Était-ce long, était-ce court, comment mesure-t-on le temps ? Déjà, la montagne se cuivre et se dore, les buissons ont roussi, étoilés de baies nouvelles. Le platane laisse tomber ses feuilles qui se crispent sur le bitume, pareilles à des mains de tragédiennes au dernier acte. Il dégage sa petite odeur suspecte qui se mêle à la brume. L’ombre est désormais plus vaste que la lumière et les couchers de soleil plus indigo que rose. Une chenille dort dans le rosier. On ne la réveillera pas. Elle broutera tout son content avant son grand soir de phalène qui ne durera qu’un soir. Grâce des phalènes nourries de roses ! Des abeilles ont envahi les bouquets de menthe. Quel peut être le parfum d’un miel de menthe ? Le soir, l’asphalte brille comme après la pluie et des reflets lunaires tracent sous les pas des promeneurs un chemin tremblant. Mais il n’a pas encore vraiment plu. La chaleur a déposé ici, en nuages légers, les profonds soupirs de la terre alanguie. On les voit traîner dans les vallées leurs bouillonnements de tulle blanc, et c’est comme une noce de la nature à laquelle répondent au loin les tambours d’un dernier mariage avant les grands départs.
Bientôt, les séparations qui vous mangent le cœur et puis la rentrée, ce mot boule à la gorge. Dans un pays miné par les crises, mille hommages aux enseignants qui s’accrochent contre vents et marées à leur mission. Souvenir d’un petit matin maussade où l’on vit la maîtresse entrer en classe trempée, cheveux mouillés, chaussures décollées, parapluie démantelé par la tempête. Elle était venue à pied faute de moyen de transport. On se levait, en ce temps-là, pour saluer les maîtres. On s’était levés. On avait salué la générosité mêlée à la connaissance dans l’aspect le plus misérable qui ait pu être. Ouvrez vos livres. Livres ouverts sous la lumière étique d’un néon fatigué, tandis que la pluie s’acharnait sur les carreaux, dans l’atmosphère lugubre de cet instant où tout contribuait à la tentation de fuir, un courant de solidarité avait circulé à travers la classe engourdie. Comme par magie, un désir d’apprendre, un sens de la nécessité d’apprendre avaient saisi les plus potaches. Ce fut un moment fondateur. Le confort, les technologies sont indispensables. Mais on peut aussi, malgré le manque, malgré les moyens limités par la crise dévorante et peut-être même pour y faire face, trouver en soi la rage d’étudier et le bonheur de transmettre.
Pourvu que le manque n’excite pas les meutes. Pourvu que les plus isolés ne soient pas harcelés, que la différence, quelle qu’elle soit, n’excite pas les instincts de bête. Pourvu que les chasses aux sorcières lancées cet été par les irresponsables au pouvoir ne se poursuivent pas dans les cours de récréation. Que cette rentrée se fasse sous le signe de l’entraide, de l’acceptation et de l’inclusion. Appauvris, notre générosité demeure notre principale richesse. Ce n’est pas chez nous que se posera le problème du vêtement scolaire ni le débat sur le port de la abaya. On portera ce qu’on pourra. L’essentiel est ailleurs. Nos problèmes en cascade qui forcent la montée du sectarisme ne devraient pas atteindre l’enceinte sacrée des écoles. Chaque rentrée définit pour le Liban un avenir différent, annonce des cuvées scolaires qui redessineront notre paysage social et mental quand elles arriveront à maturité. Une saison s’achève, une autre commence, qui réveillera en nous des sens oubliés. Pour avoir fait du tourisme notre principale source de vie et de survie, bientôt nous verrons repartir nos visiteurs saisonniers et nous serons un peu plus seuls. Le moment sera venu de nous recentrer sur notre vieille ambition d’excellence. En elle résident notre gourmandise intellectuelle et le meilleur de notre humanité.
Quelle finesse, quelle humanité !
22 h 25, le 08 septembre 2023