Gebran Bassil a l’air serein. Ce calme apparent contraste avec son dynamisme et son activité incessante. Il est constamment à la recherche de nouvelles idées et de projets à mettre sur la table et réussit la plupart du temps à se donner une marge de manœuvre. Derniers en date : la décentralisation administrative et financière élargie ainsi que le fonds fiduciaire, deux principes sur la base desquels il négocie une entente avec le Hezbollah après des mois de froid. « En cas d’accord, je suis prêt à supporter le coût d’une élection de Sleiman Frangié à la présidence de la République. Mais à condition que ces deux projets soient adoptés et ne soient pas sabotés à l’avenir », annonce Gebran Bassil lors d’une interview accordée à L’Orient-Le Jour. L’allusion à Nabih Berry est on ne peut plus claire. Si quelqu’un peut lui mettre des bâtons dans les roues, c’est le président du Parlement. Ce même Parlement qui va devoir adopter les lois que le leader maronite exige en échange d’un soutien au Hezbollah (et par ricochet à son allié chiite Nabih Berry) dans la bataille présidentielle. Loin d’être idyllique dans son approche, le chef du CPL admet que le désaccord avec le parti de Hassan Nasrallah persiste. « Mais il n’y a aucune alternative au dialogue, estime-t-il. Si nous laissons les différends mener à la confrontation, cela va créer des tensions à l’image de ce qui s’est passé à Kahalé (en référence aux échanges de tirs entre les habitants chrétiens de Kahalé et des membres du Hezbollah début août, NDLR). Et le Liban ne pourra pas le supporter. »
Revenant sur les négociations qu’il mène avec le parti chiite, le chef du CPL nie d’emblée les rumeurs selon lesquelles il chercherait à obtenir des garanties politiques, des postes ministériels ou des postes-clés sous le nouveau mandat en échange d’un soutien à la candidature du chef des Marada. « Je n’ai pas non plus exigé des garanties que je serai moi-même le successeur du prochain président, assure-t-il. Ceux qui tiennent ce discours ne savent pas ce qu’ils disent ou ne me connaissent pas. » Et d’insister : « Je n’ai pas besoin de postes et de positions. J’ai obtenu tout cela dans le passé et le résultat était contraire à mes attentes. » Pour lui, « la question principale concerne la façon de sauver le Liban dont le modèle a été gravement atteint », à travers une réflexion sur une vision commune. La décentralisation et le fonds fiduciaire sont, pour le chef du CPL, des réformes à même de servir ce but. « Si le tandem Hezbollah-Amal approuve ces deux projets présentés, je serais alors prêt à avaliser l’élection de Sleiman Frangié et à en assumer toutes les conséquences, répète Gebran Bassil. Car ces deux projets représenteront un énorme exploit pour le Liban, sans favoriser un parti politique au détriment de l’autre. » Cependant, il ne semble pas confiant quant à la possibilité que le tandem avalise ces projets tels qu’il les voit lui-même. S’il assure que son dialogue avec le Hezbollah est « positif et progresse », il affirme dans le même temps qu’il n’y a aucun signe encourageant en ce sens.
« D’après ma lecture des données actuellement disponibles, il n’y a aucune possibilité que Sleiman Frangié soit élu. Ni le commandant en chef de l’armée, Joseph Aoun », tranche-t-il, tout en gardant la porte ouverte à d’éventuels changements. Concernant le soutien qatari à la candidature de Joseph Aoun, le chef du CPL estime que Doha « ne se limite pas à cette option ». Selon lui, il est nécessaire d’aller vers un troisième profil qui fasse consensus. « À mon avis, Jihad Azour est le meilleur profil pour cette étape. C’est pourquoi nous avons accepté de soutenir sa candidature, affirme-t-il. Il aurait pu travailler sérieusement sur un plan de sauvetage, indépendamment de toutes les objections dirigées contre lui. » Mais alors pourquoi, après avoir convergé avec l’opposition sur la candidature de l’ancien ministre des Finances, a-t-il décidé de rouvrir la porte au dialogue avec le Hezbollah ? « Je n’ai pas œuvré à griller la candidature de Jihad Azour, comme certains me le reprochent. J’ai insisté à protéger cette option en ne la présentant pas comme un défi au Hezbollah », répond-il.
