Face au Hezbollah, Samir Geagea ne s’interdit rien. Presque un an après le début du feuilleton de la présidentielle, le chef des Forces libanaises ne semble plus se contenter des discours habituels appelant à souder les rangs de l’opposition pour affronter le parti de Dieu. Le leader de Meerab vient de franchir un nouveau cap : il emploie désormais un ton presque guerrier pour s’adresser au camp de la moumanaa, qu’il se dit plus que jamais disposé à affronter par tous les moyens, notamment sur le dossier de la présidentielle. Car pour Samir Geagea, l’équation est très claire : le Hezbollah « n’entrera pas à Baabda ». Cette équation, le chef des FL l’a développée dans un discours prononcé dimanche, à l’issue de la messe célébrée annuellement à Meerab pour le repos de l’âme des « martyrs de la résistance libanaise ». Un rendez-vous politico-spirituel qui a réuni des députés et responsables FL avec nombre de leurs collègues de l’opposition, dont les Kataëb, le bloc du Renouveau de Michel Moawad, le député Marwan Hamadé représentant le bloc joumblattiste et plusieurs indépendants. Le message d’unité de l’opposition, au moins dans la forme, est on ne peut plus clair.
« L’axe du crime »
La cérémonie est intervenue un mois jour pour jour après l’annonce de l’assassinat d’Élias Hasrouni, un cadre FL retrouvé mort dans son village natal de Aïn Ebel, au Liban-Sud, fief du Hezbollah. D’entrée de jeu, Samir Geagea a usé de cet incident pour s’en prendre à la formation de Hassan Nasrallah. « Le meurtre d’Élias Hasrouni est indicateur du genre de dialogue dont veut le camp de la moumanaa. Il vous invite pendant des mois à dialoguer pour finir par vous tuer si vous ne vous conformez pas à sa volonté », a déclaré le chef des FL, avant de tonner : « La moumanaa est l’axe du crime par excellence. » M. Geagea a donc utilisé ce registre pour répondre indirectement au président de la Chambre, Nabih Berry, qui vient de proposer une initiative censée débloquer la présidentielle. Celle-ci prévoit un engagement de tenir des séances électorales ouvertes et successives de la Chambre jusqu’à ce qu’un président soit élu, mais pas avant un dialogue à la Chambre qui durerait au maximum une semaine. L’initiative a été rejetée par une partie de l’opposition.
« Nous irons à une confrontation sans limites », a martelé le chef des FL, accusant la moumanaa de se tenir derrière tous les assassinats politiques commis entre 2005 et 2023. Samir Geagea a également souligné que le Hezbollah et ses alliés sont responsables de la paralysie de l’enquête sur la double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth. Après tout cela, « le camp de la moumanaa vous convoque au dialogue », s’est indigné le chef des FL. Il a par la suite fait comprendre tant au Hezbollah qu’à Nabih Berry (sans nommer ce dernier) qu’il n’est pas question de dialoguer en matière de présidentielle. « Nous avons tiré les leçons des assassinats de Rafic Hariri à Élias Hasrouni, mais aussi des événements du 7 mai 2008 et de Kahalé (le 9 août dernier) », a-t-il dit.
Le leader des FL a défini certaines constantes de la bataille face au Hezbollah et ses satellites. « Depuis un an, ils tentent de mener leur candidat (le chef des Marada, Sleiman Frangié) à Baabda, en bloquant la tenue de l’échéance (à travers l’arme du défaut de quorum, NDLR). Si ce camp avait 65 voix (la majorité absolue des députés requise pour élire un président au second tour), aurait-il appelé au dialogue ? Évidemment pas. Mais il ne peut pas remplir cet objectif et ne veut pas d’autre candidat », a-t-il lancé. « Nous ne prendrons pas le chemin de l’enfer. Ils (le Hezbollah et ses alliés) n’entreront pas à Baabda. Nous ne voterons pas pour leur candidat. Et si nous ne voulons pas un président qui soit des nôtres, nous n’accepterons qu’une figure qui incarne le minimum de nos aspirations et convictions et capable de mener la mission de sauvetage du pays », a-t-il dit.
Sauf que cette bataille, Samir Geagea est conscient qu’il ne peut pas la mener seul. Il a besoin des députés toujours en « zone grise » et de son allié Taymour Joumblatt : tout en continuant de s’afficher en faveur du candidat de l’opposition, Jihad Azour, le chef du Parti socialiste progressiste appelle à aller au dialogue. Le leader des FL s’est adressé aussi aux sunnites ex-haririens – en prononçant à plusieurs reprises le nom de Rafic Hariri – pour les inciter à faire un choix clair, car la bataille va selon lui au-delà de la personne du président. « Il est temps de choisir le Liban que nous voulons. »
Gare à un « Mar Mikhaël bis »
Conscient que pour barrer la voie de Baabda devant le candidat du Hezbollah, Sleiman Frangié, il a besoin de son principal adversaire chrétien, Gebran Bassil, en pleines négociations avec le Hezbollah, M. Geagea s’en est implicitement pris à ce dernier. « Certains insistent pour conclure des marchés avec le Hezbollah comme si de rien n’était. Et pour camoufler cela, ils usent de slogans pour lesquels ils n’ont pas œuvré pendant qu’ils étaient au pouvoir (une allusion à la décentralisation élargie et au fonds fiduciaire réclamés au Hezb par le chef du Courant patriotique libre pour accepter de marcher dans l’option Frangié) », a-t-il relevé. « Il est honteux d’user de certains dossiers qui vont dans le sens de l’intérêt général pour conclure des bazars personnels dont les résultats seraient semblables à ceux de Mar Mikhaël », dans une référence à l’entente de février 2006 entre le CPL et le Hezbollah. « Un Mar Mikhaël bis anéantirait le Liban », a averti le chef des FL.
Il a également décoché quelques flèches en direction de la France, impliquée dans le dossier libanais et dont l’émissaire Jean-Yves Le Drian est attendu à Beyrouth pour un dialogue censé débloquer la présidentielle. « Nous nous attendions à ce que les amis du Liban nous aident à édifier un État, à commencer par la tenue d’une véritable élection présidentielle démocratique, au lieu de céder aux hérésies du camp adverse, tantôt en proposant des trocs (entre un président du 8 Mars et un Premier ministre proche de l’opposition) et tantôt en allant à l’encontre de la Constitution par des marchés appelés “dialogue” en dépit du bon sens. » « L’enfer est pavé de bonnes intentions », a-t-il conclu.
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Tant qu’il y aurait des libanais qui sont convaincus que les leaders qui les ont dépouillés et humiliés sont les meilleurs pour gouverner notre pays, nous ne pouvons en aucun cas aspirer à être libres et souverains puisque le peuple souffre du syndrome de Stockholm. Quelle désolations ! On voit en les patriotes qui défendent leur pays des opportunistes et on appuie ceux qui nous rendus à l’état de mendiants opprimés. Quel bel avenir nous attend dites-moi. Vous méritez ce qui vous arrive et même plus, puisque consentants et fiers de l’être.
Sissi zayyat
11 h 10, le 05 septembre 2023