n’a pas hésité à abandonner des études conventionnelles. Il a à peine 20 ans quand il entre chez Jean Patou où il fait ses premières armes, puis chez Robert Piguet auprès de qui, assistant modéliste, il fait partie d’une pépinière de talents parmi lesquels, une dizaine d’années plus tôt, Christian Dior lui-même s’était distingué. Le passage de Bohan chez Piguet, interrompu par son service militaire, a sans doute créé entre lui et Dior un courant de confiance, sinon de connivence. Mais Bohan ne profitera pas longtemps de sa collaboration avec le maître. Christian Dior décède en octobre 1957, l’année même où il est engagé. À ce moment-là, il est encore à Londres où il dirige le prêt-à-porter de la maison, avec de nombreux va-et-vient à New York où il supervise également les créations. C’est donc Yves Saint Laurent qui remplace Dior à la direction artistique de la maison où « Trapèze », une première collection sous sa signature, fait un triomphe. Mais trois ans plus tard, Saint Laurent, rentré de son service militaire avec une dépression qui nécessite son hospitalisation et ayant un projet d’ouvrir sa propre maison avec Pierre Bergé, doit quitter son poste. On est en 1960 et Marcel Boussac, quasiment propriétaire de la maison Dior dans laquelle il a investi plusieurs millions de francs de l’époque, notamment pour l’ouverture du navire amiral Christian Dior, 30 avenue Montaigne à Paris, demande à Marc Bohan de prendre la relève.

Arnault a un projet pour Dior

Emporté par son zèle, Marc Bohan a peut-être eu le tort de multiplier les licences, et la maison mettra du temps à se débarrasser de ces nombreux satellites. Dans la foulée, directeur artistique de la haute couture, il lance quand même les premières lignes Baby Dior et Christian Dior Monsieur. Malgré la banqueroute et la chute de Boussac en 1978, il continuera à diriger la création de la maison jusqu’en 1988, ce qui fait de son mandat de 28 ans le plus long de l’histoire de la maison, avec 57 collections à son actif. En 1981, un certain Bernard Arnault se porte acheteur de la holding Boussac Saint-Frères (BSF), mise en règlement judiciaire. Il enlève le marché avec l’aide du gouvernement Fabius. BSF était à la tête de plusieurs marques, mais le joyau de sa couronne passe inaperçu tant ses licences en empêchent la visibilité. Arnault a un projet pour Dior. Ouvrant un nouveau chapitre, il engage l’architecte italien Gianfranco Ferré pour remplacer Marc Bohan à la création.

Marc Bohan dans son atelier en 1987. Photo AFP

Sous Bernard Arnault, la maison n’a plus les mêmes contraintes que sous Boussac, entreprise essentiellement textile pour laquelle il importait de vendre du tissu, donc de faire dans l’opulence, ce que Dior offrait en utilisant des métrages inédits. Marc Bohan prend le changement avec l’élégance qui lui est propre et commente, philosophe, qu’il faut bien que les choses changent.

Longueur d’ourlet sous le genou

Après le new-look et la silhouette corolle qui ont fait les grandes heures de la maison sous Chrisitan Dior, après le « Trapèze » de Saint Laurent, Marc Bohan, sous l’influence des marchés anglo-saxons, se rend célèbre dès 1961 par son « slim look », une ligne droite, comme son nom l’indique, souple et fluide. Face à l’assaut de la minijupe, il propose une longueur d’ourlet sous le genou « plus adulte, plus mature ». S’il exige du vêtement qu’il libère et donne du confort, il lui demande aussi de dignifier. Sous Marc Bohan, une silhouette Dior est toujours complétée par un chapeau, et une collection par une palette de maquillage. Ce n’est pas par hasard que la maison devient, sous sa direction, habilleuse quasi officielle des têtes couronnées et des épouses de chef d’État. Également créateur de costumes pour le théâtre et le cinéma, on reconnaît notamment sa patte dans La lune dans le caniveau de Jean-Jacques Beineix avec les tenues de Nastassja Kinski. Proche de l’écrivaine Françoise Sagan, il créera en 1963 les robes de l’actrice Danielle Darrieux pour sa pièce La robe mauve de Valentine. Son décès, le 6 septembre 2023 à l’âge de 97 ans, résume son personnage. Rejoignant à Londres la maison Norman Hartnell qui habillait la famille royale britannique de 1990 à 1992, il se retire jusqu’à sa mort à Châtillon-sur-Seine, en Côte-d’Or, discret, élégant jusqu’au bout. 

« Moi, j’étais horriblement intimidé, tétanisé, je ne disais pas grand-chose et mon entretien s’est terminé comme ça, très gentiment, il m’a raccompagné », témoigne, à la suite de son premier entretien avec le maître, celui qui deviendra, aussitôt après cette rencontre, le « voyageur » de la maison Christian Dior auprès des marchés étrangers et le négociateur de ses...
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