« L’approche frontale est sans issue » »
Gebran Bassil est convaincu que les développements régionaux et internationaux peuvent avoir des répercussions au Liban. « Tout dialogue entre l’Iran et les États-Unis ou toute évolution dans les relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran se traduirait nécessairement en un apaisement au Liban, affirme-t-il. Aller à la confrontation et aiguiser la polarisation ne servira donc à rien. » Une lecture qui, selon lui, reste valable dans le contexte actuel. Pour le leader aouniste, il est nécessaire de parvenir à un consensus sur le nouveau président. « Il faut toutefois insister sur le rétablissement de l’équilibre politique plutôt que de favoriser une partie au détriment de l’autre », nuance-t-il. Mais le chef du CPL ne se fait pas d’illusions. Il ne voit pas de changements drastiques à court terme sur la scène libanaise, que ce soit sur les plans économique, social, financier, sécuritaire ou militaire. « La situation restera inchangée en attendant de parvenir à des ententes internes et externes qui conduiront à une restructuration du pouvoir sur base de consensus. » Personne n’a une idée précise de la date à laquelle un règlement pourrait être trouvé, mais M. Bassil pense que « de nombreuses parties parient sur son dialogue avec le Hezbollah pour parvenir à un compromis ». « Cependant, certaines parties régionales ne soutiennent pas l’option Sleiman Frangié et œuvrent pour une entente autour d’un profil centriste, ajoute-t-il. Cela pourrait se produire après un certain temps, notamment à la lumière d’informations faisant état de pressions internationales, surtout américaines, sur certaines parties, ce qui pousserait le tandem chiite à aller vers un plan B. »
Dans sa lecture des positions internationales concernant le Liban, Gebran Bassil considère que l’approche saoudienne actuelle, qui insiste sur la nécessité de réaliser les réformes requises et de rompre avec les pratiques du passé, « sert l’intérêt du Liban ». Il saisit l’occasion pour saluer les actions entreprises par le prince héritier saoudien, Mohammad ben Salmane, estimant que « notre pays a besoin de telles mesures réformatrices révolutionnaires ». « Il est important que le Liban améliore ses relations avec le monde arabe. Cela seul permettra de rétablir l’équilibre politique, car personne n’accepte que le Hezbollah contrôle le Liban. » Cet objectif doit être réalisé, selon lui, sur base d’ententes internes et externes, pour reproduire un accord politique qui redonne son prestige à l’État et à ses institutions sans passer par une confrontation avec le parti chiite. « L’approche frontale face au Hezb est sans issue », estime-t-il. Selon lui, il ne faut pas miser sur une intervention étrangère, mais se concentrer sur la reconstruction de ponts avec toutes les composantes selon une nouvelle vision qui permette de rétablir l’équilibre. « C’est ce que nous avons essayé d’accomplir à travers l’accord avec l’ancien Premier ministre Saad Hariri et le courant du Futur. Mais pour de nombreuses raisons, la tentative a échoué », souligne le chef du CPL en référence au compromis présidentiel qui a permis l’élection de Michel Aoun à la tête de l’État en 2016. Il souligne dans ce cadre l’importance de s’ouvrir à la communauté sunnite pour aboutir à une nouvelle formule pour le Liban. « Cela est réalisable si les relations avec l’Arabie saoudite s’améliorent », estime-t-il. Pour Gebran Bassil, la prochaine étape est donc placée sous le signe de l’ouverture à l’égard de toutes les composantes du pays « pour arriver à une nouvelle formule de vivre ensemble entre les chrétiens et les musulmans ».
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“Mais il n’y a aucune alternative au dialogue, estime-t-il. Si nous laissons les différends mener à la confrontation, cela va créer des tensions à l’image de ce qui s’est passé à Kahalé (en référence aux échanges de tirs entre les habitants chrétiens de Kahalé et des membres du Hezbollah début août, NDLR). Et le Liban ne pourra pas le supporter. “ “Aucune alternative au dialogue”. EXACTEMENT la même langue de bois que les Hariri et Joumblatt ont tenu en leur temps devant les leurs. Maintenant que les aounistes ne supportent pas plus que les haririens ou les joumblattistes l’humiliation qui leur est infligée par les armes illégales du Hezbollah pointées sur eux, leur chef adopte exactement la même parade. Les sunnites avec Achraf Rifi et même les druzes avec Marc Daou ne manquent désormais plus de figure de proue pour remplacer la langue de bois par la confrontation révolutionnaire. Les chrétiens ont bien plus qu’une figure de proue: un parti de masse, le premier au parlement.
Citoyen libanais
22 h 40, le 30 août 2023